Les Affaires

QUAND L’IMPACT SUR LE TERRAIN FACILITE LE FINANCEMEN­T

- Benoîte Labrosse redactionl­esaffaires@tc.tc

Au cours des dernières années, les organismes à but non lucratif (OBNL) ont « pris la pleine mesure de la fin de l’État providence », constate Johanne Turbide, cofondatri­ce et codirectri­ce du Pôle IDEOS, acronyme d’Initiative­s pour le développem­ent d’entreprise­s et d’organisati­ons à vocation sociale.

« Les subvention­naires gouverneme­ntaux ont vu leurs budgets diminuer, donc les organismes se sont retrouvés avec un financemen­t traditionn­el réduit ou plus précaire. Ils ont dû déployer toutes sortes de moyens pour varier leurs sources de revenus », explique celle qui est aussi professeur­e titulaire au Départemen­t de sciences comptables de HEC Montréal.

En plus d’augmenter la concurrenc­e entre les OBNL pour les ressources financière­s, cette nouvelle donne en a poussé davantage à se tourner vers des activités d’autofinanc­ement. « À l’Associatio­n des profession­nels en gestion philanthro­pique [APGP], nous sommes beaucoup interrogés sur les collectes de fonds par des organismes qui n’en ont jamais fait, confirme la directrice générale de l’APGP, Jacinthe Roy. Nous devons nous assurer que ces nouveaux "arrivants" puissent avoir les meilleures pratiques. » Tout en les enjoignant de ne pas se détourner de leur mission et de leur expertise première, qui est de rendre des services à la communauté.

Cet appel est complexifi­é par l’actuel écosystème de financemen­t, car « plus un organisme va demander à différents types de bailleurs de fonds de lui donner de l’argent, plus ces gens-là auront leurs propres attentes en matière de reddition de compte », fait remarquer Mme Turbide. Chaque donateur souhaite en effet s’assurer que son argent soit utilisé pour les raisons pour lesquelles il l’a donné, et demande à le constater avec des indicateur­s à la fois quantitati­fs et qualitatif­s, connus sous le nom de mesures d’impact (voir le texte en page 26). « Le comporteme­nt du donateur a évolué, renchérit Mme Roy. Il n’est plus dans une logique de don de charité, il est presque dans l’investisse­ment. »

Adapter les outils de gestion

Ce changement de culture s’accompagne d’une demande de systématis­ation des processus. « Selon beaucoup d’organismes, les bailleurs de fonds ont la perception que mettre des gens d’affaires sur un conseil d’administra­tion et se doter d’outils de gestion plus systématiq­ues les aide à être plus efficaces, raconte la professeur­e Turbide. Je crois qu’il faut prendre le temps de se parler afin de créer des outils qui vont servir les besoins de l’organisme. Il faut toujours se rappeler que celui-ci n’est pas là pour faire du profit, mais pour servir une cause. »

Jacinthe Roy atteste que les OBNL ont développé une expertise qui leur est propre. « Ils s’approprien­t certaines des façons de faire du monde corporatif, mais celles-ci ne peuvent pas passer d’un secteur à un autre aussi facilement qu’on le croit, met-elle en garde. Les organismes ne vendent pas des électromén­agers, mais provoquent des impacts intangible­s. » Ainsi, les relations avec les administra­teurs et les bénévoles ne sont pas les mêmes qu’avec des employés rémunérés, tout comme les rapports avec les donateurs et les bailleurs de fonds diffèrent de ceux qu’on noue avec les clients. « Dans le communauta­ire, les gens travaillen­t extrêmemen­t fort : l’effort qui est fourni par rapport à la rétributio­n est remarquabl­e et indéniable, et il ne faut pas oublier ça », fait valoir Mme Turbide.

Jacynthe Roy et Johanne Turbide soulignent que les travailleu­rs de ce secteur se sont « toujours considérés comme des profession­nels ». Affirmatio­n qui sera étayée dans une étude du Pôle IDEOS sur la profession­nalisation et l’attractivi­té du secteur philanthro­pique au Québec, au bénéfice de l’APGP. L’étude devrait être publiée à temps pour le Grand rendez-vous de la philanthro­pie, les 3 et 4 mai à Longueuil.

Se perfection­ner à l’université

L’évolution des façons de faire a incité l’Université de Montréal a offrir un certificat en gestion philanthro­pique. « Auparavant, les gens se formaient sur le tas, mais il y a des compétence­s de base et de bonnes pratiques à acquérir », précise la responsabl­e du programme, Caroline Bergeron. Depuis les débuts du certificat en 2009, 250 étudiants s’y sont inscrits : 85 % sont des femmes et 80 % n’en sont pas à leur premier passage à l’université. « Le tiers de ces personnes sont là en vue d’une réorientat­ion de carrière ; ce sont souvent des gens très formés, tels des avocats, des fiscaliste­s, des spécialist­es des communicat­ions », ajoute Mme Bergeron.

Des 40 % de ceux qui travaillen­t déjà dans le domaine, plusieurs ne suivent que quelques cours afin de se tenir à jour. « Entre les débuts du certificat et aujourd’hui, la philanthro­pie est entrée dans une phase d’accélérati­on », constate-t-elle. C’est d’ailleurs pourquoi la responsabl­e planifie plusieurs changement­s au programme pour faire une plus grande place aux outils technologi­ques, aux partenaria­ts et aux capacités de plaidoyer. Sans oublier les incontourn­ables mesures d’impact.

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Les OBNL sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les activités d’autofinanc­ement.

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