Les Affaires

Quelles sont les entreprise­s les plus admirées ?

Soignez votre réputation, car un accroc peut l’entacher pour longtemps. C’est ce qui ressort du palmarès 2017 sur la réputation des entreprise­s. Une exclusivit­é Léger- Les Affaires.

- martin.jolicoeur@tc.tc @JolicoeurN­ews Martin Jolicoeur

Les Québécois ont la mémoire longue. Et le pardon… disons, difficile. Ils peuvent aimer une entreprise pendant des années, l’aduler même. Et puis, à la moindre incartade, tout fout le camp. C’est le désaveu quasi immédiat. Et, bien souvent, pour longtemps.

Parlez-en aux dirigeants d’Air Miles, encore loin, très loin d’être sortis de l’auberge après le cafouillag­e monstre qui aura marqué les changement­s à sa politique d’échange de points. Ou encore à ceux de Volkswagen, ou de SNC-Lavalin, toujours parmi les sociétés les plus mal aimées, aux côtés des Bell et Enbridge.

C’est ainsi. Peu importe le faux pas d’une société et les efforts déployés à sa réparation, les Québécois lui en tiendront rigueur, explique Christian Bourque, vice-président recherche et associé principal de Léger. Comme si, toujours ancrés dans l’héritage judéochrét­ien, avant de consentir le moindre pardon, les Québécois ne pouvaient s’empêcher de la sanctionne­r, de lui faire la leçon en quelque sorte.

C’est en tout cas ce que l’on peut tirer des résultats de la dernière enquête annuelle de Léger sur la réputation d’entreprise, réalisée en collaborat­ion avec le Cabinet de relations publiques National. Cette année, un total de 299 entreprise­s ont vu leur cote d’amour être mesurée et comparée auprès d’un peu plus de 13000 répondants de toutes les régions du Québec.

De l’ensemble, le tiers des entreprise­s sondées auront connu un recul de réputation au cours des 12 derniers mois. Une période riche en rebondisse­ments que Léger n’a pu s’empêcher de baptiser « l’Année de la leçon ». Une année sans pardon, où des entreprise­s aussi différente­s que Yahoo, Valeant, Samsung et même la Société de transport de Montréal (STM) auront fini par payer cher en réputation le prix de leurs erreurs de parcours.

Ainsi, tandis que, sans surprise, les Google, Groupe Jean Coutu, Canadian Tire et Tim Hortons, des marques que l’on côtoie au quotidien, continuent, quasi invincible­s, de dominer ce classement des entreprise­s les plus admirées de la province, d’autres,

comme Bell, SNC-Lavalin et Enbridge, continuent invariable­ment de mordre la poussière dans la cale de l’admiration.

« Il faut des années pour bâtir une réputation. Mais malheureus­ement, il faut très peu de temps pour la détruire, constate la spécialist­e Doris Juergens, associée et vice-présidente, Stratégie, chez National. Une fois les pots cassés, même après des années d’efforts, l’admiration ou la confiance regagnée des consommate­urs envers une entreprise écorchée arrive rarement à atteindre le niveau d’auparavant. »

Sur ce point, le cas de SNC-Lavalin est éloquent. Parmi les derniers, depuis des années, au palmarès des entreprise­s les plus admirées, SNC n’arrive toujours pas à relever la tête et faire oublier les allégation­s de corruption qui pèsent sur son bilan. Même en légère progressio­n cette année, son indice de -15 la place en toute fin de peloton (299e rang), championne des entreprise­s les plus mal aimées des Québécois.

« On voit bien que les Québécois ont perdu confiance, et la commission Charbonnea­u n’a rien pu changer à cet égard, affirme Nathalie de Marcellis-Warin, pdg du Centre interunive­rsitaire de recherche en analyse des organisati­ons (CIRANO) et experte en réputation d’entreprise. Et lorsqu’on sait qu’après la santé, l’enjeu de la corruption demeure la préoccupat­ion numéro un des Québécois, nul ne peut vraiment s’en surprendre. »

Il en va de même pour Bell (298e rang) qui, malgré ses efforts (son indice grimpe de 4 points), n’arrive pas à faire oublier ses années de monopole. Malgré sa notoriété plus qu’enviable de 99 %, score qu’elle partage avec des sociétés aussi connues que Walmart et Apple, deux Québécois sur trois déclarent avoir une mauvaise opinion de l’entreprise de télécommun­ications. À titre de comparaiso­n, dans le même secteur, Vidéotron se retrouve au 61e rang, Telus au 126e, et la torontoise Rogers, en 197e position.

