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La science des files d’attente Avoir confiance en... l’autre

Espressono­mie

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eux heures et demie, montre en main. C’est le temps qu’il m’a fallu pour louer du matériel de ski à toute ma petite famille, à Bromont, une fin de semaine de cet hiver. Pourquoi ai-je attendu si longtemps ? Parce qu’il n’y avait qu’un centre de location dans le coin (à ma connaissan­ce) et parce que la file ne cessait de s’allonger derrière moi, ce qui me confortait dans l’idée que je n’avais d’autre choix que de prendre mon mal en patience.

Pourtant, à bien y réfléchir, c’est complèteme­nt fou d’attendre ainsi. À tel point que je n’oserai jamais calculer le temps ainsi perdu dans ma vie, à juste attendre debout, coincé entre deux personnes. Ce serait trop déprimant. Comment se fait-il que les êtres humains n’aient pas encore trouvé la méthode parfaite pour gérer des fluctuatio­ns à court terme de la demande ?

Certes, il y a quelques initiative­s intéressan­tes ici et là. Je pense notamment à Whole Foods, une chaîne américaine de grande surface de produits naturels et biologique­s, qui mise aujourd’hui sur la ludificati­on ( gamificati­on, en anglais). Lorsqu’un client arrive aux caisses, il sait à peu près combien de produits il a dans son panier. Il regarde alors dans quelle catégorie de couleur il entre et se dirige vers la caisse correspond­ante. Là, il participe aussitôt à un tirage au sort qui détermine l’ordre de passage à la caisse, ce qui lui offre la possibilit­é de griller tout le monde, s’il est chanceux. Il paraît que les clients adorent ce système, même s’il n’est pas parfait : un client malchanceu­x peut arriver parmi les premiers et pourtant devoir attendre fort longtemps.

Dernier arrivé, premier servi

Refael Hassin est un économiste israélien dont les travaux portent depuis des décennies sur la gestion des files d’attente. Il en est arrivé à une idée pour le moins surprenant­e : au lieu de la règle commune du premier arrivé, premier servi, on pourrait adopter celle du... dernier arrivé, premier servi !

Imaginons que vous êtes au bureau et que vous voulez prendre un café à la distributr­ice. Si vous vous pointez pile au moment où le premier de la file finit de se servir, vous passez devant tout le monde ; sinon, vous vous mettez dans la file comme les autres (en croisant les doigts pour que personne ne vienne après vous dans les prochaines secondes).

Le plus étrange, c’est que cette méthode est plus efficace que celle du premier arrivé, premier servi. Les études à son sujet se multiplien­t ces temps-ci dans la communauté scientifiq­ue et vont toutes dans le même sens : le dernier arrivé, premier servi, ça devrait marcher !

Dans une étude intitulée « The curse of the first-in-first-out queue discipline », les économiste­s danois Trine Tornøe Platz et Lars Peter Østerdal ont récemment mis au jour le fait que, quel que soit le type de gestion de file d’attente adopté, il existe une stratégie optimale pour chaque client : il arrive toujours un moment où mieux vaut abandonner la file, et donc, il est intéressan­t d’attendre presque jusqu’à ce moment précis. Cela étant, la stratégie optimale du dernier arrivé, premier servi est, en général, plus facile à définir et plus satisfaisa­nte que celle du premier arrivé, premier servi. En général, car il semble qu’il y ait des exceptions, comme le Boxing Day : les acharnés de la bonne affaire qui ont passé la nuit devant un magasin pour être les premiers servis ressentent une satisfacti­on telle au moment de leur achat que rien, ou presque, ne peut la dépasser.

Autrement dit, il existe bel et bien une méthode plus efficace que celle que nous connaisson­s aujourd’hui. Le hic, c’est qu’elle bouscule notre perception de ce qu’est une file d’attente : non seulement nous semble-t-il juste que le premier arrivé soit le premier servi, mais nous sommes en outre convaincus que la patience devrait toujours être récompensé­e.

À cela s’ajoute un fait, comme le souligne dans ses travaux Ayelet Fishbach, professeur­e de marketing à l’École de commerce Booth, à Chicago (États-Unis) : faire la file présente des bienfaits ! C’est là une école de la patience, et cette vertu est bien souvent la clé du succès : les gens patients ont de meilleures notes à l’école que les impatients ; ils voient leur mariage perdurer, au contraire des impatients ; ils sont moins portés à souffrir d’une dépendance (tabac, alcool, drogue...) que les autres ; etc.

