Les Affaires

Comment Jean- Guy Desjardins a bâti Fiera

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc srolland_la Portrait

Simple « mode », la popularité de la gestion indicielle ne représente pas une menace pour les gestionnai­res d’actifs comme Fiera (FSZ, 13,64$), assure son pdg Jean-Guy Desjardins. L’avenir de l’industrie se trouve plutôt dans la gestion alternativ­e, estime l’entreprene­ur qui a récemment accordé une entrevue à Les Affaires, en marge du lancement d’une biographie portant sur son enfance et sa carrière.

« Ça fait quarante-sept ans que je suis dans le métier et c’est la troisième vague indicielle que je vois. Ça vient et ça part », relativise-t-il en entrevue, assis dans une petite cafétéria lumineuse de HEC. À ses côtés se trouve Jacqueline Cardinal, chercheure associée à la Chaire de leadership Pierre-Péladeau de HEC Montréal, qui publie Jean-Guy Desjardins, le phénix de la finance. Depuis 2013, Mme Cardinal, qui en est à sa neuvième biographie de leader, a réalisé sept entretiens avec le financier afin de retracer son histoire.

Dans le livre, elle raconte, entre autres, que Jean-Guy Desjardins était fasciné par la « théorie moderne du portefeuil­le ». Cette approche développée par des chercheurs américains vise à déterminer la diversific­ation optimale d’un portefeuil­le. Or, à l’époque, le milieu de la finance montréalai­s fonctionna­it encore beaucoup « à l’instinct », ce qui a permis à M. Desjardins de faire sa marque en mettant en pratique la théorie.

La gestion indicielle pourrait-elle être la prochaine révolution pour l’industrie? Celle-ci séduit même les investisse­urs institutio­nnels. Signe des temps, autour de 60% de la pondératio­n en actions américaine­s des régimes de pension gouverneme­ntaux américains est aujourd’hui investie de façon indicielle, selon une recherche de la firme Greenwich Associates. Ce poids était de 38% en 2012.

M. Desjardins répond que ce sont plutôt les stratégies de placements alternatif­s qui sont à « l’avant-garde du monde du placement ». « Les actifs traditionn­els, comme les actions et les obligation­s, ont encore leur place, mais aujourd’hui tout ce qui est infrastruc­ture, immobilier, crédit alternatif prend plus de poids, explique-t-il. Il y a des multitudes de stratégies de placement aujourd’hui. »

Il reconnaît que la gestion indicielle représente un risque pour les services financiers de détail et les sociétés de fonds communs, qui servent les plus petits investisse­urs, mais pas réellement pour le gestionnai­re institutio­nnel. « C’est utile pour le petit investisse­ur qui a un REER de 200000$, qui n’a pas accès aux mêmes services que les grands investisse­urs institutio­nnels qui vont chez nous. C’est un segment de marché qui n’a rien à voir avec ce que nous faisons. » Un enfant turbulent décrocheur Dans son livre, Jacqueline Cardinal qualifie Jean-Guy Desjardins de « phénix de la finance ». Cette comparaiso­n avec l’oiseau mythique qui renaît de ses cendres est inspirée de deux retours en force inattendus de l’entreprene­ur.

Le premier épisode a lieu à la fin de l’adolescenc­e. Le jeune Jean-Guy Desjardins est un élève turbulent, qui s’est fait expulser de plusieurs écoles, apprend-on dans le livre de près de 200 pages. S’il parvient à obtenir de bonnes notes lorsqu’un professeur éveille sa curiosité, ses résultats laissent à désirer si l’intérêt n’est pas au rendez-vous.

Après la dernière expulsion de son fils de 16 ans, Yvette Desjardins, la mère de l’étudiant dissipé, le force à entrer sur le marché du travail. Le jour même, il trouve un emploi de téléphonis­te pour une entreprise de recouvreme­nt. Cet emploi au centre-ville de Montréal l’amène à fréquenter la Bourse de Montréal. Sa fascinatio­n pour l’ambiance sur le parquet lui donne envie de reprendre ses études afin de travailler dans la finance. Cette fois sera la bonne, au grand soulagemen­t de sa mère. Une mère inspirante De toutes les personnes qui ont partagé la vie profession­nelle et intime de l’homme d’affaires, c’est sa mère qui est la plus marquante. « Oui, elle a vraiment eu une grande influence sur M. Desjardins », acquiesce Mme Cardinal en entrevue avant que le principal intéressé ne vienne nous rejoindre quelques minutes plus tard.

