L’approche québécoise, un modèle à exporter
Pas de doute, la ruée vers l’âge d’or est commencée. L’équation est simple : parce que la demande pour de nouvelles résidences pour personnes âgées croît de façon soutenue, l’offre se développe. Et en parallèle, le marché se transforme. L’ère où la soirée de bingo était le point d’orgue de la semaine est révolue. Les nouveaux complexes pour aînés ont plus à voir avec de luxueux tout compris aux mille et un services.
Ce n’est plus un secret pour personne, le vieillissement de la population québécoise suit un rythme effréné. Conséquence, l’offre actuelle de places en résidence ne suffit plus. Surtout en ce qui a trait aux produits haut de gamme.
Entre 2015 et 2016, le taux d’inoccupation dans ce secteur a baissé de 7,3% à 6,8% au Québec. Une chute qui s’avère beaucoup plus prononcée quand les prix sont plus élevés, selon les données produites par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) que nous avons colligées. Les taux d’inoccupation des places entre 1 601 $ et 1 900$ et au-delà de 1 901$ ont dégringolé de 11,3 % et de 12,5% respectivement pendant la même période.
La logique de l’offre et de la demande s’est donc appliquée. En fait, la proportion d’unités dans les catégories au-dessus de 1 600$ est en nette hausse, alors que le pourcentage de places en résidence en deçà de 1 600$ a diminué. Règle
générale donc : plus c’est cher, plus il y a de croissance !
« Il a fallu une quarantaine d’années pour arriver à environ 400 000 places au Canada, explique Maxime Camerlain, vice-président marketing chez Chartwell, un géant du secteur. Dans les 20 prochaines années, il faudra bâtir 600 000 nouvelles unités simplement pour maintenir notre taux de pénétration dans le marché », pense-t-il.
Vous avez bien lu. C’est le Pérou. Il y a un marché à conquérir, et les places se louent à prix d’or.
Une structure qui marche
Et l’eldorado est bien québécois cette fois. « Bien sûr que la courbe démographique explique une partie du boom, affirme Yves Desjardins, président-directeur général du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA). Mais ici, le taux de pénétration est très élevé. Au Québec, ce sont environ 18,5 % des gens de 75 ans et plus qui vivent en résidence. Dans le reste du Canada, la proportion oscille entre 4 % et 6 %. Une partie de l’explication repose sans doute sur le crédit d’impôt provincial pour le maintien à domicile. »
Puis, le Québec est l’endroit qui compte le plus faible taux de propriétaires au pays, à 61,2 % comparativement à la moyenne nationale de 69 %, selon les dernières données du recensement rendues publiques par Statistique Canada. Les Québécois sont donc plus portés vers la location, ou plus volontaires à louer, que leurs homologues canadiens.
Facteurs culturels, sans doute, mais pas seulement : le modèle des résidences de la Belle Province diffère aussi. M. Camerlain, de Chartwell, qui possède 42 établissements au Québec, remarque que « nos immeubles ici comptent souvent entre 200 et 350 unités, alors qu’en Ontario, c’est plutôt entre 125 et 150. C’est un modèle que nous voulons exporter. »
Plus d’unités, plus d’économies d’échelle. En outre, l’offre de services au Québec se fait souvent à la carte. Une manière de mieux s’arrimer à la capacité de payer de tout un chacun. « Ici, les gens entrent dans les résidences et choisissent les services qu’ils veulent, dit Michel Bouchard, vice-président immobilier au Groupe Maurice. En Ontario ou en Alberta, c’est souvent un ensemble, un package que les clients doivent acheter. Ils vont souvent en résidence alors qu’ils sont plus vieux. [Les autres provinces] sont en train d’importer notre modèle. C’est sûr qu’une clientèle qui combine plus jeunes et plus vieux, ça fait baisser les coûts. » Moins de soins coûteux, moins de roulement, les gestionnaires ont tout à gagner à rajeunir leur clientèle.
Tendances lourdes
Afin de rajeunir le bassin de locataires, voire simplement pour maintenir leur taux de pénétration, les propriétaires et gestionnaires de résidences sont en train de prendre un virage vers la modernité. Exit le cliché du « manger mou ».
D’abord, le contenant. Les complexes d’habitation pour personnes âgées sont de plus en plus léchés, orientés vers l’importance du design. « Je suis architecte de formation, raconte Gaëtan Cormier, premier vice-président développement, chez Réseau Sélection. J’ai participé aux changements dans la conception des immeubles. C’est que la perception des clients a beaucoup évolué, leur mode de vie aussi. Selon les gammes de prix, les plafonds sont plus hauts, les fenêtres sont plus grandes, les matériaux sont plus nobles. »
Les espaces communs sont aussi plus aérés, plus lumineux. Quant aux services offerts dans ces immeubles, ils tendent à se multiplier. Chez Cogir, qui possède entre autres les résidences Jazz, on est en train de tester un service d’autopartage à Drummondville. Au Groupe Savoie, derrière les Résidences Soleil, on nous parle de chapelles, de bibliothèques, de spas, de piscines, de terrasses, de sorties. « Ce sont de gros Clubs Med pour les personnes du bel âge, lance Nataly Savoie, présidente exécutive. Il y a des gens qui n’ont jamais connu cette qualité de vie-là. »
Et pour le Groupe Savoie, qui ne se spécialise pas dans le haut de gamme, mais plutôt dans les produits plus abordables, il s’agit d’une niche extrêmement intéressante. « Disons qu’une dame de 82 ans n’a pas beaucoup de moyens, parce qu’elle n’a pas travaillé à l’extérieur de la maison, explique Nataly Savoie. Je suis capable de la loger pour un coût réel de 1 200 $ par mois. Il lui reste quand même quelques centaines de dollars par mois.