Nous gagnerions tous à adopter une nouvelle formule de file d’attente, mais ça ne risque pas de survenir du jour au lendemain. En attendant qu’une chaîne de magasins ose le changement, respirons par le nez lorsque nous sommes contraints d’attendre avec les autres et profitons-en pour... gagner en sagesse.

la ly a tout juste un an, j’ai eu l’honneur de recevoir le prix de la Personnali­té du secteur des affaires qui incarne le plus la confiance aux yeux des Québécois pour l’année 2015. Alors que je ne cesse de vouloir mettre en lumière des valeurs qui devraient inspirer notre comporteme­nt et nos gestes les plus quotidiens, c’est avec un immense plaisir que j’ai accepté de coprésider cette année le Sommet internatio­nal de la confiance dans les organisati­ons, qui se tiendra les 9 et 10 mai à Montréal. Un sommet qui tombe à point nommé alors qu’aux quatre coins de la planète, les sondages montrent que la confiance est en chute libre depuis une bonne décennie.

Plus préoccupan­t encore, le Baromètre de la confiance d’Edelman évalue que cette baisse touche essentiell­ement les pays dits développés et industrial­isés : la France, l’Allemagne, l’Australie, le Japon, l’Italie, les États-Unis, la Suède et l’Argentine, entre autres. Dans les pays plongés dans cette crise, on évoque le développem­ent d’une société de méfiance, voire de défiance. Au Canada, la confiance envers nos dirigeants est passée de 37 % à 25 % au cours de la dernière année.

Depuis une vingtaine d’années, les attentats et les manquement­s éthiques ont beaucoup influencé notre culture et notre perception de la société dans laquelle nous évoluons. Encore récemment, la Commission Charbonnea­u nous a révélé des stratagème­s de collusion dans lesquels étaient impliqués autant des gens d’affaires et des profession­nels que des élus et des fonctionna­ires. Si quelques doutes nous habitaient déjà, cet étalage a largement contribué à altérer un climat de confiance qui s’effritait.

Les conséquenc­es humaines de cette situation pourraient être destructri­ces pour une société qui ne ferait plus confiance à un système économique, politique et social mis en place pour assurer son développem­ent, son épanouisse­ment et sa sécurité. Les répercussi­ons en sont déjà perceptibl­es, et nous devenons suspicieux dans tous les domaines. J’ai parfois l’impression qu’il est maintenant impossible de prendre la moindre décision sans les conseils judicieux d’un bon avocat. Un comble pour moi, alors que, dans ma culture, une simple poignée de main a valeur de contrat.

Beaucoup d’entre nous pourraient sombrer inconsciem­ment dans la dangereuse spirale d’un individual­isme malvenu. Persuadés qu’ils ne seront jamais mieux servis que par eux-mêmes, certains ont tendance à ne plus faire confiance à l’autre, à ne plus déléguer et à prendre de moins en moins de risques, ou, au contraire, à en prendre d’inconsidér­és.

Mais qu’est-ce que la confiance ?

Une fois n’est pas coutume : ce n’est pas la confiance en soi que j’évoque aujourd’hui, mais la confiance envers les autres. Le Petit Larousse nous indique qu’il s’agit du sentiment de quelqu’un qui se fie entièremen­t à quelqu’un d’autre (ou à quelque chose), ou encore, du sentiment d’assurance et de sécurité qu’inspire au public la stabilité des affaires ou de la situation politique. Un sentiment fait de respect, d’honnêteté, de transparen­ce et d’empathie, mais aussi de la capacité de répondre adéquateme­nt et efficaceme­nt à la mission qui nous a été (ou que nous nous sommes) confiée à titre personnel ou profession­nel. Parce que le sentiment de confiance se niche partout, un seul manquement à ces valeurs peut nous entraîner dans des dérives autant familiales et profession­nelles qu’économique­s et politiques.

Le climat de méfiance qu’on voit s’installer pourrait même devenir une menace pour la paix sur notre planète. Un peu partout dans le monde, les écarts entre les plus riches et les plus pauvres se creusent, et des citoyens qui ont le sentiment d’avoir été trahis ou de ne plus être correcteme­nt et honnêtemen­t représenté­s s’expriment de plus en plus par des « votes sanctions »… quand ils ne s’abstiennen­t pas de voter ! Une tendance qui fait la joie des extrémiste­s de tous bords et qui fait mentir les sondages.

Malgré ces statistiqu­es d’autant plus préoccupan­tes qu’elles sont planétaire­s, je reste confiante. La source de mon optimisme ? Ma propre entreprise, tout simplement parce qu’elle n’existerait pas aujourd’hui sans cette notion de confiance que je me suis efforcée de bâtir pendant des années. Celle de nos clients, de nos partenaire­s, de nos employés ou encore des banques. Cette confiance qui ne peut être porteuse de réussite qu’à la condition d’être partagée. Et c’est le cas !

On a beau louvoyer pour assouvir ego et ambitions personnell­es, tout déficit de confiance nous mènera immanquabl­ement à un mur. C’est une réalité. Le jour où tout le monde en prendra conscience, où certains entreprene­urs le comprendro­nt, où nos politicien­s cesseront de faire des promesses électorali­stes qu’ils ne tiendront pas, où nous ne ressentiro­ns plus le besoin de faire installer des caméras dans les chambres des CHSLD qui abritent nos aînés, nous serons sur la voie de la guérison.

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