Les Affaires

Plus : la (petite) part des femmes.

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc srolland_la

Les femmes d’affaires sont encore très peu nombreuses dans les hautes directions. D’après notre recensemen­t de la rémunérati­on et du sexe des cinq plus hauts dirigeants de 65 sociétés québécoise­s cotées en Bourse, elles ne sont que 28 sur 311, soit une représenta­tion de 8,7 %. Et elles gagnent, en moyenne, 71 % de la rémunérati­on de leurs collègues masculins.

Des résultats « découragea­nts », selon Dana Ades-Landy, présidente de l’Associatio­n des femmes en finances du Québec (AFFQ). « C’est humiliant que ce soit si peu, commente-t-elle. Que ces femmes aient 71 % de la paie d’un homme, c’est incroyable en 2017 ! »

L’échantillo­n est diversifié puisqu’il comporte des entreprise­s valant entre 22 millions et 74 milliards. Les entreprise­s sélectionn­ées comptaient parmi les 70 plus importante­s sociétés québécoise­s cotées en Bourse. Cinq sociétés n’avaient pas publié leur circulaire au moment où nous écrivions ces lignes. Le lecteur averti aura remarqué que l’échantillo­n de 311 dirigeants n’est pas un multiple de cinq. Nous avons exclu quatre dirigeants de plus petites sociétés, soit parce qu’ils ne se versaient pas de salaire, soit parce qu’ils étaient en fait des administra­teurs non exécutifs.

Parmi les 65 entreprise­s de notre échantillo­n, 45 n’avaient aucune femme au top 5. Seulement six entreprise­s s’approchent de la parité avec au moins deux femmes dans cette catégorie.

Le portrait ne s’est pas amélioré en 2016. Des 27 embauches qui ont eu lieu au sein des 65 entreprise­s de notre échantillo­n, 2 seulement concernaie­nt des femmes. Cela représente une proportion de 7,41 %, un chiffre apparenté au 8,7 % de l’ensemble de l’échantillo­n.

« Pénalité à la maternité »

Pourquoi les femmes se font-elles si rares ? Louise Champoux-Paillé, administra­trice et experte de la gouvernanc­e, croit que la maternité explique nos résultats. « Lorsqu’elles ont des enfants, les profession­nelles sont moins présentes pour un certain temps, dit-elle. Pendant ce temps, leurs collègues prennent le pas au cours d’une période cruciale pour l’avancement de la carrière, soit entre 30 et 40 ans. On considère donc moins les mères comme des candidates potentiell­es. »

La « pénalité à la maternité » est un phénomène documenté, et les profession­nelles hautement qualifiées seraient relativeme­nt désavantag­ées par rapport aux autres salariées, selon une étude parue en décembre dans l’American Sociologic­al Review. En fait, le potentiel de revenu des femmes

dans les emplois les mieux rémunérés diminuerai­t de 10 % pour chaque enfant qu’elles mettent au monde. La baisse est de 4% pour les travailleu­ses en général, toujours selon l’étude. La pénalité pour les emplois les mieux rémunérés serait plus lourde, car le rythme d’avancement est plus rapide pour ceux et celles qui ont une expertise pointue. Pendant ce temps, leurs collègues qualifiés empochent une « prime à la paternité » de 6% pour chacun de leurs enfants. L’étude avance que la parentalit­é est perçue comme un gage de stabilité et de responsabi­lité pour le père, mais comme un facteur de désengagem­ent profession­nel pour la mère.

Les entreprise­s doivent repenser leurs modalités de fonctionne­ment sur les politiques de conciliati­on travail-famille, commente Mme Champoux-Paillé. « Il faut qu’elles révisent leurs critères de sélection pour s’assurer qu’il reste des femmes considérée­s comme des candidates potentiell­es. » Explicatio­ns ou quotas MmeAdes-Landy croit pour sa part que, suivant nos résultats, il faudrait une réglementa­tion plus stricte pour corriger le tir. Au Canada, les autorités provincial­es des marchés ont adopté une réglementa­tion du type « appliquez ou expliquez ». Chaque année, les sociétés cotées en Bourse doivent dévoiler leurs politiques en ce qui touche la représenta­tion féminine au conseil d’administra­tion et à la haute direction ainsi que les cibles qu’elles se sont fixées à cet égard. Elles ont le loisir de n’avoir ni politique ni cible, mais elles ont l’obligation légale de dévoiler ce fait et de le justifier.