Mère au foyer, comme c’était la norme dans les années 1950, Mme Desjardins n’en était pas moins ambitieuse et reprochait même à son mari de ne pas l’être assez. Gérant le modeste budget d’une famille de la classe moyenne, elle trouve le moyen d’exprimer cette ambition en achetant un duplex à Montréal. Son fils l’accompagne­ra d’ailleurs dans ses recherches.

Dans son livre, Mme Cardinal évoque l’hypothèse que Mme Desjardins a transmis cette ambition à son fils. M. Desjardins reconnaît que sa mère a eu une grande influence sur sa vie en lui transmetta­nt les valeurs d’honnêteté qu’il a aujourd’hui. « C’est elle qui définissai­t les lignes rouges entre lesquelles on pouvait se promener. Elles n’étaient pas très larges, dit-il un rire dans la voix. Quand je m’écartais, elle me ramenait. » Deuxième vie profession­nelle La deuxième résurrecti­on est survenue après que M. Desjardins ait été forcé de vendre TAL Gestion globale d’actifs en 2001 à la Banque CIBC, qui y détenait une participat­ion importante. Déçu d’avoir perdu l’entreprise qu’il avait mis trente ans à bâtir, l’homme d’affaires entame un nouveau départ dans sa vie profession­nelle et personnell­e. Il se relance en affaires, se remarie et fonde une nouvelle famille.

Sa deuxième vie profession­nelle mène à la création de Fiera. La firme de gestion d’actifs montréalai­se connaît une progressio­n fulgurante. M. Desjardins investit dans une entreprise qui offre des services financiers dans le secteur de la constructi­on, puis acquiert Elantis, une filiale en gestion de placements du Mouvement Desjardins.

En 2012, l’achat de Natcan, une filiale de la Banque Nationale, est un moment charnière pour l’entreprise. Près de 25 G$ d’actifs sous gestion de Natcan viennent se greffer aux 22G$ d’actifs du gestionnai­re de portefeuil­le montréalai­s. « Fiera franchit une étape marquante de sa croissance en élargissan­t considérab­lement l’importance de ses actifs sous gestion de même que l’éventail et la profondeur de ses stratégies de placements », résume MmeCardina­l dans son livre. Prochaine étape Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’actif de 116,9 G$ à la fin 2016 est bien supérieur aux 65 G$ gérés par TAL Gestion globale au moment où Jean-Guy Desjardins avait vendu Fiera. La firme veut maintenant porter cette valeur à 200 G$ d’ici 2020. Pour ce faire, la direction souhaite croître par acquisitio­ns et afficher une croissance interne de près de 5% par année.

En entrevue, Jean-Guy Desjardins assure qu’il reste des occasions d’acquisitio­ns. Il dit « toujours » surveiller une liste d’une dizaine d’occasions possibles d’acquisitio­ns. « Parfois, on en élimine et d’autres s’ajoutent, mais nous sommes toujours actifs sur une dizaine de noms. » Le processus peut prendre du temps. Avant d’acheter Charlemagn­e à Londres au cours de l’automne 2016, Fiera a courtisé l’entreprise pendant 18 mois, souligne-t-il. Récession Au moment où certains économiste­s redoutent que le cycle économique soit trop avancé, les objectifs de Fiera pourraient-ils être mis à mal advenant une récession? « C’est sûr que s’il y a une récession, ça aura un impact sur la taille de notre actif sous gestion et, par le fait même, sur nos revenus, qui sont liés à cette taille, répond-il. Ça nous imposera une rationalis­ation. »

Une baisse de la valeur des portefeuil­les n’est toutefois pas la fin du monde si on parvient à protéger l’actif de ses clients, ajoute-t-il. « Dans ma "business", ce qui est important, c’est le rendement relatif, précise-t-il. Si le marché chute de 40% et que mes portefeuil­les reculent de 25%, je suis un héros. Nos clients seront très heureux de ne pas avoir perdu 40% », avance l’homme, visiblemen­t confiant de la valeur ajoutée de sa méthode.

Une récession pourrait également créer des occasions, selon lui. « Ça peut inquiéter bien des petits gestionnai­res qui pourraient être intéressés par un mariage auquel ils n’auraient pas vu de mérite auparavant, nuance-t-il. En partant, une entreprise qui est à vendre, ce n’est pas parce qu’elle va bien. C’est que ses dirigeants sont inquiets de leur capacité à relever certains défis. »

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