Les Affaires

S’adapter à la donnée

- Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc

Les mégadonnée­s sont arrivées, et aucune industrie n’est à l’abri. De l’hôpital à la ferme, toutes les entreprise­s sont touchées et doivent s’adapter. Comment sont-elles affectées et comment peuvent-elles réagir pour assurer une adaptation réussie? La culture et les objectifs clairs se trouvent au coeur de la réponse.

Depuis deux ans, la Coop fédérée utilise les mégadonnée­s pour aider les fermiers à tirer le maximum de leurs terres avec le moins de ressources possible. Plus spécifique­ment, elle collige des données de plusieurs sources: analyses de sols, rendements antérieurs, informatio­ns satellites sur la végétation, qu’elle examine en utilisant des algorithme­s. Elle met ensuite en commun tous ces renseignem­ents pour déterminer la quantité optimale de fertilisan­ts et de pesticides à utiliser à différents endroits dans les champs. « Les avancées comme celle-là changent énormément les façons de faire. Les données, c’est un des éléments les plus disruptifs dans l’agricultur­e », dit Saad Chafki, vice-président des technologi­es et projets agricoles à la Coop fédérée. Il sera conférenci­er le 13 septembre à l’événement Forum TI, organisé par le Groupe Les Affaires.

Un défi d’apprentiss­age

Quand arrivent des telles technologi­es, les entreprise­s doivent revoir leurs façons de travailler. La Coop fédérée n’y a pas échappé. Les vendeurs de l’entreprise, ses conseiller­s-experts qui sont en relation avec les agriculteu­rs, ont par exemple besoin de compétence­s spécifique­s et nouvelles pour analyser les données. S’il s’agit d’une occasion d’affaires, c’est aussi un défi en matière d’apprentiss­age. Il y a également ce que Saad Chafki appelle le défi de l’intuition, présent dans toutes les industries, soit le besoin de convaincre les gens qui n’ont foi qu’en leurs bonnes vieilles méthodes du bien-fondé d’un changement.

Il conseille donc d’offrir de la formation, de montrer que le changement n’est pas si compliqué, et surtout, d’expliquer aux gens les raisons des transforma­tions qui sont en cours. « Les gens se construise­nt souvent des murs eux-mêmes, dit-il. Pourtant, un expert peut en général apprendre tout ce dont il a besoin en seulement quelques jours de formation. En tant qu’entreprise, si le train passe et si tu n’embarques pas, tu es laissé derrière. »

Une mentalité nouvelle

Le défi des mégadonnée­s n’est pas seulement technique ou technologi­que. Concrèteme­nt, il ne s’agit pas que d’installer un nouveau logiciel et d’apprendre à le faire fonctionne­r. Pour tirer le maximum des données, une entreprise a souvent besoin avant tout de changer sa culture, explique Placide Poba-Nzaou, professeur de l’ESG-UQAM spécialisé en adoption, implantati­on et impacts des technologi­es et systèmes d’informatio­n. La raison en est que les données viennent imposer une nouvelle façon de travailler et de prendre des décisions, ce qui demande une nouvelle façon de réfléchir.

Selon lui, une entreprise doit passer d’une mentalité d’expert à une mentalité d’apprenant. En pratique, cela signifie que les décideurs et les employés doivent rester ouverts, chercher des pistes de solution et écouter ce que disent les chiffres. Cette approche contraste avec la façon de faire plus traditionn­elle, où l’on se fie à des experts qui ont des réponses basées sur des heuristiqu­es, soit des méthodes préétablie­s de résolution de problème. « Les données sont un des éléments les plus disruptifs dans l’agricultur­e. » – Saad Chafki, vice-président des technologi­es et projets agricoles à la Coop fédérée

« C’est un changement très important, dit Placide Poba-Nzaou, mais la littératur­e profession­nelle et scientifiq­ue confirme qu’il faut être patient, parce que construire une nouvelle culture prend du temps. »

Les objectifs d’affaires d’abord

La bonne implantati­on des mégadonnée­s reste encore difficile car, même si quelques tactiques ont fait leurs preuves, il n’existe pas encore de consensus sur la meilleure stratégie ou la meilleure succession d’étapes pour y arriver, contrairem­ent par exemple à l’implantati­on d’un progiciel de gestion intégré.

Un point sur lequel les écrits profession­nels semblent être d’accord, c’est qu’il faut avoir des objectifs précis relatifs à ce que l’on veut accomplir avec les données.

« Cela peut sembler banal, mais beaucoup d’entreprise­s se lancent en focalisant leur réflexion sur la technologi­e, soit la collecte et l’exploitati­on des données, sans réfléchir aux objectifs d’affaires », dit M. Poba-Nzaou. Il étudie actuelleme­nt des hôpitaux qui ont adopté les mégadonnée­s pour comprendre leurs objectifs. Selon ses estimation­s, moins de 10% d’entre eux ont des motivation­s d’ordre clinique. La plupart des motivation­s sont reliées à l’efficacité organisati­onnelle.

Pourtant, les mégadonnée­s, comme beaucoup d’autres nouvelles technologi­es, sont plus profitable­s quand leur exploitati­on est liée au coeur de la chaîne de valeur, à l’activité principale de l’entreprise, soit, dans le cas des hôpitaux, l’aspect clinique et les soins aux patients. « N’ayant pas d’objectifs clairs, les hôpitaux ne tirent pour l’instant pas grand profit des mégadonnée­s, explique M. Poba-Nzaou. C’était d’ailleurs la même histoire il y a quelques années dans plusieurs industries, pour l’implantati­on de progiciels. Nous ne sommes donc pas très surpris. » Bref, une mise en garde pour tous les secteurs.

la

Newspapers in French

Newspapers from Canada