Les petites résidences pour aînés en mode survie
En 2009, on recensait plus de 2 200 résidences pour aînés au Québec. Aujourd’hui, on en compte 1 840. Et le resserrement n’est pas terminé, soutient Yves Desjardins, président du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA). « Si le gouvernement n’assouplit pas ses cadres règlementaires, 300 autres résidences, pour la plupart situées dans les régions rurales du Québec, vont disparaître d’ici 2020 », avertit-il.
Des formations et des dizaines de certifications désormais obligatoires, un code du bâtiment devenu le même pour toute résidence peu importe le nombre d’unités, obligeant l’installation de gicleurs, d’un système d’alarme relié à une centrale, de portes coupe-feu… « En soi, toute cette réglementation n’est pas mauvaise. Au contraire, notre industrie, comme plusieurs autres secteurs, devait se professionnaliser. Résultat ? Les cow-boys, qui n’étaient là que pour l’investissement et non pour le bien-être des aînés, ont quitté le marché », poursuit M. Desjardins. Et la tragédie de L’Isle-Verte, dit-il, est encore fraîche dans les mémoires. « On veut éviter que ça se reproduise. »
Mais voilà, plus de la moitié des résidences privées pour aînés (1 140) comptent moins de 50 chambres, et 650 d’entre elles en comptent même moins de 10. « Toutes ces nouvelles mesures ont pour effet d’étouffer des centaines de propriétaires de petites résidences qui ont très peu d’aide, très peu de ressources, ne serait-ce qu’un prêt de la part de leur institution financière, pour subvenir aux travaux, aux achats d’équipements et aux besoins de leur entreprise », concède M. Desjardins.
Propriétaire de deux petites résidences de sept et de neuf chambres à Senneterre, en Abitibi-Témiscamingue (Soleil et Arc-en-ciel, et Soleil sur La Belle), Sylvie Chabot-Roy a frappé, l’an dernier, à la porte de toutes les institutions financières de sa région. Elle avait besoin d’un prêt de 110 000 $ pour la mise à niveau d’un de ses immeubles, un ancien presbytère qu’elle a transformé en résidence. « Seule la Société d’assurance-dépôts du Canada [SADC] a accepté de m’accorder ce prêt… à un taux de plus de 7% », dit-elle. Elle a aussi pigé dans ses REER.
Claire Normand, une jeune quinquagénaire préposée aux bénéficiaires, soutient s’être offert le plus beau cadeau de sa vie en achetant la résidence Bois de Rose, à Nicolet, en 2011. Un cadeau de 1,4million de dollars. Pourtant, elle avoue avoir pleuré pendant les trois premières années suivant l’acquisition. « C’était la dixième résidence que je visitais. J’ai eu le coup de foudre pour cette entreprise de 31 unités réservées exclusivement à des personnes souffrant d’Alzheimer, dit-elle. Cependant, une fois le contrat signé, j’ai appris que la résidence n’était pas conforme aux nouvelles règlementations. J’ai dû verser 360 000 $ pour mettre à niveau la résidence. Ce n’était pas du tout prévu au budget. »
Et cette entrepreneure, qui gère maintenant 27 employés, a aussi appris qu’une résidence, ça ne s’achète pas sans l’avoir visitée de fond en comble. « L’ancienne proprio craignait d’insécuriser les familles des résidents et le personnel, alors j’ai eu droit à une visite sommaire de la résidence. Je lui ai fait confiance. Erreur. Une fois les clés en main, j’ai découvert que les matelas étaient complètement usés et devaient être remplacés. Tout comme les deux congélateurs. Heureusement, ces investissements ont été remboursés », raconte-t-elle. Les propriétaires de petites résidences ont aussi peu de répit. La plupart habite les lieux afin d’en assurer la surveillance. Du coup, le « sept jours sur sept, 24 heures sur 24 » devient leur horaire. C’est le cas de Julie Dubé, 44 ans, propriétaire de la Maisonnée du Mieux-Être, à Saint-Alexandre-de-Kamouraska, depuis l’été 2016. « Ça me prend absolument une personne détenant une certification Principes pour le déplacement sécuritaire des bénéficiaires (PDSB) sur place pendant mon absence. Pourtant, mes huit locataires sont autonomes. » Heureusement que sa mère, ex-préposée aux bénéficiaires, peut venir surveiller la maison lorsque Julie Dubé doit aller faire l’épicerie à Rivière-du-Loup.
