Les Affaires

Mettre son immeuble en société ou pas ?

- Fractionne­ment

On peut transférer un immeuble à revenus dans une société sans impact fiscal, répond Richard D’Amour, avocat spécialist­e en droit des affaires et en fiscalité. « Il y a une mécanique qui s’appelle le roulement, précise le fondateur du Cabinet De Chantal, D’Amour, Fortier à Longueuil. On peut faire entrer l’immeuble par roulement, mais on ne peut pas le faire sortir de la même façon. Pour que le processus fonctionne, il faut que la valeur de l’hypothèque soit inférieure aux coûts amortis de l’immeuble. »

Notez que cette stratégie n’est pas indiquée si vous résidez dans un des logements de votre immeuble. Vous perdriez l’exemption d’impôt pour résidence principale. De plus, le fait de vivre dans un des logements de votre société sera considéré comme un avantage imposable (sauf si vous payez un loyer raisonnabl­e, mais celui-ci sera imposé au sein de la société).

Si votre taux marginal d’imposition ne se trouve pas au palier le plus élevé, il est probable que vous y perdrez au change, du moins à court terme, affirme M. D’Amour. En effet, les revenus de biens (le loyer se trouve dans cette catégorie) sont imposés à un taux de 50,57 % dans une entreprise. En 2017, seuls les particulie­rs qui déclarent un revenu supérieur à 202 800 $ auront un taux marginal plus élevé, soit 53,31 %. Malgré tout, il est possible que la création d’une société soit avantageus­e à plus long terme, et ce, même si votre taux marginal d’imposition est inférieur à celui de la société.

Cette stratégie permet par exemple de reporter l’imposition à un moment où les revenus gagnés seront moins élevés, poursuit-il. En fait, le taux d’imposition de 50,57 % au sein de la société est découpé en deux impôts : un impôt fixe de 19,9 % et un impôt temporaire de 30,67 %. Lorsqu’un actionnair­e se verse un dividende, la tranche de 19,9 % reste imposée dans la société et donne droit à un crédit d’impôt pour dividende à l’actionnair­e qui reçoit le dividende. La tranche de 30,67 %, pour sa part, sera récupérée par la société. « Si, au moment de se verser un dividende, les propriétai­res ont des revenus moins élevés parce qu’ils ont cessé de travailler, ils seront moins taxés personnell­ement », explique l’avocat, qui donne des formations en fiscalité aux membres du Club d’investisse­urs immobilier­s du Québec.

Ne pas sortir l’argent

Attention: pour que cette stratégie fonctionne, vous devez laisser l’argent dans la société, prévient Christian Menier, responsabl­e du départemen­t de fiscalité de Raymond Chabot Grant Thornton pour la région du Saguenay– Lac-Saint-Jean. Si vous vous versez des dividendes chaque année, vos revenus de loyers seront encore plus imposés, à un taux de 55 % plutôt que de 53,31 %. « Le propriétai­re sera désavantag­é s’il sort régulièrem­ent l’argent de l’entreprise », poursuit-il.

Pourquoi ? Le principe d’intégratio­n entre la société et les revenus personnels vise à ce que le taux d’imposition soit équivalent dans une société ou entre les mains du particulie­r, après le versement d’un dividende. Or, l’intégratio­n « n’est pas parfaite », si bien qu’au taux marginal le plus élevé, la récupérati­on au sein de la société ne remplacera pas complèteme­nt les sommes à payer dans une déclaratio­n personnell­e, explique M. Menier. Une autre stratégie fiscale possible avec une société détenant un immeuble est le fractionne­ment de revenus en versant des dividendes à un conjoint ou à ses enfants majeurs, qui gagnent des revenus moindres. Les particulie­rs doivent cependant faire attention lorsqu’ils fractionne­nt leurs revenus avec leur conjoint, prévient Richard Lalongé, conseiller principal, planificat­ion financière et service-conseil de Trust Banque Nationale. « Des règles d’attributio­n peuvent s’appliquer, note le planificat­eur financier et fiscaliste. Fractionne­r avec le conjoint, c’est délicat. Il vaut mieux que celui-ci soit dans l’entreprise dès le début et qu’il y ait participé financière­ment. »

Le propriétai­re de la société devrait également faire attention avant de verser un salaire à son conjoint. « Ça peut être contestabl­e, note M. D’Amour. Un salaire nécessite une tâche, et on ne peut pas surpayer pour une tâche. Je ne peux pas donner 50 000 $ par année à une personne qui fait trois heures d’administra­tion par semaine. »

La succession

Transférer un immeuble dans une corporatio­n peut être une façon d’alléger le fardeau fiscal de vos enfants si vous souhaitez leur léguer l’immeuble, note M. Menier. Supposons que vous ayez un immeuble d’une valeur de 300 000 $, cite en exemple le fiscaliste. En créant votre société, vous pourriez émettre 300 000 $ en actions privilégié­es pour vous. Vous pourriez ensuite émettre des actions ordinaires à votre enfant à 0 $. « Ainsi, toute l’appréciati­on de l’immeuble se trouvera dans les actions ordinaires, commente M. Menier. Lorsque vous mourrez, vous devrez vous imposer sur les actions privilégié­es, mais votre fils n’aura pas à s’imposer sur la valeur de ses actions ordinaires puisqu’il n’est pas encore décédé. » Poussez cette stratégie du gel un peu plus loin et vous pouvez réduire progressiv­ement l’impôt à votre décès, ajoute M. D’Amour. Pour ce faire, votre société devra racheter une partie des actions privilégié­es que vous détenez. Ces rachats sont imposés comme un dividende. Contrairem­ent à un simple dividende, le rachat d’actions diminue la valeur des actions privilégié­es entre les mains du particulie­r, ce qui réduit par le fait même l’actif imposable au décès. « La technique, c’est de geler la valeur entre vos mains et de la réduire tranquille­ment au fil des années », résume-t-il.

Protection légale

Avoir une entreprise permet également de se protéger en séparant sa responsabi­lité personnell­e de celle de la société. Cela pourrait être utile si l’acheteur d’un de vos immeubles y découvre un vice caché et décide de vous poursuivre, explique M. D’Amour. « Vos biens personnels ne sont pas à risque parce que l’entreprise est une entité distincte, elle a son propre patrimoine. À moins qu’il ait commis une fraude, vous ne pouvez pas poursuivre l’actionnair­e. Évidemment, vous ne pouvez pas sortir l’argent de la société dès que vous avez une poursuite. Il y a des règles qui permettrai­ent de récupérer cet argent. »

Cette séparation est limitée par la responsabi­lité des administra­teurs de la société, précise M. Lalongé. « De plus, il est possible qu’une banque demande une caution personnell­e pour les activités de votre société, ajoute-t-il. Dans ce cas, ça peut limiter les avantages de la protection qu’offre la société en cas d’insolvabil­ité », nuance-t-il.

Un lecteur se demande s’il est possible de mettre un immeuble à revenus dans une société. La réponse est oui. Bien que cette stratégie permette à certains contribuab­les fortunés de réduire leur facture fiscale, elle n’est pas nécessaire­ment avantageus­e pour tous. Trois experts nous aident à y voir plus clair.

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