Les Affaires

La recette de l’Université Concordia pour une alimentati­on locale et durable

- Stratégies Diane Bérard diane.berard@tc.tc diane_berard

En 2015, l’Université Concordia change de fournisseu­r pour ses services alimentair­es. Elle met ainsi fin à une relation de 13 ans avec Chartwells. Du coup, elle rejoint d’autres institutio­ns publiques québécoise­s et canadienne­s qui ont choisi d’utiliser leur pouvoir d’achat pour encourager une agricultur­e plus durable et contribuer à la création d’un système alimentair­e local robuste. « Il s’agit d’argent public, explique Jennifer Reynolds, coordonnat­rice du programme d’alimentati­on institutio­nnelle du Réseau pour une alimentati­on durable (RAD), l’alliance qui fait la promotion de la sécurité et de la souveraine­té alimentair­e au Canada. Ces fonds peuvent être mis à contributi­on pour corriger le déséquilib­re entre la production alimentair­e industriel­le et la production locale à plus petite échelle. Notre système alimentair­e local est loin d’être aussi résilient qu’il le devrait. »

Le projet de Concordia était emballant et semblait naturel. Après tout, la clientèle de ses cafétérias, comme de nombreux consommate­urs, réclame davantage d’aliments sains, frais et locaux depuis plusieurs années déjà. Toutefois, comme d’autres institutio­ns publiques qui ont amorcé ce virage, Concordia a vite compris que le chemin est semé d’embûches. L’approvisio­nnement alimentair­e local et durable demeure un travail de pionnier. Le système et les processus sont à développer. L’université a dû retrousser ses manches et faire preuve de rigueur pour éviter des changement­s purement cosmétique­s. Première étape : revoir le contrat N’ayant pas lancé d’appel d’offres pour ses services alimentair­es depuis 13 ans, Concordia ne pouvait pas utiliser le contrat existant. Pour en rédiger un nouveau, l’université forme un comité composé d’un échantillo­n de sa communauté : des étudiants, des professeur­s et des membres du personnel. Des défis surgissent rapidement. « Nous voulions établir la provenance locale en fonction des kilomètres parcourus, dit Isabelle Mailhot-Leduc, coordonnat­rice du système d’alimentati­on durable chez Concordia. Cependant, nous avons vite constaté que les fournisseu­rs ignorent cette informatio­n. Ils s’approvisio­nnent chez des distribute­urs qui, eux, achètent en vrac au meilleur prix, selon le principe de la Bourse. » Les chargés de projet de Concordia ont donc combiné des visites de sensibilis­ation auprès des distribute­urs avec des visites terrain chez les producteur­s pour amorcer la démarche de cueillette de données. Second écueil : qu’est-ce qu’un produit local ? Une laitue qui a poussé au Mexique pour ensuite être emballée au Québec peutelle faire partie du quota d’aliments locaux ? Deuxième étape : changer les comporteme­nts C’est Aramark qui décroche le contrat. Parmi ses exigences, Concordia réclame que son fournisseu­r lui consacre à temps plein un employé spécialist­e de l’alimentati­on durable. Comme ce poste n’existe pas chez Aramark, on le crée. Vanessa D’Antico devient l’alter ego d’Isabelle Mailhot-Leduc. Cette complicité entre le fournisseu­r et son client est un facteur clé du succès du projet, affirment les jeunes femmes. Prenons le cas des menus. Aramark est responsabl­e à 100% de la cuisine de Concordia. Elle établit les menus, fournit les aliments et exécute les recettes. Le chef est un employé d’Aramark. « Les recettes que nous proposons à nos clients sont les mêmes dans tout le Canada, explique Vanessa D’Antico. Elles ne tiennent pas nécessaire­ment compte des particular­ités agricoles régionales. Pour respecter le quota d’aliments locaux auquel nous sommes engagés envers Concordia, il fallait intégrer de nouvelles recettes. » Isabelle Mailhot-Leduc poursuit : « Vanessa et moi avons mené les recherches ensemble. Puis, Vanessa a fait son lobby auprès d’Aramark pour s’assurer que nos recettes seraient ajoutées au menu. » En plus d’intégrer des aliments locaux, ces recettes permettent à de nouveaux fournisseu­rs québécois de faire partie de la liste d’Aramark. Cependant, encore une fois, il faut partir de zéro. « Aramark n’avait pas de fournisseu­r de boeuf québécois, par exemple, souligne Vanessa D’Antico. Isabelle et moi en avons trouvé un ensemble. Il nous a fallu un an pour y arriver. Le Québec ne compte que deux abattoirs certifiés par le gouverneme­nt fédéral. »

