Les Affaires

Adieu les camionneur­s ?

- Chronique

emain, à quoi ressembler­a le camionnage? Alexandre Taillefer, ex-Dragon et associé principal de XPND Capital, le voit électrique: son entreprise Téo Cargo doit effectuer des essais de camions dotés de batteries dernier cri en 2018, l’idée étant d’assurer à moyen terme des liens entre Montréal et d’autres métropoles (Toronto, New York...). Yves-Thomas Dorval, PDG du Conseil du patronat du Québec (CPQ), le voit, lui aussi, moins polluant: « Il va falloir que cette industrie s’adapte rapidement au contexte actuel de transition énergétiqu­e vers une économie sobre en carbone », dit-il en ouverture d’un récent rapport sur l’avenir du transport de marchandis­es.

Parfait. Tant mieux si cela se produit bel et bien. Toutefois, là n’est pas le grand changement à venir pour le camionnage. Non, la révolution qui s’annonce concerne plutôt... l’irrésistib­le avènement des robots! Explicatio­n.

Le camionnage est un pilier de l’économie québécoise. Quelque 140000 véhicules lourds circulent sur nos routes pour mener à destinatio­n 56% des produits transporté­s au Québec. Le camionnage représente encore, à lui seul, 1,2% du produit intérieur brut (PIB) de la province, soit 4,6 milliards de dollars, selon les données du CPQ.

Néanmoins, ce pilier se fragilise ces temps-ci, en raison de la démographi­e: d’une part, les baby-boomers s’en vont à la retraite à la vitesse grand V; d’autre part, la relève se défile, peu attirée par des conditions de travail extrêmes (longues journées de travail, éloignemen­t familial, pression à la performanc­e...). La fragilisat­ion est si avancée que l’Associatio­n du camionnage du Québec (ACQ) a jugé bon de lancer en décembre dernier un cri d’alarme: si rien n’est fait, l’industrie n’arrivera pas à combler « les 52000 postes de camionneur­s à pourvoir d’ici 2020 ».

C’est clair, le timing ne pourrait être meilleur pour le remplaceme­nt de l’humain par le robot. Et ce, pour de multiples raisons, outre celle de pallier la pénurie de main-d’oeuvre, si l’on en croit une étude du cabinet-conseil américain McKinsey & Company dévoilée l’an dernier:

> Moins énergivore. Le « camionnage autonome », à la conduite proche de la perfection (ex.: jamais de coup d’accélérate­ur inutile), permettrai­t une économie en carburant pouvant aller, pour un véhicule de 40 tonnes, jusqu’à 28%.

> Plus rapide. Il permettrai­t de réduire le temps de trajet d’environ 5%, non pas parce que le robot roulerait toujours à la limite de la vitesse autorisée, mais parce que son ordinateur lui indiquerai­t à chaque instant la meilleure route à prendre, celle sans congestion ni ralentisse­ment.

> Moins risqué. Il permettrai­t de faire chuter de 76% le nombre d’accidents routiers impliquant un camion.

> Plus vert. Il permettrai­t de réduire d’environ 60% les émissions de CO2. Ce qui est loin d’être négligeabl­e lorsqu’on sait que le transport routier est responsabl­e de 32% des émissions québécoise­s de gaz à effet de serre, selon les données du CPQ.

À cela s’ajoute, toujours d’après McKinsey, le fait que le grand public est psychologi­quement prêt à partager la route avec des robots au volant des camions. Aux États-Unis, pas moins de 80% des gens sont ouverts à cette idée.

Autrement dit, tous les feux semblent au vert pour voir la révolution se produire sous nos yeux ébahis, à l’exception d’un seul - de taille: à moyen terme, cela ferait perdre leur emploi à... 9 camionneur­s sur 10! Le bouleverse­ment pourrait même être brutal: d’ici 2025, le tiers des camions roulant chez nos voisins du sud vont être conduits par des robots, selon les prévisions de McKinsey.

Quelles conséquenc­es aurait une telle saignée? Il est urgent d’y réfléchir collective­ment, car il convient d’éviter tout dérapage économique: en 2016, les camionneur­s français en colère contre la loi Travail ont carrément bloqué les autoroutes de la France, ce qui a créé des pénuries dans les grandes villes en quelques jours et a forcé le gouverneme­nt Hollande à revoir sa copie. Qui sait? Ce genre de scénario pourrait survenir ici même, faute de plan de match adéquat (reconversi­on profession­nelle, réorientat­ion éducative...).

En effet, la rupture paraît inévitable. Otto, la division camionnage automatiqu­e d’Uber, a réussi son tout premier test grandeur nature au Colorado, en octobre dernier: un camion sans personne au volant a traversé sans encombre le Colorado pour livrer à bon port 45000 canettes de bière Budweiser. Ce n’est donc plus de la science-fiction.

De surcroît, la grande mode actuelle dans la Silicon Valley consiste à créer une start-up spécialisé­e dans le camionnage automatiqu­e: les millions pleuvent sur ce secteur niché depuis qu’Uber a fait l’acquisitio­n d’Otto en août dernier, au prix estimé de 680 millions de dollars américains. À l’image de Starsky Robotics, de Peloton Technology et d’Embark, qui remportent ronde de financemen­t sur ronde de financemen­t et qui, du coup, avancent à pas de géant dans la technologi­e qui permettra aux robots de remplacer à jamais les camionneur­s.

Demain est déjà là. À nous de veiller à ce qu’il nous sourie plutôt que de nous faire la grimace. Et ce, en ayant le cran de réaliser que l’enjeu principal du camionnage n’est pas l’atténuatio­n de son impact écologique négatif, voire son électrific­ation, mais l’inéluctabl­e disparitio­n du métier de camionneur. Ne l’oublions pas, les vrais défis ne sont jamais technologi­ques, mais toujours humains...

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