Les Affaires

Quand les travailleu­rs ne perdent pas tout en perdant leur emploi

- René Vézina

Ily a des histoires de fermeture d’usine qui se déroulent moins mal que d’autres.

Et celle qui concerne la fin des activités d’Alcan à Shawinigan pourrait, dans un monde idéal, servir d’exemple. Toutes les parties prenantes y ont contribué.

C’est là un cas exceptionn­el dont on pourrait, et devrait, s’inspirer partout au Québec quand les choses prennent une mauvais tournure.

L’avenir de l’usine était incertain. On redoutait l’éventualit­é de la fermeture à tel point qu’un fonds avait été mis sur pied dès 1994 pour la formation des salariés, au cas où… En dépendait le sort de 380 travailleu­rs et d’une quarantain­e de cadres.

Comme de fait, Alcan a cessé ses activités, mais la collaborat­ion étroite des parties prenantes, autant patronale que syndicale, ainsi que la gestion judicieuse de ce fonds, ont permis un résultat rien de moins que spectacula­ire : au bout du processus, 92 % de ceux qui étaient toujours à l’usine au moment de sa fermeture ont été en mesure de trouver un nouveau travail, souvent mieux payé du fait de la bonificati­on de leurs compétence­s ! Qui plus est, les sommes résiduelle­s, plus d’un million de dollars, servent maintenant à appuyer la formation des salariés des PME locales grâce à la création d’un nouveau fonds.

Voici comment s’est développée cette initiative hors de l’ordinaire.

Au départ, l’entreprise avait injecté 1M$ dans le fonds, auxquels s’ajoutaient 400 000 $ de l’ancienne Commission de l’emploi et de l’immigratio­n du gouverneme­nt fédéral, avec deux objectifs en vue : que les employés perfection­nent leurs compétence­s et qu’ils en acquièrent de nouvelles pour améliorer leur employabil­ité du fait de leur polyvalenc­e.

L’éventualit­é d’une fermeture se manifeste de nouveau en 2005. Elle va se préciser au fil du temps. « On trouvait que le fonds était peu utilisé, que l’échéance approchait et qu’il ne fallait surtout pas attendre à la dernière minute », dit Pierre Achim, alors directeur de l’usine rebaptisée Rio Tinto Alcan. En 2011, le comité paritaire patronal-syndical qui administre le fonds décide de faire appel à une ressource extérieure pour mettre en place un véritable programme de formation. C’est la firme André Filion & Associés qui est choisie.

« La démarche était proactive puisqu’elle a été entreprise avant la fermeture de l’usine, avec la possibilit­é qu’elle survienne même plus tôt », dit Bernard Lapointe, directeur principal au développem­ent des affaires chez André Filion, qui s’est retrouvé en première ligne de l’initiative, avec l’appui de Nancy Martin, directrice du bureau de Québec.

Entretemps, la nouvelle tombe : la clé sera mise sous la porte en 2015. Cependant, le travail de requalific­ation est déjà en cours.

Encore faut-il convaincre les travailleu­rs d’y adhérer.

En septembre 2012, l’athlète et motivateur Pierre Lavoie vient donner une conférence portant sur l’attitude des gagnants, lors d’un événement tenu sous un chapiteau, et les participan­ts sont ensuite invités à s’informer des services offerts par les représenta­nts d’André Fillion. Des bilans personnali­sés sont préparés. C’est le lancement officieux de l’offensive. Pierre Lavoie a de quoi être crédible aux yeux de ses interlocut­eurs : il a déjà vécu deux fermetures d’usine et peut faire comprendre à quel point il est essentiel de réagir.

« Son interventi­on a marqué un point tournant, dit Louis-Gérard Dallaire, qui présidait le syndicat. Son témoignage a ébranlé les gens. Ils ont compris qu’il leur fallait profiter des chances d’augmenter leur potentiel. »

On accélère le déploiemen­t du programme, encore plus novateur du fait que les ateliers sont donnés durant les heures de travail, avec l’approbatio­n de l’entreprise, qui accepte d’aménager les horaires. Des profils personnali­sés sont établis pour ajuster les formations en fonction des besoins des individus.

Dès 2013, 65 dossiers sont en marche. Le travail s’intensifie, et c’est tant mieux, parce qu’on apprend que la fermeture aura lieu plus tôt, fin décembre 2014. Le reste appartient à l’histoire.

« Je ferais la même chose si je pouvais remonter dans le temps, dit Louis-Gérard Dallaire. C’était ce qu’il fallait faire. On devait regarder en avant, et l’engagement a été plus facile parce que les relations de travail à l’usine avaient atteint un réel degré de maturité. » M. Dallaire est aujourd’hui vice-président du conseil qui gère le nouveau fonds destiné aux PME et aux organismes à but non lucratif de Shawinigan, à partir de l’argent qui demeurait dans la caisse.

Le président de ce conseil est l’ancien directeur de l’usine, Pierre Achim. « J’ai été estomaqué par la démarche et ses résultats, dit-il. Les gens devaient se responsabi­liser, et ils y sont parvenus. Je considérai­s comme essentiel que l’élan perdure, au profit des travailleu­rs et des entreprise­s locales. »

En tout cas, Bernard Lapointe trouve matière à se réjouir parce que l’issue n’était pas évidente au départ. « On s’en souviendra comme d’une histoire de prise en charge de leur destin par les personnes concernées, conclut-il. Elles ont pu prendre leurs responsabi­lités parce qu’on leur en a donné l’occasion. »

Vous trouverez, aux pages 12 à 16, d’autres textes qui parlent des défis de la Mauricie et de Shawinigan en particulie­r, aujourd’hui en pleine revitalisa­tion.

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René Vézina rene.vezina@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ vezinar

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