La transformation technologique du secteur manufacturier « Les femmes entrepreneures manquent de modèles »
— Sévrine Labelle,
Le secteur manufacturier n’en est pas à ses premiers changements. Après la mécanisation et l’électrification des équipements au 19e siècle, la globalisation a profondément transformé le modèle d’affaires des fabricants dans les années 1980. Plus récemment, l’automatisation et la robotisation ont entraîné des modifications dans plusieurs usines. La prochaine décennie sera celle des technologies numériques. On parle de la quatrième révolution industrielle : nous sommes actuellement à l’ère de l’usine intelligente, aussi appelée industrie 4.0.
Dans cette usine, les machines et les systèmes sont interconnectés et forment un réseau intelligent rendant les activités de fabrication plus flexibles. Les applications de l’industrie 4.0 sont nombreuses. Elles vont de la numérisation des documents commerciaux à l’intégration des réseaux informatiques en passant par l’impression 3D, les procédés intelligents pour évaluer la qualité des produits ou effectuer des suivis de production en temps réel, etc. Augmenter la productivité L’utilisation de capteurs sur les lignes de production permet d’obtenir des données sur la fabrication en temps réel pour valider la qualité des produits et la performance des équipements. Les entreprises peuvent ainsi réagir plus rapidement pour éviter les arrêts de production ou réduire les pertes liées à une variation de la qualité des produits.
Une PME de Sept-Îles, qui fabrique de l’équipement destiné aux secteurs du minerai de fer et de l’aluminium, a été une des premières au Québec à intégrer le concept de l’usine intelligente et en a retiré des gains remarquables. Elle n’a pas hésité à répondre à l’invitation du Cégep de Sept-Îles, afin de participer à un projet de recherche pour implanter un système grâce auquel elle pourra surveiller de façon continue l’épaisseur du revêtement appliqué à l’équipement vendu à ses clients.
Elle peut ainsi économiser sur deux plans. Il y a moins de gaspillage puisque le système permet d’appliquer une quantité optimale de revêtement. La PME peut aussi choisir de meilleurs scénarios d’entretien pour déterminer à quel moment l’équipement doit être remplacé, plutôt que de se fier aux directives du fabricant. La durée de vie de certaines pièces est ainsi passée de 2 000 à 10 000 minutes. Cela entraîne des économies de 75 000 $ en pièces de rechange, soit 10 % du budget annuel. La diminution des arrêts de production a aussi engendré des gains de productivité.
Devant ces résultats, l’entreprise entend poursuivre son virage technologique. Elle projette d’utiliser des capteurs pour surveiller le rendement de son équipement dans les installations de ses clients. Grâce aux données transmises par Internet, elle pourra les avertir en cas de problème ou planifier le remplacement des pièces. Elle bonifiera ainsi son service à la clientèle, ce qui lui permettra de se distinguer de ses concurrents. Transformer son modèle d’affaires Comme c’est le cas pour cette PME, les technologies numériques peuvent non seulement réduire les coûts, mais également changer le modèle d’affaires d’une entreprise. La connectivité permet aux fabricants d’offrir des services reliés à leurs produits. Grâce à ces technologies, les entreprises ajoutent de la valeur à leurs clients, améliorent l’expérience client et prolongent leur relation avec la clientèle en offrant des services complémentaires. Plusieurs fabricants deviendront des fournisseurs de services et pourront ainsi se différencier de la concurrence.
C’est le cas d’un fabricant ontarien de systèmes d’éclairage pour les secteurs commercial et industriel. À la vente de ses produits, il prévoit ajouter d’ici peu un service de location de systèmes d’éclairage munis de capteurs sans fil qui permettront de faire un suivi en temps réel de l’état de fonctionnement des appareils. Il pourra ainsi déterminer le moment où les ampoules doivent être changées et en informer ses clients avant qu’elles brûlent. Un gain d’efficacité pour les utilisateurs, que ce soit un site industriel ou une municipalité, qui ne seront jamais privés d’éclairage. Ce service procurera un revenu récurrent à l’entreprise et lui permettra de maintenir un contact régulier avec sa clientèle. Les fabricants prennent le virage Les technologies numériques offriront des possibilités inimaginables au secteur manufacturier au cours de la prochaine décennie. Près de 40 % des entreprises manufacturières canadiennes ont mis en oeuvre des projets 4.0.
Les fabricants québécois sont à l’avant-garde puisqu’ils ont entrepris le passage au numérique dans une proportion plus grande (45 %) que les autres provinces, selon une étude de la BDC.
Des données encourageantes qui ne doivent pas occulter le fait que les entreprises manufacturières des États-Unis, de l’Europe et de l’Asie ont une longueur d’avance en matière de virage numérique.
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– Vous avez succédé à Mme Nathaly Riverin, qui n’est restée qu’un an environ à la tête de Femmessor. Pourquoi un départ aussi précipité alors que votre organisation amorçait une profonde restructuration en 2016? Séverine Labelle – Je crois que, dans son esprit, Mme Riverin souhaitait vraiment se consacrer entièrement à son entreprise. Cela posé, son passage chez Femmessor a fait une vraie différence. Elle a effectué un excellent travail avec toute la restructuration que nous avons connue. Le processus est presque terminé, et les fondations sont solides. Dorénavant, nous avons une seule organisation panquébécoise, un seul CA et 17 bureaux régionaux plutôt que 18 organisations éparpillées. Pour ma part, notre entente actuelle avec le gouvernement québécois, qui nous finance, court jusqu’en 2021, et j’ai bien l’intention de rester jusque-là et de renouveler notre entente. Maintenant que vous êtes PDG de l’organisation, quelles sont vos priorités? S.L. – J’ai trois grands objectifs. D’abord, je veux augmenter la notoriété de Femmessor afin que les femmes entrepreneures con-naissent et utilisent nos produits et nos services. Nous avons un fonds de 20 millions de dollars pour les soutenir, et je voudrais l’épuiser le plus vite possible. Nous accordons des prêts de 20000$ à 150000$, et nous pouvons aller jusqu’à 250000$ en échange d’une prise de participation. Je veux aussi que notre offre de services croisse. Dans la région de la Capitale-Nationale, par exemple, nous avons implanté des « cliniques » où des expertes de plusieurs domaines (comptabilité, droit, etc.) donnent des heures pour aider nos entrepreneures. J’aimerais que cette idée fleurisse partout au Québec. Enfin, je veux créer des partenariats avec les entreprises. Plusieurs d’entre elles s’intéressent à l’entrepreneuriat féminin, et nous pouvons les aider à encourager le phénomène. Les femmes sont encore beaucoup moins nombreuses que les hommes à se lancer en affaires. Pourquoi? S.L. – C’est une grande question! Je pense que c’est souvent attribuable à des lacunes sur le plan de la confiance en soi. Les femmes manquent de modèles. Il n’y a pas beaucoup de grandes entrepreneures très connues au Québec. Toutefois, nous bénéficions en ce moment d’une impulsion favorable. J’ai l’impression que la nouvelle expression à la mode, c’est « entrepreneuriat féminin ». Nous rejoignons à l’heure actuelle près de 10000femmes, et je rêve de capitaliser là-dessus pour que le Québec devienne un modèle pour les femmes en affaires.