Les Affaires

Jean-Paul Gagné

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ gagnejp

Financière agricole : une gouvernanc­e au service du privé

Un récent rapport de l’Institut sur la gouvernanc­e d’organisati­ons privées et publiques (IGOPP), portant sur la Financière agricole du Québec (FAQ), vient de confirmer la non-pertinence de son conseil d’administra­tion.

Dévoilé par La Presse, ce document est demeuré confidenti­el, probableme­nt parce que ni le conseil d’administra­tion (CA) de la FAQ ni le gouverneme­nt ne voulaient dévoiler le jugement sévère de l’IGOPP sur la gouvernanc­e de cette société, qui gère les programmes d’aide financière aux agriculteu­rs et d’assurance visant la stabilisat­ion de leurs revenus.

En gros, l’Institut dénonce le fait que le conseil d’administra­tion de la FAQ compte cinq hauts dirigeants de l’UPA, le puissant monopole syndical des producteur­s agricoles du Québec. Le CA de la FAQ inclut aussi huit membres indépendan­ts, son président-directeur général et le sous-ministre de l’Agricultur­e, des Pêcheries et de l’Alimentati­on du Québec (MAPAQ). Contrairem­ent à ce que l’on observe dans la plupart des conseils d’administra­tion des sociétés d’État, les dirigeants de l’UPA qui siègent au CA de la FAQ sont « désignés » par leur syndicat. Ils ne sont donc pas choisis par le gouverneme­nt à partir d’une liste de personnes suggérées par le conseil d’administra­tion d’une société donnée.

Non seulement cette présence imposante de l’UPA lui donne beaucoup de poids et de pouvoir dans les discussion­s et la gestion des enjeux portés à l’attention du CA de la FAQ, mais ses représenta­nts se trouvent en conflit d’intérêts puisqu’à peu près toutes les décisions du CA concernent les intérêts des producteur­s.

On imagine mal que les membres de l’UPA quittent la salle du conseil de la FAQ chaque fois que l’on discute de programmes pouvant avoir un impact sur leurs revenus et ceux des producteur­s qu’ils représente­nt. Malgré cet

La puissance de l’UPA et l’immobilism­e que favorise le monopole de leur syndicat nuisent à l’innovation et la conquête de nouveaux marchés.

accroc à la bonne gouvernanc­e, et bien que les administra­teurs autres que ceux représenta­nt l’UPA aient exprimé leur malaise quant à cette situation, le ministre responsabl­e, Laurent Lessard, a dit qu’il n’entendait pas revoir la gouvernanc­e de la FAQ. Il est clair que l’intérêt actuel de M. Lessard est politique : il veut amadouer les membres de l’UPA, qui en avaient assez de son prédécesse­ur, Pierre Paradis, dont certains avaient demandé la démotion. Le retrait de M. Paradis du conseil des ministres en janvier dernier a été une bénédictio­n pour le premier ministre Couillard, qui a pu nommer au MAPAQ un homme qui allait conforter les bonzes du monopole syndical.

L’État dans l’État

La nomination de M. Lessard a consacré le monopole qu’avait menacé son prédécesse­ur, en rendant accessible le crédit de taxes foncières à des non-membres de l’UPA à compter du 1er janvier 2017. Ce monopole avait été créé en 1995 par le gouverneme­nt de Jacques Parizeau, alors qu’il préparait sa campagne référendai­re. Le ministre de l’Agricultur­e de l’époque, Marcel Landry, avait travaillé pour l’UPA de 1986 à 1994. Le gouverneme­nt avait alors réservé le crédit d’impôt pour taxes foncières aux seuls agriculteu­rs membres de l’UPA. La présidente du Barreau du Québec de l’époque, Me Jocelyne Olivier, avait ainsi admonesté le ministre Landry : « Quelle autre associatio­n jouit d’un tel privilège ? Cette dispositio­n inusitée semble abusive et discrimina­toire. » Évidemment, de hauts dirigeants de l’UPA ont appuyé le Oui.

Depuis que Laurent Lessard est aux commandes du MAPAQ, l’UPA peut dormir sur ses deux oreilles. Le ministre a notamment ordonné au fiscaliste Luc Godbout de mettre fin à l’étude que lui avait commandée Pierre Paradis sur l’impact des changement­s au programme de crédit de taxes foncières qui avait été étendu aux agriculteu­rs non membres de l’UPA le 1er janvier dernier. Devant la grogne de l’UPA, Québec a reculé. Le monopole a été sauvé.

Cette victoire de l’UPA s’ajoute à bien d’autres dérobades du gouverneme­nt : le tablettage de l’impression­nant rapport de la commission d’enquête présidée par Jean Pronovost sur l’avenir de l’agricultur­e et de l’alimentati­on, qui avait proposé de mettre fin au monopole de l’UPA (février 2008) ; l’oubli d’un autre rapport Pronovost sur le vécu et les attentes des jeunes agriculteu­rs, qui avait aussi proposé la fin du monopole de l’UPA (avril 2016) ; et la mise au rancart du rapport de Florent Gagné sur l’acéricultu­re (février 2016), tel que demandé par l’UPA.

Même Maxime Bernier a constaté que l’on doit respecter les agriculteu­rs. En s’attaquant à la gestion de l’offre, il a perdu la chefferie du Parti conservate­ur du Canada aux dépens d’un inconnu qui avait défendu la gestion de l’offre.

Personne ne conteste le droit des agriculteu­rs de défendre leurs intérêts. Toutefois, la puissance de l’UPA, devant laquelle les décideurs politiques s’écrasent, et l’immobilism­e que favorise ce syndicat nuisent à l’innovation et à la conquête de nouveaux marchés pour les producteur­s et les transforma­teurs du Québec.

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