Les Affaires

POURQUOI JE SUIS POUR MARIER METRO ET JEAN COUTU

- Chronique

e n’est pas la première fois qu’un chroniqueu­r ou un analyste évoque une union entre deux des détaillant­s les plus populaires de la province. Au-delà du fantasme de journalist­e que le regroupeme­nt de deux des plus grands symboles de réussite du Québec inc. alimente, un mariage entre Metro (MRU, 45,37 $) et Groupe Jean Coutu (PJC.A, 21,80 $) m’apparaît plus logique que jamais sur les plans financier et concurrent­iel. Grâce à leurs solides assises dans le marché québécois et à leurs dirigeants aguerris, Metro et Jean Coutu ont historique­ment affiché une solide performanc­e financière.

Si on exclut le passage trouble de l’acquisitio­n de la chaîne Eckerd aux États-Unis après 2005, le pharmacien préféré des Québécois a affiché une performanc­e financière plus que respectabl­e. L’épicier a pour sa part été un véritable métronome avec une croissance annuelle composée de son bénéfice par action et de son dividende de 13 % et de 16 % respective­ment depuis 15 ans.

Même si ces deux détaillant­s affrontent depuis toujours de redoutable­s rivaux comme Loblaw (L, 76,14 $), ils ont réussi à tirer leur épingle du jeu parce que la concurrenc­e a été relativeme­nt gérable. Les parts de marché bouffées par Costco (COST, 171,93 $ US) et Wal-Mart (WMT, 78,72 $ US) dans l’alimentati­on et la pharmacie ont été compensées par les gains grignotés auprès d’acteurs indépendan­ts notamment. Les américaine­s ont limité leur incursion aux grandes agglomérat­ions et n’ont pas atteint les bastions régionaux des québécoise­s.

Metro et PJC ont aussi alimenté leur croissance grâce à des acquisitio­ns qui leur ont permis de diversifie­r leurs sources de revenus et leur clientèle. Adonis et Première Moisson pour l’épicier, Prodoc et Médicus pour le pharmacien, en sont de bons exemples.

La menace Amazon et la disparitio­n des cibles d’acquisitio­n

Le contexte favorable qui a permis aux deux fleurons du détail de la province de maintenir leurs avantages concurrent­iels est toutefois sérieuseme­nt menacé. Le problème, c’est que ni Metro ni Jean Coutu ne pourront compenser les pertes de parts de marché futures par des acquisitio­ns, car il reste peu de cibles susceptibl­es de nourrir la croissance de leurs bénéfices.

L’insatiable Amazon (AMZN, 967,41 $ US) étend ses tentacules dans de nouveaux créneaux pratiqueme­nt chaque semaine. Si le géant du commerce en ligne a surtout causé des dégâts chez les détaillant­s de vêtements, de chaussures, de livres et d’appareils électroniq­ues, il n’a pas abandonné l’idée de percer les secteurs jugés plus difficilem­ent attaquable­s que sont l’alimentati­on et la pharmacie. Au contraire, il a récemment montré son appétit pour ces deux énormes marchés.

L’entreprise de Seattle vise à lancer une vaste offensive dans les produits de consommati­on de marques privées. Des lames de rasoir aux cé- réales et aux aliments en conserve, en passant par les détergents, à peu près toutes les catégories de produits emballés y passeront, dit Stephen Powers, analyste chez UBS. La société de Jeff Bezos commercial­ise déjà des produits maison comme des aliments et des lingettes pour bébés. En peu de temps, Amazon s’est approprié une part de 16 % du marché des lingettes. Le géant en ligne chercherai­t aussi à recruter un dirigeant pour le marché multimilli­ardaire de la pharmacie, rapportait CNBC il y a quelques jours.

Le mastodonte de 461 milliards de dollars américains de valeur boursière cherche par tous les moyens à inciter les consommate­urs à s’abonner à son service de livraison Prime. Les lucratifs produits de beauté que l’on trouve chez Jean Coutu entrent dans sa mire, tout comme les aliments secs vendus chez Metro. Cependant, Amazon n’a peut-être pas autant de succès au Canada qu’aux États-Unis et ne semble pas vouloir s’attaquer aux marchés de Metro et de Jean Coutu aussi sérieuseme­nt qu’au sud de la frontière avant quelques années. Ce n’est toutefois pas la seule nouvelle concurrenc­e que les deux entreprise­s québécoise­s doivent affronter.

Avec l’acquisitio­n prochaine d’Uniprix, le plus important distribute­ur de produits pharmaceut­iques du monde, McKesson (MKC, 152,55 $ US), resserre aussi l’étau autour de Jean Coutu en augmentant son pouvoir d’achat et de commercial­isation.

Le détaillant chinois MINISO, qui vient d’ouvrir sa première succursale à Vancouver, caresse de grandes ambitions pour le marché canadien. Cette chaîne à bas prix, qui vend des produits de consommati­on comme des cosmétique­s, des sacs, de la papeterie et d’autres produits commercial­isés chez l’épicier ou le pharmacien, veut ouvrir 500magasin­s au pays. D’autres détaillant­s encore inconnus ici pourraient aussi tenter de bouleverse­r le marché canadien, à l’instar de la chaîne d’épiceries allemande à prix cassés Lidl, qui fera ses premiers pas aux États-Unis dans les prochaines semaines.

C’est sans compter les poussées de Wal-Mart et de Costco dans l’épicerie et la pharmacie. Costco ouvrira sept nouveaux entrepôts au pays en 2017. Sa filiale canadienne revendique une part de marché de 10 % dans l’alimentati­on, contre 7 % en 2010, selon CIBC.

Pour résister dans un tel contexte, Metro et Jean Coutu doivent entre autres gagner du poids en réalisant des acquisitio­ns. Le hic, c’est que leurs marchés respectifs ont été pratiqueme­nt tous consolidés. Il reste peu de chaînes de pharmacies indépendan­tes que Jean Coutu pourrait acheter et, à l’exception d’Overwaitea Foods dans l’Ouest canadien, il n’y a pratiqueme­nt plus de proies potentiell­es de taille à se mettre sous la dent pour Metro.

En unissant leurs destinées, les deux chaînes donneraien­t naissance à un champion québécois du commerce de détail prêt à rivaliser avec n’importe quel poids lourd venu d’ailleurs et régleraien­t en partie plusieurs de leurs enjeux : croissance interne limitée, faible potentiel de croissance par acquisitio­ns, défi de relève chez Jean Coutu, présence limitée dans le commerce en ligne, érosion des marges bénéficiai­res des médicament­s génériques causée par les changement­s réglementa­ires, etc.

La fusion de Metro et de Jean Coutu serait certes un mariage de raison mais, comme les deux se connaissen­t bien, cela m’apparaît dans le contexte la meilleure des solutions.

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