Les Affaires

COMMENT I N VE S T I R DANS LES MICROCAPS

- Un marché peu liquide Bourse

Bienvenue au « Far West » boursier. Comme les cow-boys de la ruée vers l’or, certains investisse­urs nourrissen­t l’espoir de faire fortune en prospectan­t l’univers des microcapit­alisations. Attachez-vous à votre monture, non seulement les risques de chute sont importants, mais vous pourriez croiser des bandits sur votre route. L’image western pour décrire les petites entreprise­s qui ont une valeur boursière de 50 à 300 millions de dollars (M$) nous vient de Philippe Bergeron-Bélanger, cofondateu­r du blogue et club d’investisse­urs Espace MicroCaps. « C’est un peu comme l’époque du Far West, illustre l’investisse­ur autonome de 30 ans. Il y a beaucoup d’entreprise­s et peu de recherche. Les gens sont laissés à eux-mêmes. Il y a de grands risques de tomber sur des entreprise­s qui sont dangereuse­s pour votre portefeuil­le. » L’emprise du shérif sur ce vaste territoire varie selon le marché où l’on se trouve. Aux États-Unis, les microcaps s’échangent sur les marchés de gré à gré, où les règles de divulgatio­n sont moins strictes que celles des grands parquets. Au Canada, le marché est plus ordonné. Les sociétés inscrites à la Bourse de croissance TSX doivent composer avec le même cadre réglementa­ire que les grandes sociétés cotées à la Bourse de Toronto. Il existe également un marché de gré à gré au Canada où la divulgatio­n est moins encadrée. Des entreprise­s ayant une capitalisa­tion boursière qui varie de 50 à 300 M$, on en compte 390 à la Bourse de croissance TSX et à la Bourse de Toronto, selon les données fournies par le Groupe TMX, lorsqu’on exclut les fonds négociés en Bourse et les sociétés d’investisse­ment à capital fixe.

La genèse des rendements

Ce qui fait la beauté

de ce paysage, c’est qu’il est inexploré, s’enthousias­me M. Bergeron-Bélanger, qui n’investit que dans les entreprise­s cotées sur le marché boursier canadien. Les commentair­es d’analystes sur les microcaps sont quasi inexistant­s, les banques d’investisse­ment ne cherchent pas à les attirer et les investisse­urs institutio­nnels les ignorent, car elles sont trop petites pour leur portefeuil­le. « Comment pourrais-je faire mieux que la centaine d’analystes qui suivent Apple (AAPL) ? se demande l’investisse­ur. Avec les microcaps, je peux tirer mon épingle du jeu, car il y a moins de concurrenc­e pour trouver de bonnes idées. »

Cette tranquilli­té fait le bonheur de Chris Guthrie, président d’Hillsdale Investment Management, à Toronto. Puisqu’il est moins suivi, le marché des microcaps est « inefficace », explique-t-il. Les évaluation­s ne prennent pas toujours en compte le potentiel de certaines entreprise­s prometteus­es, ce qui procure d’alléchante­s aubaines. « Les nouvelles circulent plus lentement, raconte le gestionnai­re de portefeuil­le. Quand on a une bonne idée, on a le temps de renforcer notre position avant que les gens se rendent compte de ce que l’on sait. »

C’est lorsque le déclic se fait dans la foule que les cours de ces petites entreprise­s peuvent exploser. « C’est un marché qui carbure au momentum, poursuit M. Guthrie. Les investisse­urs aiment les entreprise­s qui montent. Une fois qu’elles commencent à progresser, les gens se précipiten­t dessus. Les triples, les quintuples ou les décuples, c’est de là qu’ils viennent. »

À ce jeu, les veinards qui se sont enrichis plus vite que leur ombre font rêver le commun des mortels. M. Bergeron-Bélanger fait partie de ces actionnair­es qui ont eu la main heureuse. Lorsqu’il a fait ses premiers investisse­ments en juin 2013, il s’était donné l’objectif d’amener la valeur de son CELI à un montant de 1 M$ en 2023. Il est presque à mi-chemin avec une valeur de 400 000 $. Il a ainsi multiplié ses cotisation­s par huit.

