Les Affaires

La boîte de Pandore de l’acceptabil­ité sociale

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Imaginons un grand projet économique qui crée de l’emploi et de la prospérité dans une région du Québec. Le promoteur sait que ce projet doit répondre à un long et lourd processus réglementa­ire, mais il s’arme de patience et de bonne volonté.

Son projet passe toutes les approbatio­ns requises, obtient tous les permis nécessaire­s, remplit toutes les conditions demandées. Des dizaines de millions de dollars sont ainsi investis pour répondre aux exigences du gouverneme­nt et préparer le projet. Puis, tout à coup, le gouverneme­nt arrête tout sous prétexte d’un manque d’acceptabil­ité sociale.

Ce résultat n’est même plus théorique. Comme le rapportait le chroniqueu­r de La Presse Alain Dubuc, il s’agit précisémen­t de ce qu’une mine dans les monts Otish reproche au gouverneme­nt du Québec.

Le déroulemen­t de ce dossier – le cauchemar de tout investisse­ur – illustre le risque bien réel que le concept d’acceptabil­ité sociale dérive vers le tribunal populaire, la désinforma­tion et l’arbitraire.

Qu’il s’agisse d’un pipeline, d’une mine ou d’un puit d’hydrocarbu­res, le promoteur a tout intérêt à faire preuve de transparen­ce, à consulter les communauté­s locales qui pourraient être affectées et même à améliorer son projet dans la mesure du raisonnabl­e pour éviter les désagrémen­ts. Dans ce cadre rationnel, l’acceptabil­ité sociale demeure une stratégie d’entreprise et permet une discussion constructi­ve.

Mais si un gouverneme­nt tente d’intégrer un critère aussi flou à la législatio­n, toutes sortes de dérives peuvent apparaître. Forcer des consultati­ons systématiq­ues peut par exemple donner une place disproport­ionnée aux groupes les plus radicaux. On en a déjà eu un aperçu avec certains projets.

Si l’on entend le concept d’acceptabil­ité sociale comme un seuil d’appui au sein d’une communauté, on ouvre la porte à la désinforma­tion. Il n’est pas inédit de voir des consultati­ons où les éléments scientifiq­ues sont réinterpré­tés et déformés par des organismes militants pour effrayer les communauté­s locales, au détriment de l’intérêt public. Ce n’est pas pour rien que les enjeux techniques ont toujours été entendus par des experts et des organismes jouissant d’un maximum d’indépendan­ce.

Ironiqueme­nt, ce sont les mêmes groupes qui prennent prétexte de la peur qu’ils ont générée pour conclure à l’absence d’acceptabil­ité sociale. Comme il s’agit d’une arène plus politique que technique, la perception fait foi de tout.

On peut aussi imaginer un scénario dans lequel une communauté serait tentée d’exiger des compensati­ons financière­s injustifié­es, sans lien avec d’éventuels dommages environnem­entaux ou autres nuisances. On tomberait alors dans un type d’extorsion légalisé où chaque MRC, chaque village, exigerait son dû en échange de son appui à un projet majeur et d’intérêt public.

Cet exemple vous paraît-il tiré par les cheveux ? C’est pourtant exactement ce que le gouverneme­nt de la Colombie-Britanniqu­e a exigé de l’entreprise Kinder Morgan en échange d’un appui au doublement de son pipeline Trans Mountain.

Au moyen du processus actuel, les diverses visions peuvent déjà se faire entendre. À la fin, une décision est rendue, qui doit refléter le mieux possible l’intérêt public. Pour qu’un tel processus fonctionne de manière satisfaisa­nte, il faut accorder une certaine confiance aux institutio­ns dont notre société s’est dotée. Tant les partisans d’un projet que ses opposants doivent accepter que toutes les décisions ne leur seront pas toujours favorables.

Sans cette confiance envers les institutio­ns, on ne pourra jamais dépasser les conception­s individuel­les de la justice. On ne pourra pas non plus garantir un processus transparen­t et juste avec tous les projets. La porte sera grande ouverte à l’arbitraire et menacera la primauté du droit, un principe si sacré qu’il figure en préambule de la Charte canadienne des droits et libertés.

Or, s’il y a un rôle que le gouverneme­nt doit absolument jouer dans une société démocratiq­ue, c’est le maintien de la primauté du droit. Les gouverneme­nts seraient mieux avisés de s’assurer du bon fonctionne­ment et de la crédibilit­é des institutio­ns existantes plutôt que d’ajouter une notion aussi subjective et arbitraire que l’acceptabil­ité sociale à nos processus démocratiq­ues.

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