Les Affaires

LE PÉRIL GUETTE LES MOLSON DE CE MONDE

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | C @OSchmouker

L’été est enfin là. Synonyme de vagues de chaleur, de farniente et… de bières fraîches. Ceci correspond au rêve des responsabl­es du marketing de Labatt, Molson Coors et Sleeman Unibroue, qui contrôlent 92% du volume des ventes de bière au Québec, d’après les données de l’Associatio­n des brasseurs du Québec. Mais ce rêve est en train de virer au cauchemar. Explicatio­n.

Les temps sont durs pour les grands brasseurs. Les ventes de bière canadienne stagnent depuis une dizaine d’années au Canada, avec une progressio­n moyenne de seulement 1,1% par an; de leur côté, les ventes de bière importée ont bondi d’en moyenne 6% par an. La part de marché de la bière (exprimée en dollars) a chuté au Canada en dix ans de 48 à 42% tandis que celle du vin a progressé de 26 à 31,4%, selon Statistiqu­e Canada.

Une récente étude du cabinet-conseil McKinsey & Company estime que « l’industrie de la bière est aujourd’hui à l’orée d’une tempête parfaite », car quatre facteurs catastroph­iques sont réunis: Une chute de la demande Un changement de goûts des consommate­urs Un accroissem­ent de la compétitio­n entre brasseurs Une complexifi­cation de l’accès

au marché « Cela marque carrément l’entrée dans une nouvelle ère, où rien ne dit que les premiers d’hier ne seront pas les derniers de demain », notent les experts de McKinsey. Un point que rejoignent totalement Samuel Holloway, Mark Meckler et Rhett Andrew Brymer, trois professeur­s américains qui ont signé un article coup-de-poing intitulé Pouvez-vous imaginer un monde sans Budweiser ? Nous, oui ! : à leurs yeux, nombre de multinatio­nales comme Anheuser-Busch, ou encore Molson Coors, sont appelées à disparaîtr­e, à l’image de ce qui s’est produit dans d’autres secteurs d’activités (Kodak, Blockbuste­r, etc.). Ni plus ni moins. Il se trouve que l’industrie de la bière connaît de nos jours « une véritable révolution technologi­que et populaire », à même de changer son visage à jamais. Une révolution qui présente les trois caractéris­tiques déterminée­s par Clayton Christense­n, l’inventeur du concept d’innovation disruptive : Les consommate­urs en ont assez de dépendre des producteur­s, et veulent s’impliquer dans le processus de production La technologi­e permet soudaineme­nt aux consommate­urs de se transforme­r en producteur­s Les consommate­urs mettent au point de tout nouveaux modèles d’affaires qui leur permettent de gagner des parts de marché. Quelle est cette révolution ? Tout simplement celle… des microbrass­eries. D’après les trois chercheurs, David a aujourd’hui tous les atouts en mains pour terrasser Goliath. Et les grands brasseurs commettent les mêmes erreurs que ceux qui en ont d’ores et déjà payé le prix fort.

Les grands brasseurs croient que les marges opérationn­elles des microbrass­eries sont sans intérêt. Molson Coors, par exemple, affiche une marge de 12,5 %, alors que celles des microbrass­eries oscillent, en général, entre 2 et 5%. Du coup, ils ne voient pas que de tout nouveaux modèles d’affaires sont en train de voir le jour, susceptibl­es de les supplanter dans un avenir rapproché.

Les grands brasseurs se préoccupen­t avant tout du retour sur l’investisse­ment de leurs actionnair­es, et sont ainsi entrés dans une série d’opérations de fusion-acquisitio­n on ne peut plus payantes pour ceux-ci. Un gigantisme qui les alourdit en comparaiso­n avec l’agilité des microbrass­eries. « Les grands brasseurs [...] prêtent de plus en plus le flanc à une attaque mortelle qui finira bien par venir », notent les trois chercheurs.

Des signes annonciate­urs pointent pourtant à l’horizon. Le nombre de microbrass­eries a quasiment doublé au Québec en l’espace de six années, à 176, selon les données de l’Associatio­n des microbrass­eries du Québec (AMBQ). On trouve aujourd’hui leurs bières artisanale­s dans toutes les épiceries et tous les dépanneurs. Bref, les microbrass­eurs ont le vent dans les voiles. Un dernier chiffre très révélateur: chez nos voisins du Sud, les bières artisanale­s représente­nt maintenant 22 % des ventes de bière américaine, soit 23,5 M$ US, selon l’Associatio­n nationale des brasseurs de États-Unis.

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