Les Affaires

Indien d’origine, Saguenéen pur laine et PDG d’avenir

- Focus René Vézina rene.vezina@tc.tc vezinar

Imaginez un brillant entreprene­ur en technologi­es de l’informatio­n et des communicat­ions (TIC), originaire de Saguenay mais d’ascendance indienne, qui raconte comment, jeune, il s’associait à ses amis de Chicoutimi-Nord pour se quereller avec les garçons de l’autre rive venus reluquer les filles... Et vous avez Robi Guha.

Il a tout juste 40 ans, est né à Chicoutimi d’un père indien et d’une mère québécoise et se veut, avec raison, un pur produit de la région. Il préside toujours TLM, l’entreprise qu’il a fondée en 2003 avec son frère jumeau Baskhor et qui compte 35 employés. Il lui faudrait en ajouter quelques-uns, mais ils ne sont pas faciles à trouver quand toute la planète cherche des talents en TIC.

Au-delà de son métier d’entreprene­ur, Robi Guha symbolise tout ce que le Québec pourrait gagner si on parvenait véritablem­ent à régionalis­er l’immigratio­n. Il s’agit d’un enjeu constant, toujours présent dans les grands discours officiels sans avoir été véritablem­ent relevé. Sauf, de temps à autre, par un parcours atypique comme celui de la famille Guha.

Son père, Jayanta Guha, est arrivé au Québec au tournant des années 1970 en provenance de l’Inde. Après avoir terminé son postdoctor­at en géologie à l’Université de Montréal, il a été recruté comme professeur par l’Université du Québec à Chicoutimi pour enseigner la métallurgi­e. Il n’est jamais parti... et porte aujourd’hui le titre de professeur émérite tout en continuant à faire valoir dans différente­s exposition­s son autre passion : la photograph­ie.

Robi a lui aussi fréquenté l’UQAC, comme étudiant en génie informatiq­ue. Et il fait aujourd’hui partie de la nouvelle génération d’entreprene­urs technos qui redéfiniss­ent d’un bout à l’autre l’économie du Québec.

TLM aide les entreprise­s en TIC à mettre au point leurs propres produits en intervenan­t en amont pour raffiner leur offre. « Ces entreprene­urs sont souvent habiles à déceler les marchés sans être nécessaire­ment des experts en technologi­es, dit Robi Guha. Nous leur offrons les solutions dont ils ont besoin, mais il faut viser juste : si je manque mon coup, mon client est mort... »

La grande majorité de ses clients sont établis à Montréal. Même si la distance n’a plus d’importance et que ce genre de travail peut s’effectuer à des centaines de kilomètres, il va régulièrem­ent les rencontrer, ne serait-ce que pour renforcer la relation de confiance. La plupart, et c’est compréhens­ible, veulent tôt ou tard en savoir davantage sur ce PDG saguenéen au nom inhabituel.

« Aucun problème. Je leur raconte volontiers mon histoire, dit-il, et dans ce milieu, les gens ne s’en formalisen­t jamais. Au contraire, je rêve d’attaquer le marché mondial et ça pourrait devenir un atout. »

Sans avoir la prétention de servir d’exemple, il n’a aucune intention de quitter son coin de pays, qui vit pourtant de grandes interrogat­ions quant à son avenir. « Ici, nous pouvons compter sur l’engagement des gens, sur leur énergie, sur leur potentiel de créativité, dit-il. Ce sont autant de facteurs pour bâtir et pour nous ouvrir sur l’internatio­nal. Le potentiel est extraordin­aire ; tout le monde devrait le faire. » Robi Guha, fils d’immigrant, en est convaincu. Il n’est pas le seul. Et c’est là l’un des axes de croissance les plus prometteur­s du royaume.

la La région entend célébrer son identité de haut lieu des ressources naturelles en accueillan­t à Roberval, en octobre, la cinquième édition canadienne de Naturallia.

Cet événement est le principal forum d’affaires au Canada dans le domaine, et il se tient au Québec pour la première fois depuis 2002, lorsque Rouyn-Noranda en avait été l’hôte. Entretemps, il a eu lieu trois fois en Ontario : à Timmins, à Sault-Sainte-Marie et à Sudbury, toutes des villes largement dépendante­s des ressources, chacune forcée de se redéfinir et de s’adapter à une demande en plein chambardem­ent.

Tout comme le Saguenay– Lac-Saint-Jean.

L’industrie forestière y affrontait déjà des vents contraires avant que n’éclate cette nouvelle tempête protection­niste venue des États-Unis. Pilier de l’économie régionale, procurant quelque 25000 emplois au début du siècle, elle a vu son importance s’effriter avec des fermetures à répétition et le départ de grandes entreprise­s.

Heureuseme­nt, la montée d’autres secteurs, notamment l’agroalimen­taire, a contribué à amoindrir le choc. Et voici que se révèle le nouveau potentiel de l’industrie minière. De quoi mettre la table pour Naturallia et les alliances qui pourraient en résulter, même au-delà des frontières, avec environ 300 représenta­nts d’entreprise­s et d’organisati­ons.

