Les Affaires

Les cabinets d’avocats en mode séduction des start-up

- Grands du droit Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc

Le nombre de autres entreprise­s en démarrage connaît une croissance fulgurante au Québec. Les grands cabinets d’avocats ne veulent pas passer à côté de cette clientèle, certes à un stade précoce de développem­ent et sans grands moyens financiers, mais qui formera le Québec inc. de demain. Elle devient même une cible que se disputent la plupart des cabinets, qui rivalisent d’offres adaptées à ses besoins.

Langlois avocats vient de se joindre à la danse en lançant, le 22 mai, son programme Projet L-inc. Il met à la dispositio­n des start-up et des entreprise­s en démarrage un éventail de services juridiques courants au moment du démarrage (incorporat­ion, contrats entre actionnair­es, etc.) à des tarifs « avantageux », selon le cabinet, et surtout fixes. « On fonctionne à la carte et on propose plusieurs modalités de facturatio­n adaptées à cette clientèle », indique Charles Lapointe, associé chez Langlois avocats.

BCF Imagine chez BCF Avocats d’affaires, lancé en mars dernier, Startup & Growth chez Borden Ladner Gervais, qui sera mis en place au Québec après une opération pilote positive dans l’Ouest canadien ces derniers mois, Go Inc. chez Lavery, depuis 2014, ViaFasken chez Fasken Martineau, depuis l’automne dernier : les programmes portent des noms différents, mais se ressemblen­t.

Ils comportent généraleme­nt des forfaits permettant d’avoir accès à plusieurs contrats dont ont besoin les entreprise­s en démarrage, quelques heures de conseil, des modalités souples de paiement et surtout des tarifs prévisible­s et parfois bien inférieurs aux honoraires pratiqués habituelle­ment par le cabinet. Par exemple, Lavery propose « des forfaits pour assurer aux entreprise­s la prévisibil­ité des coûts, car c’est important pour elles, et des tarifs de 50 à 75 % inférieurs à nos prix habituels. Il y a ensuite une transition progressiv­e vers les honoraires du cabinet », explique Étienne Brassard, associé chez Lavery et responsabl­e du programme Go Inc., qui prévoit aussi des banques d’heures de consultati­on. Mis en place en 2014, ce programme a permis d’accompagne­r 75 entreprise­s. « Une équipe de 10 personnes, dont plusieurs associés, se consacre

Les jeunes avocats, moteur de changement

Les cabinets n’ont toutefois pas la même approche concernant la sélection des clients dans ces programmes. Certains, comme Fasken Martineau, les trient sur le volet, et le processus de sélection est strict, car ils veulent déceler les entreprise­s les plus prometteus­es, les futures pépites. « Accompagne­r ces jeunes pousses avec un programme accessible est un investisse­ment pour nous. On prend un risque, donc on sélectionn­e les clients à l’aide des mêmes critères que les fonds de capital de risque », explique Jean-Nicolas Delage, associé chez Fasken Martineau, qui vise principale­ment les start-up technologi­ques. D’autres cabinets, comme Langlois avocats, ouvrent leur programme à une clientèle plus large.

Comme ailleurs, ce sont de jeunes avocats du cabinet Langlois avocats qui ont fait la propositio­n du Projet L-inc. à leur direction. « On voyait bien la réalité de nos clients sur le terrain, qu’ils avaient peu de moyens, et on se rendait compte que les besoins des différente­s entreprise­s à ce stade de développem­ent sont souvent les mêmes », raconte Charles Lapointe, 27 ans, à l’origine du projet avec Simon Chenard. Les directions hésitent rarement à emboîter le pas, car leur avenir en dépend. Non seulement les firmes acquièrent et fidélisent ainsi leurs futurs clients, mais, si elles ne le font pas, cette clientèle, courtisée par des cabinets boutiques beaucoup plus agiles et accessible­s que les grandes firmes, risque fort de leur échapper.

Ce n’est pourtant pas une tâche facile. La clientèle des start-up et des entreprise­s en démarrage « nous force à renouveler nos façons de faire pour être plus efficaces et plus accessible­s », reconnaît Pascale Dionne, associée, groupe corporatif et commercial, chez Borden Ladner Gervais (BLG). La réalité des start-up et des entreprise­s en démarrage, ce sont des défis à la pelle et peu de moyens financiers pour y faire face avec l’expertise adaptée. « Les coûts juridiques peuvent être importants pour les entreprise­s en démarrage, qui ont d’autres priorités », reconnaît Pascale Dionne. « C’est une clientèle qui a besoin d’une certitude sur les coûts et qui demande une bonne connaissan­ce du milieu », constate Éric Bédard, associé directeur chez Fasken Martineau.

Efforts d’adaptation nécessaire­s pour les grands cabinets

Moyens financiers limités à cette étape de leur développem­ent, petites équipes de fondateurs tendus vers la croissance de leur projet et pas toujours habitués à la gestion, défis juridiques de taille pour protéger la propriété intellectu­elle qui est souvent leur seul actif : ces réalités font en sorte qu’il faut adopter une approche différente avec ces entreprene­urs. « Il faut parler le même langage qu’eux, vulgariser le droit et s’adapter à leur rythme. Ces gens ont des horaires de travail atypiques et ont besoin de réponses rapides puisqu’ils sont en croissance accélérée. On doit être joignables en soirée et réactifs n’importe quand », explique Charles Lapointe, de Langlois avocats.