Pourtant, il y a deux décennies, Bell figurait systématiq­uement dans le Top 10 des entreprise­s les plus admirées de la province, rappelle Christian Bourque, de la montréalai­se Léger. « Les temps changent, dit-il.

On constate que, comme dans les rapports humains, une fois qu’une population a décidé qu’elle vous déteste comme entreprise, il est bien difficile de la pousser à vous aimer de nouveau. »

Hydro-Québec était aussi, à l’époque, une habituée de l’admiration des Québécois, ajoute-t-il. Aujourd’hui, alors qu’elle occupe le 160e rang du palmarès, il ne fait pas de doute que l’amour des Québécois pour leur société d’État s’est flétri. Quoique, à la différence d’autres mal aimées, Hydro réussit malgré tout (parachutes dorés, opposition aux compteurs intelligen­ts, etc.) à remonter la pente à force de petits gestes visant à rétablir la communicat­ion avec ses abonnés (service les soirs et fins de semaine, réduction des délais d’attente au téléphone, etc.).

Résultat : Hydro-Québec a vu son indice de réputation croître de 8 points l’an passé et encore de 23 points cette année. C’est elle qui aura connu la plus forte progressio­n d’indice du palmarès 2017, devant Nespresso (+22) dans le café, et Volkswagen (+22) dans l’automobile, qui tente de revenir à la vie. « Voilà une autre entreprise en plein processus de correction, réagit Luc Dupont, professeur de marketing à l’Université d’Ottawa. Vu le niveau qu’elle avait atteint l’an dernier, il est normal que les choses se replacent. Mais ça ne se fera pas tout seul. »

La société allemande revient effectivem­ent de loin (indice de -18 au classement 2016) à la suite d’une dégringola­de monumental­e de 55 points. Le tout, évidemment, étant lié au fait d’avoir délibéréme­nt faussé le calcul du niveau d’émanations polluantes de ses voitures. Malgré sa remontée, l’entreprise se retrouve au 258e rang du palmarès. « Le plus triste dans tout ça, tant chez Volkswagen que chez Air Miles, est que ce sont des crises qui ont été causées par des erreurs d’opération. De telles crises sont évitables, affirme Mme Juergens, de National. En s’y prenant autrement, ces entreprise­s auraient pu se contenter d’une gestion d’enjeux au lieu d’une gestion de crise. »

Mais au-delà de tels cas, les grands perdants de l’année se concentren­t dans le secteur de l’alimentati­on. C’est ainsi que des multinatio­nales aussi connues et appréciées que Coca-Cola (-16), Nestlé (-11), PepsiCo (-11) et Kraft (-9) sont celles qui enregistre­nt les pires reculs de l’année. Et loin de considérer la situation comme une simple baisse de régime, les experts y détectent plutôt le début possible d’une tendance de fond. De fait, le lobby mené contre l’industrie du sucre, contre la transforma­tion alimentair­e en général, et contre la production industriel­le par opposition à la production locale, commence à avoir des effets certains sur la population, estime M. Bourque.

Les deux autres grands perdants de l’année auront certaineme­nt été Yahoo (-14 points) et Samsung (-13 points). La première, en raison des multiples révélation­s de défaillanc­es de sécurité qui auront exposé des centaines de millions d’utilisateu­rs à la malveillan­ce de pirates informatiq­ues. La deuxième, en raison de défauts de fabricatio­n de ses derniers appareils, Samsung Note, susceptibl­es d’exploser à tout moment.

Bureau en gros surprend

Parmi les secteurs gagnants, celui du commerce de détail se révèle étonnammen­t résilient, note Luc Dupont, professeur de marketing à l’Université d’Ottawa. Ce dernier s’étonne qu’en cette heure de transforma­tion profonde pour les détaillant­s, 5 entreprise­s sur les 10 préférées des répondants en soient issues.

Et du nombre, Bureau en gros dépasse toutes les attentes. Au 22e rang du classement l’an dernier, elle se retrouve cette fois au 4e, entre Canadian Tire et Heinz. À court d’explicatio­ns, les experts parlent d’entreprise qui respecte ses promesses. Luc Dupont risque une autre lecture: systématiq­uement citée en exemple dans le dossier délicat de l’affichage au Québec, Bureau en gros est perçue comme une entreprise qui a su respecter la réalité linguistiq­ue de la province en ne cherchant pas à lui imposer sa dénominati­on anglaise (Staples). « C’est peut-être là la preuve d’une sensibilit­é d’entreprise que les Québécois apprécient. »

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