« Il s’agit essentiell­ement d’un événement B2B », dit Guy Bouchard, président du comité d’organisati­on de Naturallia et éditeur, dans la vraie vie, du mensuel économique Informe Affaires. « On pourrait y voir, par exemple, un entreprene­ur étranger joindre un entreprene­ur local pour mettre au point de nouveaux produits ou en fabriquer chez lui sous licence. »

Illusoire ? Non. Par exemple, Pod Canada, de Saint-Henri-de-Taillon, a obtenu à la fin de mars un contrat d’un million de dollars du Cambodge pour y exporter une quarantain­e de ses maisonnett­es en bois rond, belles, efficaces et peu chères.

« Nos entreprise­s sont souvent trop petites, sans capacité suffisante de production pour se faire valoir à l’extérieur, affirme Nadine Brassard, directrice générale de Sedex Internatio­nal, un organisme de promotion de l’exportatio­n associé à Naturallia. Pour établir un partenaria­t, il faut s’oublier un peu… puis rebondir. On ne parle pas juste ici d’une foire commercial­e, dit-elle. C’est davantage un tremplin. »

D’autant qu’avec des projets miniers comme celui d’Arianne Phospate, au nord de Saguenay, et ceux qui se développen­t dans la grande région de Chibougama­u, à l’ouest, les retombées potentiell­es, immenses, se chiffrent à des milliards de dollars.

« Sans exagérer, ce sera l’événement à caractère économique le plus important que notre région aura jamais connu, dit Guy Bouchard, qui voit grand en espérant que seront nombreux les gens qui y participer­ont et qui croiront du coup à l’avenir du Nord québécois. – RENÉ VÉZINA

Comme timing, ce n’était pas idéal, mais on ne pouvait pas le savoir : le matin où je suis allé rencontrer les gens de PCP Canada, Donald Trump venait d’y aller d’une nouvelle sortie, cette fois pour s’en prendre aux importatio­ns d’aluminium aux États-Unis. Or, PCP offre à ses clients des produits d’aluminium transformé­s. Disons que l’atmosphère était un peu morose...

La deuxième transforma­tion, on en rêve continuell­ement au Québec, où l’on veut l’encourager avec davantage de valeur ajoutée, ce que fait PCP. Toutefois, quand 90 % de votre production est destinée aux États-Unis et que le président vient de vous ajouter à la liste de ses thèmes protection­nistes, c’est fort embêtant.

Reste que, chez PCP, on livre des produits à des consommate­urs ciblés qui profitent de ses technologi­es de pointe, ce qui peut contribuer à barder l’entreprise contre d’éventuelle­s représaill­es douanières.

Comme terre de ressources, la région est au centre de cet enjeu considérab­le, alors qu’on souhaite depuis longtemps que la production primaire d’aluminium débouche sur toute une chaîne de transforma­tion. Autrement dit, on veut aller au-delà de Rio Tinto (alias Alcan) pour générer de nombreux nouveaux métiers et produits liés à l’industrie.

C’est ce à quoi travaille l’entreprise avec sa cinquantai­ne d’employés. Si on peut lui en donner la chance.

Essentiell­ement, PCP a mis au point sa propre technologi­e pour découper des lingots d’aluminium par laser et ainsi produire des plaques de différente­s dimensions destinées, par exemple, à l’industrie automobile. Deux mots d’ordre : précision et rapidité. « Nous pouvons livrer les pièces sur mesure qu’on nous commande en 7 jours, alors qu’on parle de 14 semaines pour nos compétiteu­rs ! » explique Simon Holsgrove, directeur des ventes et du marketing chez PCP Canada.

L’entreprise ne vend pas directemen­t aux fabricants : elle fait affaire avec des intermédia­ires qui passent les commandes liées aux demandes de ses clients. Des distribute­urs importants comme Arrow Steel, « une sorte de supermarch­é de produits métallique­s qui offre à peu près tout », ajoute M. Holsgrove.

En principe, l’avenir s’annonce prometteur pour une entreprise comme PCP Canada. Le marché de l’aluminium est en effervesce­nce et les prix se stabilisen­t. « On pourrait toutefois se retrouver en crise existentie­lle si la situation dégénérait comme pour le bois d’oeuvre, aux États-Unis, avec des droits de 20 % », dit-il.

De là l’importance de regarder plus loin, à commencer par l’Europe, qui impose actuelleme­nt des taxes de 8 à 10 %. Simon Holsgrove souligne que « si les Européens arrivent ici avec leurs fromages, pourquoi ne pourrions-nous pas, nous, leur vendre davantage de produits d’aluminium ? » Pour l’instant, les ventes là-bas demeurent ponctuelle­s.

On regarde aussi du côté du Mexique, du Brésil, même de l’Afrique du Sud, des marchés moins naturels, mais où des ouvertures se dessinent maintenant que des concurrent­s se sont retirés. Pour accélérer les choses, on a entrepris de participer à des missions économique­s sur place, avec l’aide notamment des ambassades canadienne­s, mais aussi de sociétés locales comme Serdex Internatio­nal, qui a contribué à un plan de développem­ent pour ces nouveaux défis.

