Les Affaires

GOUVERNANC­E : LA LEÇON DU CAS BOMBARDIER

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La hausse substantie­lle de la rémunérati­on des six principaux dirigeants de Bombardier en 2016 a choqué les Québécois.

Devant cette colère, la société a décidé de reporter de 2019 à 2020 le droit à la partie variable (« plus de 50% », indique-t-on) de la rémunérati­on totale de ses hauts dirigeants. Les actionnair­es, les contribuab­les et les employés de Bombardier s’attendaien­t à plus de modération de la part des administra­teurs. On parle d’une augmentati­on de 48% (à 43 millions de dollars) de la rémunérati­on totale des six principaux dirigeants, mais il faut pondérer cette hausse par le fait que certains d’entre eux n’ont pas été payés pour une pleine année en 2015.

La rémunérati­on des hauts dirigeants de Bombardier n’est pas exceptionn­elle dans l’univers nord-américain, mais on comprend mal que le conseil d’administra­tion (CA) n’ait pas montré plus de modération à cet égard compte tenu du soutien financier que la société a reçu des gouverneme­nts. Il est probable en effet que Bombardier aurait été obligée de se vendre à une autre société n’eût été cet appui qui, il faut le préciser, ne comprend pas de subvention­s. Québec a investi 1,3 G$ pour obtenir une participat­ion de 49,5 % dans le programme de la C Series, qui a coûté 5 G$. Pour sa part, la Caisse de dépôt a déboursé 2G$ pour acquérir 30 % de Bombardier Transport. De son côté, Ottawa a prêté 372,5M$ sans intérêt à l’entreprise.

Ces investisse­ments, qui ont reçu l’appui de l’ensemble des Québécois, étaient justifiés puisque le chef de file de l’industrie canadienne aéronautiq­ue est aussi la plus importante société industriel­le du pays, en plus d’être sous contrôle canadien. Bombardier, qui emploie 66 000 personnes et qui a obtenu un revenu de 21 G$ en 2016, est trop importante pour qu’on la laisser tomber, à l’instar des sauvetages des grandes banques américaine­s, de General Motors et de Chrysler lors de la crise financière de 2008 et de la grande récession qui a suivi.

Le cafouillag­e survenu dans la communicat­ion de la rémunérati­on des hauts dirigeants de Bombardier résulte de deux facteurs. Le premier est l’erreur de jugement du comité de rémunérati­on du CA, des administra­teurs qui ont entériné la rémunérati­on proposée et des hauts dirigeants eux-mêmes. Ce processus se gère en vase clos, sans égard aux autres parties prenantes de la société. Le CA aurait dû comprendre le risque d’exposer la dichotomie entre, d’une part, la rémunérati­on généreuse de certains hauts dirigeants et, d’autre part, les pertes en capital des actionnair­es, les 15 000 mises à pied (dont le tiers au Québec) et les investisse­ments de l’État.

Système de rémunérati­on toxique

Cela dit, les administra­teurs de Bombardier ne sont pas les seuls à affronter la cupidité des pdg qui, chaque année, creusent l’écart entre leur rémunérati­on et celle des autres salariés.

Le deuxième facteur de cette bêtise est le système de rémunérati­on perverti des dirigeants de sociétés en Amérique du Nord. Certes, le même système existe en Europe, mais il est moins excessif. Ainsi, selon une étude faite en 2014 à l’Université Harvard, la rémunérati­on moyenne des chefs de la direction des 500 sociétés du Fortune 500 était de 12,6M$ US, comparativ­ement à 7,4 M$ en Suisse (deuxième plus élevée), 5,9 M$ en Allemagne, 4M$ en France, 3,8 M$ au Royaume-Uni, 3,6 M$ en Suède et 2,4 M$ au Japon. Autre indicateur révélateur, la rémunérati­on des pdg américains représenta­it alors 354 fois la rémunérati­on moyenne des travailleu­rs, en regard de 148 fois en Suisse, 147 fois en Allemagne, 104 fois en France, 89 fois en Suède, 84 fois au Royaume-Uni et 67 fois au Japon.

L’étude ne fournit pas de chiffres pour le Canada, mais on sait que le système de rémunérati­on des États-Unis exerce une grande influence au Canada et que les CA utilisent les mêmes conseiller­s pour établir la rémunérati­on des hauts dirigeants. Tous suivent la même méthode. Ils constituen­t un ou des groupes de référence, desquels on extraira des données comparativ­es qui permettron­t aux administra­teurs de fixer la rémunérati­on à accorder aux hauts dirigeants.

Le CA de Bombardier s’est appuyé sur deux groupes : l’un, de 37 sociétés européenne­s, pour établir la rémunérati­on de Laurent Troger, pdg de Bombardier Transport, dont le siège social est à Berlin ; l’autre, de 25 sociétés américaine­s (Boeing, GE, UTC, Textron, Raytheon, Rockwell, Caterpilla­r, Ford, etc.), pour fixer la rémunérati­on des hauts dirigeants canadiens. Toutes ces sociétés sont en bonne santé financière, alors que Bombardier a subi des pertes de 1,3 G$ en 2016 et de près de 7 G$ en 2015, en plus d’afficher un avoir propre négatif de 4,5 G$ à la fin de 2016.

La crise vécue par Bombardier semble une première pour une société inscrite en Bourse en Amérique du Nord. Aux États-Unis, des dirigeants de banque subissent des baisses de leur rémunérati­on. Il serait heureux que nos CA tirent une leçon de ce que vient de vivre la direction de Bombardier.

Les administra­teurs de Bombardier ne sont pas les seuls à affronter la cupidité des pdg qui, chaque année, creusent l’écart entre leur rémunérati­on et celle des autres salariés.

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Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ gagnejp

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