Les Affaires

Les grands perdants de l’électrific­ation

L’électrific­ation des transports mènera à des bouleverse­ments qui ne profitent pas à tout le monde. Certaines industries et leurs entreprise­s pourraient avoir à changer leurs pratiques, au risque de disparaîtr­e. Voici quelques exemples.

- Alain McKenna redactionl­esaffaires@tc.tc

L’industrie du pétrole

C’est sur cette industrie que la menace de l’électrific­ation des transports pèse le plus lourd. D’ailleurs, quand ils se sont fait dire que les véhicules électrique­s pourraient composer 50 % du parc automobile au Canada dès 2050, les poids lourds de l’industrie nationale de l’énergie, réunis en congrès à Ottawa au début d’avril, avaient la face longue.

En effet, malgré les débuts très modestes des véhicules électrique­s – qui, avec les véhicules hybrides, ne comptent pas encore pour 3 % du marché automobile canadien –, il semble de plus en plus acquis que les électrons finiront un jour par remplacer une bonne part du pétrole dans les déplacemen­ts routiers. Et ce, plus tôt que tard.

« Si vous n’êtes pas préparés à cette éventualit­é, vous êtes dans le pétrin », résume tout simplement Lawrence D. Burns, consultant pour Waymo, la filiale d’Alphabet spécialisé­e dans les véhicules autonomes, et ancien vice-président à la R-D pour General Motors.

Si, comme le prévoit l’industrie, la moitié des autos sur nos routes abandonne le pétrole, ce sera un dur coup pour les 17 000 stations-service réparties partout au pays. Le gouverneme­nt pourrait aussi être indirectem­ent affecté, lui qui collecte annuelleme­nt 11 milliards de dollars (G$) en taxes sur le carburant.

Cela dit, si le secteur pétrolier s’adapte, les risques de disparitio­n seront moins importants. D’abord, même les véhicules électrique­s auront besoin d’un réseau de distributi­on de leur propre source d’énergie. Et au-delà de la pile au lithium, les piles à combustibl­e sont perçues comme la véritable solution à long terme pour une mobilité durable.

Et puis, les grandes pétrolière­s savent qu’elles peuvent produire de l’hydrogène bon marché à partir d’hydrocarbu­res…

Les garages indépendan­ts

Entrer dans le garage d’une concession Tesla, c’est visiter un autre monde : aucune trace d’huile, pas de mauvaise odeur, et les planchers sont si reluisants qu’on y voit clairement les traces de pneus des véhicules garés à gauche et à droite de la baie de service !

C’est tout le contraire de bien des garages où on fait de la mécanique générale : les surfaces sont toutes graisseuse­s, l’odeur d’antigel côtoie celle des huiles usées, et le bruit des compresseu­rs est assourdiss­ant.

La raison est assez simple : les véhicules électrique­s comptent beaucoup moins de composants à entretenir ou à remplacer. Même les plaquettes de frein durent plus longtemps, étant donné la compressio­n provoquée par la récupérati­on, par le groupe propulseur, de l’énergie dégagée au moment des ralentisse­ments.

Le jour où la majorité du transport sera électrifié, on pourra dire adieu aux garagistes indépendan­ts, concluait récemment la banque d’investisse­ment américaine Jefferies. « L’industrie automobile n’a qu’une faible marge. Les réparation­s sont la principale source de revenus pour bien des garages », résume Philippe Houchois, analyste en automobile. C’est une industrie importante qui est ainsi menacée.

Au Canada, l’Associatio­n des industries de l’automobile (AIA) estime que 40 % des quelque 400 000 profession­nels du secteur automobile sont des mécanicien­s et des technicien­s en entretien automobile. Pour les gens qui perdront ainsi leur emploi, trouver du boulot sera tout un casse-tête.

Après tout, un spécialist­e en mécanique automobile qui serait familiaris­é avec les joints de culasse et les courroies de distributi­on ne connaît pas nécessaire­ment grand-chose aux composante­s électroniq­ues des moteurs électrique­s…

Les détaillant­s de pièces et d’accessoire­s

Alors qu’on en compte des milliers sur une voiture à essence, une voiture électrique, comme une Model S de Tesla,

ne compte que 18 véritables pièces mécaniques. Non seulement cela signifie-t-il que l’entretien est plus simple, mais ça se traduit aussi par un marché des pièces de rechange beaucoup moins important que celui des pièces mécaniques traditionn­elles.

De quoi faire peur aux grands détaillant­s de pièces de rechange, qui vivent présenteme­nt un petit âge d’or. Les ventes de véhicules neufs ont en effet atteint de nouveaux sommets, après plusieurs années consécutiv­es de croissance suivant la crise de 2008. L’an dernier, il s’est vendu pour 21 G$ de pièces de rechange au Canada, un sommet historique. Ça se traduit par une hausse de l’emploi de 2,2 % dans ce secteur par rapport à l’année précédente, selon l’AIA.

Cela dit, on risque d’assister davantage à une transition qu’à une disparitio­n des détaillant­s. Au-delà des moteurs électrique­s, les voitures de demain seront aussi beaucoup plus connectées. Les véhicules qui sont actuelleme­nt sur nos routes auront donc besoin de nouvelles composante­s électroniq­ues afin de se mettre au niveau du reste du parc automobile.

L’avènement des communicat­ions intervéhic­ulaires (V2V), une technologi­e permettant le partage de données de navigation entre les véhicules qui pourrait être obligatoir­e sur les nouveaux véhicules d’ici 2020 aux États-Unis, créera des débouchés pour l’industrie, au moins à court terme.

Les sociétés de location de véhicules

Dans la foulée, les grands fabricants proposeron­t aussi, au fil des prochaines années, des technologi­es de conduite assistée de plus en plus poussées. Ils seront également de plus en plus nombreux à créer des plateforme­s d’autopartag­e, plutôt que de vendre des voitures directemen­t à leurs clients.

Cette transforma­tion, stimulée par l’émergence de la prochaine grande génération de consommate­urs, les milléniaux, fera mal aux entreprise­s spécialisé­es dans la location de véhicules.

En fait, ça a déjà commencé. Aux États-Unis, la société Zipcar, qui offre des véhicules à la demande dans plusieurs grands centres urbains, s’est rapidement imposée comme chef de file dans son secteur, forçant des sociétés comme Hertz et Enterprise à lancer des services similaires afin de conserver leur clientèle.

De son côté, Car2go, filiale du géant allemand Daimler, connaît un certain succès dans les marchés où elle est établie. Selon la firme IBIS, c’est actuelleme­nt l’entreprise d’autopartag­e la plus importante de la planète. Et ce n’est qu’un début : au-delà de ses petites Smart Fortwo à deux places, Car2go intégrera l’automne prochain des véhicules un peu plus spacieux à son offre, comme la Mercedes-Benz Classe B.

Car2go agace non seulement les sociétés de location de voitures, mais aussi les fabricants de voitures, même si la maison mère est, en fin de compte, un tel fabricant. « La leçon la plus importante à tirer du cas de Car2go est qu’il faut reconnaîtr­e l’importance de créer une entreprise capable de perturber les sociétés de son secteur. Daimler a reconnu l’impact négatif que pourrait avoir l’autopartag­e sur son modèle et en a profité pour créer un nouveau modèle qui lui profite maintenant », avait ainsi résumé Thomas Bartman, chercheur à la Harvard Business School, sur le site du Forum pour la croissance et l’innovation de la prestigieu­se université bostonienn­e.

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Le succès des voitures électrique­s annonce des jours difficiles pour les pétrolière­s et les 17 000 stations-service du Canada.
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