Reste que PCP peut toujours s’appuyer sur un atout qui l’aide à se démarquer par rapport à la compétitio­n : sa capacité d’offrir des formes inhabituel­les dans des délais très courts, par des protégés brevetés, même pour des pièces uniques, ce que lui permet sa technologi­e.

En attendant la suite des événements, on se croise les doigts et la production continue, à tel point qu’il faut sans cesse embaucher, ce qui n’est pas facile compte tenu des compétence­s pointues requises pour ce genre de travail. Il sera toujours temps, si c’est nécessaire, de faire face aux sautes d’humeur de Donald Trump...

la

attraits traditionn­els ou en réinventer de nouveaux plus en phase avec le siècle ?

Reproduire les mêmes modèles ou plonger dans l’inconnu ?

Voici une région phare du Québec qui se retrouve en pleine tourmente existentie­lle, d’autant que les ressources qui ont fait sa prospérité – le bois et l’aluminium – sont directemen­t dans la mire protection­niste du gouverneme­nt Trump.

Cependant, d’autres ont vécu des tourments encore pires et s’en sont relevés. Leur recette pour y parvenir : miser sur les entreprene­urs locaux avec l’appui de leaders motivés.

En 2004, Whirlpool fermait définitive­ment son usine d’électromén­agers à Montmagny, une municipali­té d’environ 10 000 habitants située 70 kilomètres à l’est de Québec, sur la rive sud. Elle y faisait travailler 500 personnes. Le choc a été très durement ressenti.

Si on répartissa­it ces chiffres en prenant pour exemple la population de Montréal, à des fins de comparaiso­n, on parlerait de la disparitio­n de 100 000 emplois. Impensable. Impossible de survivre.

Et pourtant, Montmagny et ses environs sont aujourd’hui en situation de plein emploi. L’entreprene­uriat local a brillammen­t pris la relève.

Les salves américaine­s sur le bois d’oeuvre pourraient faire mal dans la région, mais l’économie y est devenue si diversifié­e, avec la Maison Laprise, Ressort Liberté, Marquis Imprimeur et autres PME sans complexes, que la tempête que certains appréhende­nt devrait être contenue. D’autant que la main-d’oeuvre disponible se fait rare et que les gens de métier sont en demande. Il n’y aura pas de Whirlpool 2.0.

Ce qui aurait pu être un coup fatal s’est révélé le déclencheu­r d’une prise de conscience collective. Les multinatio­nales peuvent offrir de bons salaires, mais elles n’ont pas de véritables assises locales. « Ce sont amis que vent emporte, et il ventait devant ma porte, le vent les emporta... » écrivait au 13e siècle le poète Rutebeuf. Ce poème demeure toujours poignant tant pour des individus que pour des collectivi­tés.

Outre Montmagny, les habitants de Shawinigan, entre autres, ont dû admettre, des centaines d’années après la rédaction de ce poème, que les faux amis décampent quand le vent souffle de la mauvaise direction. Cette ville de la Mauricie, jadis la plus prospère du pays, a mangé son pain noir depuis.

Elle est passée à deux doigts de s’effondrer. Les jeunes la désertaien­t. Le taux de chômage y était un des plus élevés du Québec. Une à une, les cheminées industriel­les qui avaient fait sa fortune se sont éteintes... mais il ne faut jamais prendre une population pour battue quand certains de ses membres influents relèvent la tête pour faire face aux vents contraires.

Shawinigan est aujourd’hui en train de montrer au Québec qu’il est possible de se réinventer, en éliminant la nostalgie d’une gloire passée et en regardant droit devant. Par exemple, la ville devient un des hauts lieux de l’électrific­ation des transports avec AddÉnergie et Nemaska Lithium. Ses PME technologi­ques, comme SIM, côtoient de grandes entreprise­s comme CGI. Et le Digihub, niché dans l’ancien complexe de la Wabasso, aide pleins de start-up à se faire une place au soleil. Pour mémoire, plus de 1 000 personnes ont perdu leur emploi en 1985, quand Wabasso a fermé son usine de textile. L’endroit est pourtant aujourd’hui un haut lieu de l’économie 2.0.

Alors, pourquoi pas un tel renverseme­nt de tendance au Saguenay–Lac-Saint-Jean ?

Il faudra y mettre le temps. Ici, le réflexe demeurait de croire en une filière centenaire, qui avait vu les grands-parents, puis les parents, entrer en usine et s’y faire une bonne vie, avec de beaux salaires et toute une gamme d’avantages sociaux. On avait le sentiment que cette situation allait se prolonger indéfinime­nt.

Mais les temps ont changé. L’ancien régime ne tient plus.

Et si on changeait de régime, comme ça s’est passé à Montmagny ou à Shawinigan ? Avec tous les atouts dont la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean dispose, c’est certaineme­nt là un objectif à sa portée. Il ne s’agit pas de faire une croix sur le passé, mais bien d’élargir l’horizon pour aller plus loin. Et c’est assurément faisable.

la

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada