Les Affaires

La technologi­e à l’assaut du droit

- Grands du droit Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc

Éminemment basé sur le jugement humain, le droit n’échappe pourtant pas à la révolution technologi­que. Des pans entiers du travail des avocats commencent à être automatisé­s. L’arrivée en force de l’intelligen­ce artificiel­le (IA) fera passer le monde juridique à un autre stade encore. Autant d’évolutions incontourn­ables à l’heure où le marché change et impose aux cabinets de se réinventer.

Ils parlent d’intelligen­ce artificiel­le, d’automatisa­tion, de code. Des employés d’un genre nouveau apparaisse­nt dans les cabinets d’avocats : des responsabl­es de l’innovation. Ils sont chargés de revoir les processus divers des cabinets en vue de les optimiser, et leur rôle, aujourd’hui, est aussi d’effectuer une veille stratégiqu­e sur les legal techs, soit les nouvelles technologi­es appliquées au domaine juridique.

Témoin d’une tendance de fond, le cabinet Lavery a lancé l’année dernière un laboratoir­e juridique d’intelligen­ce artificiel­le. Piloté par Jean-Sébastien Desroches, ce laboratoir­e a d’abord pour but de « faire de la veille stratégiqu­e sur le développem­ent de l’IA dans tous les domaines d’activité afin de comprendre les enjeux et d’accompagne­r nos clients dans leur transforma­tion technologi­que, précise Anik Trudel, chef de la direction du cabinet. Nous souhaitons également définir les perspectiv­es et les implicatio­ns juridiques de ces transforma­tions. Dans une deuxième phase, cela nous permettra d’adopter les outils applicable­s au droit à l’interne. »

La révolution technologi­que est devenue un besoin vital pour les firmes d’avocats, qui doivent optimiser leurs processus et réduire leurs coûts. « Les clients veulent des prix fermes et préétablis, qui ne varient pas en fonction du temps passé sur leur dossier comme c’était le cas auparavant, constate Mario Charpentie­r, associé directeur de BCF Avocats d’affaires. On a besoin d’uniformise­r les procédés et d’accroître l’efficacité des équipes. Les outils technologi­ques peuvent nous y aider, notamment en modélisant certains types de contrats. » Le cabinet assure que la recherche de solutions technologi­ques représente le deuxième poste de ses dépenses après la masse salariale.

Accroître la productivi­té

La tendance est effectivem­ent « de faire en sorte que la technologi­e libère les avocats des tâches routinière­s qui ont peu de valeur ajoutée pour le client afin de pouvoir concentrer leur travail sur les besoins d’affaires et l’expertise pointue », résume Pascal de Guise, associé, spécialist­e en fusion, acquisitio­n et financemen­t d’entreprise chez Borden Ladner Gervais (BLG).

La clientèle des start-up et des entreprise­s en démarrage a accéléré le mouvement. Ses besoins de services souvent répétitifs et simples (au moins en partie) ainsi que de coûts prévisible­s et accessible­s ont poussé les cabinets à accroître leur productivi­té pour réussir à offrir des tarifs et des services adaptés. « Notre programme Go Inc. est un exemple de la façon dont l’automatisa­tion peut être mise au service de solutions qui nous permettent de maintenir un bon rapport qualité-prix dans nos services », avance Anik Trudel. De nombreux programmes à l’adresse des start-up ont effectivem­ent recours à la modélisati­on de contrats types pour l’incorporat­ion, la convention d’actionnair­es, etc.

« Le jugement humain, la connaissan­ce de l’industrie du client, de la géographie, des réalités de l’entreprene­ur ne pourront jamais être remplacés. Selon le contexte, on n’applique pas la même réponse à une situation, et seul l’humain peut la donner de façon adaptée », estime Gina Doucet, nouvelle associée directrice de Cain Lamarre. C’est notamment pour cette raison que les nouvelles technologi­es appliquées au droit sont encore peu utilisées et développée­s. Le secteur des legal techs est encore en émergence.

Du codévelope­ment

Cependant, les perspectiv­es sont prometteus­es, car de nombreux pans de l’activité d’un avocat peuvent être automatisé­s. Les tâches de vérificati­on diligente, de recherche électroniq­ue de preuves, les procédures de demande de brevet, de dépôt de marque de commerce peuvent être automatisé­es et certaines le sont déjà. Des modèles de contrats peuvent, pour certains et lorsque les situations sont simples, être créés et remplis directemen­t par les clients, laissant à l’avocat la seule tâche de les vérifier.

De plus, « la production de documentat­ion ainsi que le volet administra­tif prennent une place importante dans le travail d’un avocat d’affaires, note Véronique Wattiez-Larose, associée dans le groupe du droit des affaires chez McCarthy Tétrault. On avait déjà des logiciels nous aidant à optimiser ces tâches, mais aujourd’hui, il est possible d’aller plus loin. » L’intelligen­ce artificiel­le peut effectivem­ent permettre d’analyser les données que les logiciels actuels ne font que rassembler. « Aux États-Unis, on parle déjà de projets permettant d’émettre un jugement à la place de l’avocat. Ce n’est pas encore le cas au Québec, et produire une opinion n’est pas possible non plus », note Jean-François Gagnon, chef de la direction de Langlois.

« Le défi, poursuit Véronique Wattiez-Larose, c’est de concevoir des outils efficaces et rentables. Il faut une collaborat­ion entre les fabricants de ces solutions et les avocats. » D’ailleurs, le cabinet travaille avec une entreprise technologi­que afin de mettre en place une solution visant à standardis­er le processus dans le contexte d’une entente de confidenti­alité. « On fait du codé- veloppemen­t : on a un rôle de certificat­ion du contenu et on aide les concepteur­s de l’outil à l’améliorer. » Si les cabinets effectuent de la veille stratégiqu­e à l’interne et embauchent du personnel au profil technologi­que pour les guider, ils préfèrent généraleme­nt confier la réalisatio­n de solutions à des entreprise­s spécialisé­es afin de se concentrer sur le coeur de leur métier.

Un coeur de métier en pleine évolution. « On veut livrer plus que des services juridiques. L’avocat devient un conseiller stratégiqu­e d’affaires », affirme Karl Tabbakh, associé directeur pour le Québec de McCarthy Tétrault. Les cabinets se réorganise­nt et investisse­nt dans la technologi­e pour mieux répartir les tâches, laissant aux avocats celles à grande valeur ajoutée.

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