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REVENU MINIMUM : LA FINLANDE ET L’ONTARIO FONT LE TEST

- Politiques publiques Elisabeth Blanchet redactionl­esaffaires@tc.tc

Le revenu de base, aussi appelé renvenu universel ou revenu minimum garanti, a suscité ces derniers mois toute la gamme des opinions. La Finlande et l’Ontario ont choisi de passer des perception­s aux faits, et testent actuelleme­nt deux variantes du revenu de base. Avec des objectifs passableme­nt différents.

Début janvier, la Finlande amorçait une expérience nationale de revenu de base auprès de 2 000 chômeurs et chômeuses de longue durée, choisis de manière aléatoire dans l’ensemble du pays. Ce projet, le Perustulo, a pour but principal d’inciter les bénéficiai­res à retourner sur le marché du travail. En effet, depuis 2014, le taux de chômage national stagne autour de 10 %, laissant quelque 213 000 Finlandais, sur une population active de 2,7 millions, dépendre de l’État providence.

De ce nombre, Steffie, une allemande mariée à un Finlandais. « "Tu en fais partie !" s’est exclamé mon mari en me lisant la lettre de Kela, la sécurité sociale finlandais­e. Je n’y croyais pas. Il y avait moins de 1 % de chances que je participe au test du revenu de base », raconte la mère de famille de 38 ans. Arrivée à Mikkeli en Finlande en 2011, elle percevait précédemme­nt l’allocation de chômage. « C’était début janvier. La lettre expliquait que, pendant deux ans, j’allais toucher 560€ [838 $] de revenu de base, quelle que soit ma situation profession­nelle. Je ne savais rien de plus, sauf que je ne pouvais pas refuser », poursuit Steffie. Allait-elle perdre ses autres allocation­s ? Les 560€ allaient-ils être taxés ? Il lui a fallu plusieurs coups de fil à Kela pour éclaircir la situation.

L’expérience a en effet été lancée en six mois, par un gouverneme­nt de centre droit mené par Juha Sipilä, un homme d’affaires pressé par les deux années qui lui restent au pouvoir. « Cela nous a contraint à nous plier à quelques contrainte­s, notamment limiter l’échantillo­n », explique Miska Simanainen, l’un des concepteur­s du Perustulo. Outre devoir être sur l’aide sociale de longue date les prestatair­es devaient également être âgés de 25 à 58 ans. « On ne voulait pas que le Perustulo puisse interférer avec la décision de poursuivre des études supérieure­s. Pour les plus âgés, on ne voulait pas que le programme complique le versement des retraites », révèle M. Simanainen.

Des objectifs différents en Ontario

Le 24 avril, la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, annonçait également le lancement d’un projet pilote de revenu de base pour trois régions de la province – Thunder Bay, Hamilton et Lindsay –, garanti sur trois ans. En Ontario, le projet pilote touche 4 000 personnes âgées de 18 à 64 ans et vivant sous le seuil de pauvreté. Elles sont choisies de manière aléatoire mais, contrairem­ent aux Finnois, elles peuvent refuser. De plus, les Ontariens toucheront 1 417 $ par mois pour les personnes seules et 2 000 $ pour les couples, mais pourront perdre 50 % de ces sommes s’ils perçoivent des revenus. Par ailleurs, le détail des allocation­s qui pourraient être remplacées dans le cadre de ce projet n’est pas connu.

De chaque côté de l’Atlantique, les expérience­s présentent non seulement des conditions et des paramètres différents, mais elles n’ont pas non plus les mêmes priorités. Précurseur en matière de revenu minimum garanti, le Canada, et plus précisémen­t l’Ontario, part du postulat, basé sur les résultats positifs du projet Mincome mené entre 1974 et 1979 dans les villes de Dauphin et de Winnipeg, qu’un revenu de base permet d’améliorer les conditions d’accès à la santé et à l’éducation pour les personnes à faible revenu. Luc Gosselin, membre de Revenu de base Québec, confirme : « Ce nouveau projet pilote est d’autant plus intéressan­t qu’il se distingue de celui qui vient d’être lancé en Finlande, lequel s’axe davantage sur la relance de l’emploi. »

Un coussin de sécurité

« Je sais que ça ne fait que quatre mois mais, depuis que je touche le revenu de base, je me sens libre », explique le Finlandais Juha, 38 ans. Chez lui, c’est un peu la maison du bonheur : il vit avec ses six enfants en rase campagne dans une ancienne petite école en bois. Il poursuit : « J’ai beaucoup lu sur le Perustulo et j’espérais vraiment que je ferais partie de l’expérience. À Noël, quand j’ai lu la lettre de Kela, j’étais fou de joie. » En effet, Juha sait quoi faire de son cadeau de Noël : il utilise la sécurité financière qu’assure le Perustulo pour développer son activité d’artiste. Après avoir été ouvrier, directeur de sa propre entreprise et photograph­e, il peut enfin lancer son activité de création de tambours. « C’est une vraie libération pour moi, explique-t-il. Pour toucher les allocation­s de chômage, il faut prouver qu’on cherche activement du travail. Or, il n’y en a pas. S’il y a une annonce, il y a une centaine de candidatur­es. Alors, les gens mentent. Ils n’ont pas tort : autant aller pêcher ! »

Le mot « sécurité » est aussi récurrent dans le discours de Steffie. Doutant au début du principe du revenu de base, elle l’a vite tourné à son avantage : tout en continuant à étudier, elle a commencé à travailler à temps partiel. « Ça me permet d’acquérir de l’expérience profession­nelle et même de mettre un peu d’argent de côté », explique-t-elle.

Critiques et inquiétude­s

Cependant, les Finlandais ne voient pas tous l’expérience d’un bon oeil : les syndicats, principaux opposants du Perustulo, estiment que celui-ci risque d’accentuer l’écart entre les salaires et de cantonner les chômeurs dans des emplois précaires et multiples. « C’est aussi une façon d’habituer les gens à travailler différemme­nt dans une société en pleine évolution où le concept de l’emploi à plein temps et à vie tend à disparaîtr­e », tempère Miska Simanainen, avant d’avouer que le gouverneme­nt a un deuxième objectif : faire, à terme, des économies. En attendant, « l’expérience ne coûte pas si cher – environ sept millions d’euros –, précise Markus Kanerva, directeur général de Tänk, think tank finlandais chargé de superviser l’expérience, car l’argent est pris dans le budget des allocation­s de chômage ».

Mais que se passera-t-il ensuite, si le Perustulo est alloué à une population plus nombreuse ? Qui paiera ? Les Finlandais ont peur de voir leurs impôts augmenter, et même si les deux tiers de la population semblent favorables au revenu de base, l’autre tiers émet de sérieuses réserves non seulement d’ordre financier, mais aussi empreintes de xénophobie : Steffie a été victime d’insultes anonymes la sommant de « rentrer chez elle avec ses gamins ».

Il est bien entendu trop tôt pour tirer des conclusion­s, mais ces deux expérience­s ont le mérite d’exister, dans des conditions, des cultures et des systèmes politiques différents, avec des objectifs complément­aires, tout en partageant une ambition louable : l’améliorati­on du bien-être. À ce sujet, les deux promoteurs finlandais sont d’accord : ils sont impatients d’évaluer l’impact du Perustulo sur le bien-être des cobayes et sur le facteur stress.

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Juha Sipilä utilise la sécurité financière qu’assure le Perustulo pour développer son activité d’artiste, la création de tambours.
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Avec le revenu de base, Steffie Eronen, mère de famille allemande, a commencé à travailler à temps partiel, tout en continuant à étudier.

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