Ce besoin de surveillance constant soulève un autre problème. Tout le personnel doit maintenant être certifié, y compris un bénévole qui voudrait assurer la surveillance pendant l’absence de la propriétaire. Le gros bémol, explique Mme Dubé, c’est qu’il faut payer cette certification et les heures de l’employé durant sa formation. « Et rien ne garantit que cet employé, une fois formé, demeurera avec l’entreprise. En fait, plusieurs résidences profitent actuellement de la situation. Elles offrent un salaire horaire plus élevé aux travailleurs formés aux frais d’une autre. Ne serait-ce que 50 cents de plus. Du coup, on perd notre maind’oeuvre… et notre investissement », décrit Julie Dubé.
Et la rentabilité ?
Les petites résidences peuvent difficilement ajuster le coût de location aux frais qui leur sont présentement imposés. À Senneterre, Sylvie Chabot-Roy estime que les soins et les services offerts à sa clientèle valent amplement 2 000 $ par mois, mais c’est impossible de demander un tel prix. Du moins, pas en Abitibi. « La plupart de mes locataires, principalement des veuves, peinent à payer des loyers de 1 250 $ et de 1 450 $ de mes deux résidences. Leur chèque de pension ne suffit pas. Par conséquent, c’est moi qui écope. Depuis que j’ai acheté ma première résidence en 2012, je ne me suis versé aucun salaire. Le seul avantage est que mon entreprise me permet d’être logée et nourrie. Pour le reste, je dois me fier aux chèques de pension que mon conjoint et moi recevons », soutient la propriétaire de 65 ans, qui souhaite pouvoir tenir le fort le plus longtemps possible.
À ce propos, les propriétaires vieillissent eux aussi. On commence à voir des locataires plus jeunes que leurs propriétaires. À Mont-Laurier, à la résidence Villa des Violettes, l’un des 12 locataires est d’un an le cadet du propriétaire Gilles Doré, âgé de 70 ans. Et bien que celui-ci commence à songer à la retraite, les acheteurs ne font pas la file.
Le RQRA multiplie actuellement les représentations auprès du gouvernement pour qu’on donne une chance aux propriétaires de petites résidences privés qui s’accrochent malgré tout, qui veulent venir en aide aux aînés de leur village. « Chaque fois qu’une petite résidence ferme ses portes, les aînés qui y étaient hébergés sont généralement transférés dans un CHSLD. Faut-il rappeler que chaque lit en CHSLD coûte en moyenne 7 000 $ par mois au gouvernement, soit cinq fois plus que ce que paie un locataire en résidence privée ? Il y aurait avantage à aider les petites résidences en milieu rural et à assurer leur survie », conclut M. Desjardins.
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Tant mieux si la quantité de logements pour personnes âgées augmente, la demande est là. Le hic, c’est que ces unités sont de plus en plus chères. Selon le ministère de la Famille du Québec, le revenu disponible pour les citoyens de 65 ans et plus en 2012 était de 28 000 $, alors qu’un an plus tard, en 2013, il chutait à 27 200 $. Et les femmes sont de loin les moins nanties, avec 23 000 $ de revenus moyens comparés à 32 300 $ pour les hommes en 2013. Et comme Les Affaires l’a découvert, la progression des unités qui coûte plus de 1 600 $ par mois est en hausse depuis au moins 2015. Bref, c’est bien de construire des résidences privées, mais est-ce que nos aînés peuvent se le permettre ? Nous en avons discuté avec Hélène Pigot, professeure à la Faculté des sciences de l’Université de Sherbrooke et chercheuse au Centre de recherche sur le vieillissement.
LES AFFAIRES – Est-ce que nos personnes âgées peuvent s’offrir des places en résidences privées ? HÉLÈNE PIGOT
– Certaines personnes oui, mais d’autres vont devoir rester à domicile, dans des conditions souvent difficiles. Il n’y a pas beaucoup d’offres dans les logements abordables, comme des coopératives, et éventuellement, la société va devoir y faire face. Autre problème, c’est que quand ces gens-là vont connaître des problèmes de santé, qu’ils vont se dégrader, ils vont devoir aller en CHLSD. Et ces centres d’hébergement et de soins longue durée manquent de ressources. Les employés sont débordés. En fait, tant que les personnes âgées ont de l’argent et sont en santé, ça va. Mais même si quelqu’un a des moyens, et je sais que les employés des résidences privées ont bon coeur et veulent les garder, si elles sont malades, on a un problème. Aucun doute, il faut absolument investir plus d’argent.
L.A. – Selon vous, il faut donc investir plus de ressources, mais en quoi ? Et est-ce qu’il existe des modèles intéressants desquels nous inspirer ? H.P.
