Saputo à la conquête du monde
La multinationale laitière avale les acquisitions à un rythme soutenu. Son PDG, Lino Saputo Jr., explique sa stratégie de croissance mondiale, région par région.
Montréal, 1954. Depuis deux ans, Lino Saputo (premier du nom) vit dans la métropole. Il est venu rejoindre son père, Giuseppe, et son frère, Frank, en même temps que le reste de la famille. Il est tenaillé par le goût d’entreprendre. Avec 500$ en poche et une bicyclette pour faire la livraison, il convainc le paternel, maître fromager, de partir à son compte.
C’est le début de l’aventure. Sans le savoir, la famille vient de se lancer à la conquête de la planète.
Faisant partie des 10 transformateurs laitiers les plus importants du monde et des trois premiers fromagers aux États-Unis, Saputo est aujourd’hui une vraie multinationale. Elle fabrique des produits laitiers (beaucoup de fromage) dans quatre pays et les vend sur plus de 40 marchés. Elle possède 50 usines : 22 au Canada, 24 aux États-Unis, 2 en Argentine et 2 en Australie.
Depuis 1997, année où elle est entrée en Bourse, elle a multiplié ses revenus par 24 pour les faire passer de 450 millions de dollars canadiens à 11 milliards de dollars canadiens. Son action, qui valait à peine plus de 2$ à l’émission, se négocie aujourd’hui à 40$, soit à près de 20 fois sa valeur d’il y a 20 ans.
Comment est-elle parvenue là où elle est? Grâce à deux choses, disent les analystes. 1 - Une arme maîtresse: les acquisitions. 2 - Un savoir-faire parmi les meilleurs, qui permet d’augmenter la productivité de chacune des usines qu’elle achète.
Plus de ventes donnent des économies d’échelle, et des marges qui s’améliorent donnent un autre coup de levier. Cela permet d’augmenter la rentabilité, ce qui, au final, signifie qu’il y a davantage d’argent pour accroître de nouveau le nombre d’usines. Et ainsi de suite.
Ça ressemble à un slogan publicitaire bien connu dans une histoire de hot-dogs (Hygrade), mais c’est aussi une formule qui marche pour Saputo dans le fromage. On ne change pas une recette gagnante.
En entrevue, celui qui a pris la relève du paternel, le chef de la direction, Lino Saputo Jr., affirme sans hésitation « qu’il y aura des acquisitions » non seulement dans l’avenir, mais aussi dans la présente année fiscale (d’ici le 31mars 2018). « On a souvent quatre ou cinq filières [pour des acquisitions potentielles] ouvertes en même temps. On a le talent, les ressources et l’appétit pour faire des
acquisitions. Et on peut gérer deux, trois, voire quatre acquisitions dans une année si elles se présentent », dit-il.
Les cinq cibles de Saputo à l’international
À l’international, les cibles d’acquisitions de Saputo sont situées aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Europe. Ce sont les principaux pôles de production de lait sur la planète.
Comme l’offre y surpasse de loin la demande locale, les surplus de lait et de produits laitiers peuvent être exportés dans les régions du monde où l’offre est insuffisante pour répondre à la demande.
On parle ici principalement des marchés émergents tels que la Chine, mais aussi de pays développés comme le Japon et la Corée du Sud. Actuellement, Saputo réalise 12 % de ses revenus totaux à l’extérieur du Canada et des États-Unis. De ce 12 %, la moitié est réalisée dans les pays émergents. La part de ces derniers augmentera dans les prochaines années.
Yan Cimon, spécialiste en stratégie internationale des entreprises à l’Université Laval, affirme que Saputo a une bonne stratégie de croissance à l’étranger, mariant cohérence et flexibilité. « Non seulement Saputo achète-t-elle des entreprises, mais elle les intègre efficacement à ses actifs, et c’est essentiel », dit-il.
Bien entendu, une société peut grandir à l’étranger grâce à la croissance organique, mais cette stratégie est moins efficace, selon Yan Cimon. « C’est plus risqué si l’entreprise comprend mal l’environnement d’affaires et le marché local. »
La multinationale britannique Tesco, un détaillant de produits d’épicerie et de marchandises en général, en est un bon exemple.
En 2013, Tesco a quitté le marché américain, six ans après y avoir fait ses premiers pas. Elle avait alors créé de toutes pièces une nouvelle marque, Fresh & Easy. Résultat ? L’entreprise n’a jamais pu s’imposer auprès des consommateurs américains, selon Le Monde.
Faire des acquisitions n’est pas sans risque non plus. Walmart s’est notamment cassé les dents en Allemagne. Sylvain Charlebois, spécialiste en distribution et politique agricoles à l’Université Dalhousie, à Halifax, affirme cependant que les entreprises agroalimentaires familiales comme Saputo ou les coopératives comme Agropur gèrent habituellement mieux les acquisitions que les autres sociétés de l’industrie agroalimentaire. « Leur approche est plus prudente, et elles gèrent le capital humain différemment », dit-il.