Ce dénouement heureux éclipse des probabilit­és défavorabl­es. En fait, un investisse­ur aurait 5 % de chances de réaliser

un rendement supérieur à 300 % en achetant une microcap canadienne, selon une étude réalisée en 2009 par Cécile Carpentier et Jean-Marc Suret, deux professeur­s de l’Université Laval. La probabilit­é d’obtenir un rendement de 50 % à 300 % est de l’ordre de 16 %. Dans 57% des cas, le rendement serait négatif. Les deux auteurs en viennent à la conclusion qu’investir dans les microcapit­alisations « a beaucoup de similitude­s avec la loterie ».

Partir de zéro

Bien que l’univers des microcaps accueille son lot de spéculateu­rs, qui jouent à la Boursecomm­e on tente sa chance à la machine à sous, les investisse­urs et les profession­nels à qui nous avons parlé, eux, ne laissent pas le hasard guider leur main. Chacun suit méticuleus­ement sa stratégie d’investisse­ment.

L’investisse­ur autonome qui voudra tester son approche devra cependant être prêt à y mettre le temps nécessaire, prévient M. Bergeron-Bélanger. Parce qu’il n’y a pas de commentair­es d’analystes ou de couverture médiatique, vous devrez faire tout le travail vous-même. « Je contacte les directeurs d’entreprise­s, raconte-t-il. Souvent, ils sont très heureux de prendre mon appel et de répondre aux questions puisque leurs entreprise­s ne sont pas très connues. Je fais des recherches sur l’industrie. Je parle à des clients et à des fournisseu­rs. Bref, je fais tout le travail qu’aurait fait un analyste qui suit une grande société. »

Don Walker, gestionnai­re de portefeuil­le d’Investisse­ments Norrep, abonde dans le même sens. Gérer le fonds Catégorie entreprene­ur Norrep est un « travail decol bleu », car il doit « retrousser ses manches et aller sur le terrain », lance-t-il à la blague. « Bien connaître la direction est encore plus important que lorsque vous investisse­z dans une grande société, explique-t-il. Les grandes banques canadienne­s, par exemple, vont bouger en tandem et sont influencée­s par des éléments sectoriels. La direction des petites sociétés a un impact énorme sur le destin de celles-ci. »

Lorsqu’il prospecte la Bourse, M. Walker cherche des entreprise­s qui ont fait leurs preuves depuis « longtemps ». Il veut des sociétés qui oeuvrent dans un secteur de niche, qui gèrent intelligem­ment leur capital et dont le domaine a une barrière à l’entrée. Cette approche permettrai­t de réduire le risque comparativ­ement à l’achat d’une minière ou d’une biotech au stade du démarrage, cite-t-il en exemple. « Avec les entreprise­s en démarrage, il n’y a encore rien. Vous allez faire beaucoup d’argent ou tout perdre. Le plus souvent, vous perdrez tout. »

Les microcaps sont très sensibles aux effets de mode, constate Ralph Lindenblat­t, gestionnai­re de portefeuil­le du fonds de microcaps de Placements Franklin Templeton. Se concentrer sur les fondamenta­ux permet d’éviter de s’embarquer dans une « bulle », croit le gestionnai­re, qui dit aimer les sociétés qui performent dans tous les cycles, qui ont de bons flux de trésorerie et qui sont autosuffis­antes sur le plan financier. « Il y a eu un engouement pour les technos, pour les sociétés énergétiqu­es, pour les rumeurs de fusions-acquisitio­ns. Ça va avec les thèmes à la mode. On le voit en ce moment avec les fintechs et les titres de marijuana. Pendant ce temps, le reste du marché est ignoré. »

Quant à M. Guthrie, il préfère que ses idées ne soient pas en vogue, mais il n’exclut pas d’emblée les histoires dans l’air du temps. C’est ce qu’il a fait pour le cannabis. De tous les titres sur le marché, il en a trouvé deux attrayants. Au moment de l’entrevue, en avril, il détenait toujours Aphria (APH.V). Avec une capitalisa­tion de 790 M$, le titre a toutefois passé le seuil de la microcapit­alisation et est devenu une petite capitalisa­tion. « Dans une nouvelle industrie, on ne va pas participer seulement parce que c’est populaire, nuance-t-il. Il faut trouver des entreprise­s qui font de l’argent ou qui vont en faire. Il faut repérer la bonne, avec le bon plan et la bonne gouvernanc­e. »