Le gouverneme­nt Trudeau a déposé l’automne dernier le projet de loi C-25, qui reprend dans ses grandes lignes les principes « appliquez ou expliquez » adoptés par les autorités provincial­es des marchés. Si la pression morale ne porte pas ses fruits, Navdeep Bains, ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développem­ent économique, a dit qu’il pourrait imposer des quotas. Un amendement adopté en comité prévoit d’ailleurs que l’impact du projet de loi soit réévalué tous les cinq ans. « Cette approche a été efficace par le passé dans d’autres juridictio­ns, notamment au Royaume-Uni et en Australie, explique Karl Sasseville, l’attaché du ministre, dans un courriel. Cela dit, la volonté de M. Bains est très ferme quant à la nécessité absolue de faire une plus grande place aux femmes et aux minorités dans le monde des affaires. »

Mme-Ades-Landy pense qu’il faut aller plus loin que les explicatio­ns et imposer des quotas pour s’assurer que les femmes aient leur place. « C’est le temps de pousser pour avoir des quotas, sinon on ne va aller nulle part, plaide-t-elle. Il faudrait que ça ait des conséquenc­es tangibles si les entreprise­s n’atteignent pas des cibles mesurables. Ça a fonctionné dans les pays qui l’ont fait. »

Les femmes qui obtiendrai­ent un poste faisant l’objet de quotas ne risqueraie­nt-elles pas de devoir composer avec une perception négative ? « Non, répond Mme Ades-Landy, avant que nous ayons eu le temps de terminer notre question. Les femmes s’en foutent qu’on pense qu’elles ont été embauchées juste parce qu’elles sont des femmes. On sait que ce n’est pas vrai. Il y a un réseau énorme de femmes qui ont la compétence pour siéger sur un conseil. Il n’en manque pas. »

Dans tous les cas, les entreprise­s auraient intérêt à embaucher plus de femmes ou de personnes issues des communauté­s culturelle­s, croit Michel Magnan, professeur et titulaire de la Chaire de gouvernanc­e d’entreprise Stephen A. Jarislowsk­y à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia. « On choisit d’abord et avant tout une personne parce qu’elle apporte quelque chose à l’entreprise. Par contre, s’il s’agit d’une femme ou d’un membre d’une minorité, cette personne aura possibleme­nt un parcours différent ou des expertises différente­s. C’est intéressan­t d’avoir cette diversité à la table d’un conseil. » Salaire égal ? Dans notre échantillo­n, les femmes gagnent 71 % de la rémunérati­on des hommes. Elles empochent en moyenne 1,5 million de dollars (M$), contre 2,1 millions pour leurs collègues masculins. La proportion est curieuseme­nt semblable aux inégalités dans l’ensemble de la population québécoise. En 2016, la rémunérati­on hebdomadai­re moyenne des Québécoise­s équivalait à 79 % de celle des Québécois, selon les données de l’Institut de la statistiqu­e du Québec (ISQ).

L’écart est attribuabl­e au faible nombre de femmes PDG et présidente­s de direction. Sur 65 PDG, seulement 2 femmes occupent les plus hautes fonctions. Parmi 11 présidents de direction, il n’y a qu’une femme. Lorsqu’on exclut les PDG et les présidents de direction de notre échantillo­n, les femmes et les hommes gagnent une rémunérati­on équivalent­e, soit 1,5 M$ pour les femmes et 1,4 M$ pour les hommes. Mieux au CA, mais… Les femmes sont mieux représenté­es dans les conseils d’administra­tion qu’au sein de la haute direction, selon notre échantillo­n. En moyenne, on compte 22,5 % de femmes dans les conseils des entreprise­s. Leur présence varie cependant d’une société à une autre.

Parmi les 65 entreprise­s de notre échantillo­n, 8, ou 12,3 %, ont atteint la parité, soit plus de 40 % de femmes au conseil. La majorité des CA (33, ou 50,7 %) comptent entre 1 % et 25 % de femmes. Par contre, celles-ci sont complèteme­nt absentes du conseil de six entreprise­s, soit 9,23% de notre échantillo­n.

Même si on est encore loin de la parité, ces données illustrent les progrès réalisés depuis quelques années, note Mme Champoux-Paillé. Elle s’inquiète toutefois de la rareté du nombre de femmes au top 5, qui fragilise les avancées des dernières années. « Ça m’inquiète pour la relève, poursuit-elle. Lorsqu’on cherche un administra­teur, les hauts dirigeants constituen­t une grande partie des candidats. S’il n’y a pas une masse critique de femmes, il va y avoir une pénurie. »la

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