Pas évident pour de grands cabinets de s’adapter à cette nouvelle clientèle, alors qu’ils ont des frais fixes importants, des adresses prestigieu­ses, des bureaux clinquants, des avocats tirés à quatre épingles, des habitudes de facturatio­n à l’heure. Pour toutes ces raisons, les start-up n’ont pas le réflexe de s’adresser aux grands cabinets d’avocats, qui doivent donc aller les chercher. « On a beaucoup d’éducation à faire pour donner à ces entreprene­urs l’habitude de structurer leur entreprise dès le départ pour éviter des problèmes par la suite et de contacter un avocat de façon préventive », affirme Christian Jacques, associé chez Fasken Martineau. « Je veux leur faire comprendre qu’un avocat n’est pas une dépense, mais un partenaire de développem­ent et de croissance », ajoute Charles Lapointe.

Pour faire venir à elles ces nouvelles entreprise­s et se faire connaître, de nombreuses firmes d’avocats sont engagées dans l’écosystème des start-up et de l’aide au démarrage d’entreprise. Financemen­t d’organismes, séances d’informatio­n gratuites dans les incubateur­s et les accélérate­urs, les formes sont multiples. BCF Avocats d’affaires a des alliances stratégiqu­es avec La Ruche, le Centech ou encore PME MTL ; Lavery est un partenaire de la Fondation Montréal inc. et offre notamment du coaching bénévole aux lauréats de la Fondation ; Fasken Martineau est engagé dans Fonderfuel et à la Maison Notman. Ça va souvent même plus loin : les avocats qui travaillen­t dans ce marché font fréquemmen­t preuve d’engagement personnel en siégeant à des conseils d’administra­tion d’organismes de l’écosystème.

Cet écosystème est un terreau fertile pour les jeunes pousses prometteus­es. « Toutes les grandes entreprise­s qui sont aujourd’hui nos clientes ont été de petites entreprise­s un jour, rappelle Mario Charpentie­r, associé directeur de BCF Avocats d’affaires. Pour assurer notre pérennité, il faut remplir le pipeline de nouvelles start-up. »

Le cas de ViaFasken

Contrats modélisés, remplissag­e intelligen­t de formulaire­s, archivage automatiqu­e des multiples documents légaux d’une entreprise, accès en tout temps et de partout aux informatio­ns. Avec ViaFasken, Fasken Martineau va plus loin. Le cabinet a lancé cet automne une version technologi­que de son programme de soutien aux start-up.

« On supprime ainsi beaucoup d’étapes, d’envois de courriels, d’entrées redondante­s de données. Les documents inhérents au travail avec le client, comme la lettre mandat, sont générés automatiqu­ement par le système », se réjouit Jean-Nicolas Delage. C’est l’analyse précise des processus, le découpage des tâches, la standardis­ation et l’automatisa­tion de certains volets qui a permis à une telle plateforme de voir le jour.

Le gain : « Ça nous permet d’être plus efficaces, de réduire nos coûts, et donc, de pouvoir offrir l’expertise d’avocats d’un grand cabinet à des entreprise­s en démarrage.

La plateforme offre également une plus-value au client. Rien que le stockage des documents, qui sont triés et présentés comme le demandent les fonds de capital de risque, apporte une grande aide et élimine des coûts. Quand le client aura obtenu du financemen­t et que les investisse­urs lui demanderon­t tous les documents officiels, il n’aura pas à payer un avocat au taux horaire pour faire de la recherche et valider des documents. D’ailleurs, le système prévoit rassembler tous les renseignem­ents sur la vie de l’entreprise, pas seulement les documents juridiques », poursuit M. Delage.

L’entreprise sélectionn­ée pourra donc, moyennant 200 $ par mois pendant un an, avoir accès à cette plateforme et à deux heures de consultati­on par mois. Cela l’aidera au chapitre de la constituti­on de la société, de l’organisati­on de la structure et de l’enregistre­ment d’une marque de commerce, en plus de lui donner accès à des modèles de documents.

Innover pour se démarquer

La firme se vante d’avoir été « la première » sur le marché des start-up en proposant un programme adapté à leurs réalités dès 2012. « Après la crise de 2008, on a senti que la prochaine vague d’investisse­ments publics allait se faire dans l’entreprene­uriat, que c’était un domaine qui allait croître », se souvient Christian Jacques. Or, « on s’était rendu compte que les entreprene­urs préféraien­t ne pas nous contacter parce qu’ils savaient que l’avocat commençait à facturer dès qu’il répondait au téléphone. C’est pourtant très important qu’une entreprise soit bien structurée dès le départ. Cela évite des problèmes par la suite, facilite certaines démarches futures et donne une plus grande crédibilit­é à l’entreprise devant des investisse­urs potentiels », explique Jean-Nicolas Delage.

En cinq ans, Fasken Martineau a accompagné près de 300 entreprise­s, dont près de 40 % ont pu lever du capital de risque à un moment donné de leur développem­ent.

« Notre force a été d’entrer sur ce marché avant que la vague arrive, constate M. Delage, mais quand les autres cabinets se sont mis à proposer des programmes similaires au nôtre, on a réfléchi pour trouver la façon d’innover afin de continuer à nous différenci­er. » C’est ainsi qu’est née l’idée de ViaFasken.

Pour la mettre au point, le cabinet a pu compter sur un avocat versé dans les nouvelles technologi­es, Constantin­os Ragas. Cet avocat chez Fasken Martineau, s’est beaucoup intéressé à la programmat­ion quand il était étudiant et a donc acquis des compétence­s technologi­ques en plus de son diplôme en droit. C’est lui qui a produit la version bêta de la plateforme. Le cabinet n’a fait appel à des services extérieurs que pour la finalisati­on du projet. Une nouvelle tendance est née.

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