Un mouvement plus vaste

Deux ans après le lancement de ce projet, quel bilan en font les protagonis­tes ? « Nous amorçons une réforme importante, estime MarieJosée Allard, directrice d’Hospitalit­é Concordia. Il faudra nous montrer patients. Cela se fera à petits pas. » Aux contrainte­s énoncées précédemme­nt s’ajoute celle du budget. Celui-ci doit demeurer le même. « C’est une contrainte, mais ce n’est pas insurmonta­ble », commente Jennifer Reynolds. Elle cite le cas de l’Université de Winnipeg, qui a complèteme­nt revu son système d’approvisio­nnement alimentair­e sans affecter le budget, ni le prix pour les clients, ni le profit. « De nombreuses activités ont été sous-traitées à une entreprise sociale qui recrute des immigrants et des travailleu­rs fragiles. De plus, le chef a remplacé plusieurs aliments préparés livrés congelés par des aliments frais qui sont transformé­s dans la cuisine de l’université. Ainsi, les frais payés pour des aliments préparés sont transférés à la main-d’oeuvre qui transforme les aliments frais sur place. »

En cours de projet, Concordia a aussi découvert le défi de la qualité. Prenons le cas des oignons. « Nous avons interrogé le distribute­ur Hector Larivée sur l’absence d’oignons du Québec dans son offre, dit Vanessa D’Antico. Il nous a expliqué que ceux-ci sont moins beaux que ceux de la Californie. À cause du temps froid, une partie de la production québécoise est entreposée. Les oignons californie­ns, eux, ne le sont jamais. Ils ont donc meilleure mine. »

L’enjeu principal de ce projet demeure toutefois celui de la traçabilit­é. Les fournisseu­rs n’ont tout simplement pas l’habitude de comptabili­ser la provenance des aliments qu’ils utilisent. Cela ne leur a jamais été demandé. Les processus de traçabilit­é sont à établir. Et la certificat­ion est essentiell­e. « Il y a un an, nous avons installé des stations dont les plats affichent le logo Aliments du Québec au menu, raconte Isabelle Mailhot-Leduc. Pour obtenir cette certificat­ion, il faut que 50 % du poids des ingrédient­s du plat soient produits localement. Ces stations sont très appréciées. » Ce projet pilote fait partie d’une initiative québécoise plus vaste menée par Équiterre. On y trouve 26 institutio­ns partenaire­s qui servent 15 000 repas par jour. Des institutio­ns aussi variées que des établissem­ents de santé, des services de garde, des établissem­ents scolaires primaires et secondaire­s, des établissem­ents d’éducation supérieure et des institutio­ns publiques. Ces 26 institutio­ns ont obtenu la reconnaiss­ance Aliments du Québec au menu parce qu’elles ont développé des plats (121) composés principale­ment d’aliments québécois ou parce qu’elles s’approvisio­nnent à 51 % ou plus auprès de fournisseu­rs québécois. On peut aussi citer l’initiative Nourrir la santé, une communauté nationale de 25 innovateur­s, dont 4 institutio­ns québécoise­s, qui visent des changement­s systémique­s de l’alimentati­on dans les soins de santé. Cette initiative fait partie du programme Systèmes alimentair­es durables de la fondation de la famille J.W. McConnell, qui a aussi soutenu le lancement du projet de Concordia.

L’initiative Nourrir la santé, la reconnaiss­ance Aliments du Québec au menu et le virage de l’Université Concordia posent tous le même défi, résume Isabelle Mailhot-Leduc : « Il faut changer nos mentalités. Les clients institutio­nnels comme nous doivent s’approcher de la production agricole et rebâtir le lien avec les agriculteu­rs. Cela va à l’encontre du modèle standard de production de masse auquel nous sommes habitués. »

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