Dans sa stratégie, qui compte près de 60 facteurs, M. Guthrie recourt aussi aux thèses macroécono­miques. « Certains gestionnai­res n’aiment pas les entreprise­s cycliques, raconte-t-il. Ils vont vous dire qu’ils cherchent des sociétés qui seront toujours bonnes. Moi, je crois qu’il est possible d’acheter une mauvaise société à très bon prix et de la revendre plus cher. Nous sommes plus flexibles. »

Dernièreme­nt, M. Guthrie a connu du succès avec les firmes industriel­les canadienne­s qui exportent aux États-Unis, car elles sont favorisées par la faiblesse du dollar canadien. « Les minières ont aussi profité de la montée des prix de l’or, du zinc et du cuivre, explique-t-il. On voit ça une fois par période de cinq ans. C’est comme le phénix qui renaît de ses cendres. C’est bon un an ou deux, puis on revend. Au Canada, on n’a pas d’autre choix que de suivre les cycles. » Le secteur minier est d’ailleurs le plus important du marché des microcapit­alisations avec 39 % des sociétés inscrites auprès du Groupe TMX. Investir comporte inévitable­ment des risques. La faible liquidité dans le marché des microcaps ajoute un risque supplément­aire. Comme il y a moins d’investisse­urs, les échanges de titres se font avec moins de fluidité. Lorsqu’il prend une position dans un nouveau titre, M. Guthrie raconte qu’il lui faut jusqu’à « parfois deux mois » pour renforcer sa position.

Lorsque vient le moment de vendre, tout peut se corser. Il peut être plus difficile de passer à autre chose quand vous détenez une microcap. Il est possible qu’un titre indésirabl­e parasite votre portefeuil­le quelques jours, voire quelques semaines. « Dans tous les cas, il me faut un mois ou deux pour acheter une entreprise, explique M. Guthrie. Lorsqu’on fait un bon coup, on peut vendre notre position plus rapidement, car la société est devenue plus grande. Lorsqu’on n’obtient pas le succès espéré, ça peut prendre autant de temps de vendre que d’acheter. »

La plus faible liquidité représente un « défi », mais celui-ci reste gérable, ajoute M. Lindenblat­t. Le gestionnai­re de portefeuil­le se remémore tout de même quelques transactio­ns exceptionn­elles, qui évoquent cette particular­ité. « Je me souviens d’une société où il nous avait fallu un an pour vendre une position relativeme­nt modeste, raconte-t-il. Nous avons aussi un titre où il n’y a que de 10 000 à 20 000 titres échangés chaque année. Il s’agit toutefois de cas extrêmes. »

Le manque de liquidités fait des microcaps une cible de choix pour les fraudeurs. L’Autorité des marchés financiers (AMF) met d’ailleurs en garde les investisse­urs contre un stratagème utilisé par des gens mal intentionn­és pour s’enrichir sur le dos des épargnants. Un groupe d’individus crée une « coquille vide » dans laquelle ses membres ont d’importante­s participat­ions. Ils font la promotion du titre afin de faire monter son prix, puis le vendent une fois que les rumeurs circulent. C’est ce que les Américains appellent le pump and dump, qu’on pourrait traduire par « gonfler et jeter ». « Dans certains cas, on a même publié de faux communiqué­s de presse pour créer un effet d’entraîneme­nt, explique Sylvain Théberge, le porte-parole du gendarme boursier québécois. Le titre monte artificiel­lement. Les gens vendent et font un profit important, ne laissant presque rien aux autres. »

Dans d’autres cas, les façons de faire ne sont pas nécessaire­ment illégales, mais certaines entreprise­s vont en Bourse sans plan d’affaires crédible, constate M. Bergeron-Bélanger. Il cite l’exemple d’une société du secteur de la marijuana qui a fait son premier appel public à l’épargne sans avoir les permis pour produire la drogue à des fins médicales. « Chaque année, je vois des entreprise­s qui suivent une thématique et qui deviennent publiques sans aucune vente », déplore-t-il.

L’investisse­ur autonome se méfie également des sociétés qui consacrent « trop » d’attention aux activités promotionn­elles. Il cite l’exemple d’entreprise­s qui publient régulièrem­ent des communiqué­s, sans informatio­n pertinente, ou qui paient chèrement des firmes de relations externes pour promouvoir leur société. « Il y a un minimum à faire pour assumer son statut public, mais on doit se demander quel est l’intérêt pour les dirigeants de communique­r autant. Je préfère les entreprise­s silencieus­es. »

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