– Nous sommes toujours dans une logique « hôpital » ou d’interventions chirurgicales. Il faut vraiment s’attaquer au maintien à domicile. C’est sûr que ça coûte moins cher à l’État que les gens restent chez eux, s’ils le veulent. Je crois qu’au Québec, nous sommes des élèves plutôt médiocres en ce qui a trait aux soins pour nos personnes âgées. En Finlande, par exemple, ils sont très avancés sur l’équipement technologique. C’est possible de savoir si une personne qui reste chez elle et qui a un problème d’ordre cognitif suit son rythme normal avec des outils connectés, ou si la personne sort moins que d’habitude. On peut le savoir avec des objets connectés. En France aussi, je trouve, les assureurs ont compris que d’investir dans les soins et les outils technologiques pour personnes âgées, c’est une bonne idée. Au Québec, je sens un éveil, mais les compagnies d’assurances n’ont pas encore compris que ça leur coûterait beaucoup moins cher d’investir dans nos aînés.
Quels sont les outils qui pourraient nous aider à prendre soin des citoyens québécois vieillissants ?
H.P. – Nous travaillons sur des applications qui sont adaptées, avec un graphisme et une taille de caractères qui conviennent aux personnes âgées. Ça peut être aussi simple que des applications sur téléphone intelligent qui les aident à faire la cuisine, à leur rappeler que les ronds du four sont allumés. Ou encore, des objets connectés qui nous avertissent si les personnes sont levées ou pas, ou qu’ils ont des rendez-vous médicaux qui sont prévus. Ça sauve beaucoup de temps au personnel. Il nous faut absolument investir là-dedans.
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Le Québec est devenu un modèle au pays pour le choix des beaux complexes modernes de résidences pour aînés retraités et autonomes. Pourtant, plusieurs s’inquiètent du nombre peu élevé de résidences avec unités de soins pour personnes en perte d’autonomie.
Le député caquiste François Paradis, responsable de la santé pour son parti, est l’un de ceux qui sonnent régulièrement l’alarme. Il y a deux ans, son parti a analysé le marché des CHSLD. Les temps d’attente pour une place dans ces résidences publiques avec soins ont atteint plus de 300 jours dans plusieurs régions. Dans Chaudière-Appalaches, nous dit-on au bureau du député Paradis, à Lévis, c’est plus de deux ans d’attente. Seule une poignée de régions, soit la Mauricie, le Saguenay–Lac-Saint-Jean et l’Estrie, comptent moins de 50 jours d’attente. Au total, on estime que plus de 3 000 personnes attendent une place dans une résidence avec soins.
Alors que la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) recense plus de 118 000 places en résidences pour aînés au Québec, le nombre de places en résidences avec soins se situe autour de 43 000. Comment expliquer cette différence ? Qu’attendent les promoteurs pour offrir davantage d’unités avec soins ? « La majorité des gros promoteurs immobiliers ne veulent pas investir dans ce type de résidences. Et ce, pour deux raisons : soit les gens n’ont pas la capacité de payer pour ce type d’unité qui se loue entre 3 500 et 8 000 $ par mois, soit ils n’ont carrément pas envie de le faire. Notre système de santé ne nous a pas habitués à payer pour recevoir des soins. Plutôt que de payer pour loger leurs parents en résidence privée avec soins, les gens attendent qu’une place se libère en CHSLD », indique Claude Paré, président et cofondateur de Visavie, un centre de référencement de résidences pour aînés.
Il faut comprendre que les unités dans les résidences pour aînés autonomes coûtent en moyenne de 115 000 à 160 000 $ à construire. Une unité de type CHSLD coûte, pour sa part, de 200 000 à 300 000 $. « Et ce n’est que le bâtiment. Il faut ensuite payer le personnel, ce qui fait augmenter la facture », indique M. Paré.
Fondée en 1988, Visavie aide les personnes de plus de 60 ans à trouver un milieu de vie adéquat en fonction de leurs besoins actuels. Depuis cinq ans, M. Paré assiste à une hausse de 5 % par année de la demande pour des résidences avec soins. « On reçoit en moyenne de 150 à 200 appels par semaine pour des services et des conseils. Plus de 75 % de ces appels proviennent d’enfants dont un ou les deux parents sont en perte d’autonomie et nécessitent des soins », dit-il.
Afin de satisfaire à la demande, Visavie a lancé, il y a trois ans, un service d’aide à domicile (jaidemesparents.ca) pour l’accompagnement, l’aide aux bains, la préparation de repas. « Nous avions à peine 10 employés il y a deux ans. Nous en comptons aujourd’hui 140. Et nous en aurons 200 d’ici la fin de l’année 2017 », signale M. Paré.
Ironiquement, poursuit M. Paré, ce n’est pas que des aînés habitant dans leur demeure qui ont recours à ces services : plus de 25 % de la clientèle de l’aide à domicile vit en résidence pour aînés.
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