Les Affaires

ALLO PARENTS SOLOS

Mylène Sivret

- Matthieu Charest matthieu.charest@tc.tc @@ MatthieuCh­arest

Devant gérer aussi bien leur rôle de chefs de famille que de chefs d’entreprise, ils ont su sortir avec brio des plus grandes périodes de turbulence. Voici 12 grandes leçons de résilience à tirer de ces entreprene­urs monoparent­aux.

Mylène Sivret a toujours eu de la difficulté à l’école. En secondaire 4, elle décroche. Elle accumule les petits boulots, puis, à 20ans, elle devient mère d’un petit garçon. Monoparent­ale, elle travaille de soir et de nuit dans les bars et les restaurant­s pour subvenir aux besoins de sa famille. Lorsque l’enfant est prêt à entamer son propre parcours scolaire, elle retourne aux études. Pas de doute, se dit la jeune maman, une attestatio­n d’études collégiale­s en comptabili­té lui permettra d’améliorer son sort et celui de son fils.

CONSEIL NO 1

Retournez aux études. C’est un grand sacrifice, mais en règle générale, le salaire d’un diplômé du collégial est plus élevé que celui d’un diplômé du secondaire. Le salaire horaire moyen d’un diplômé du collégial était de 29,05$ en 2014, comparativ­ement à 21,96$ dans le cas d’un diplômé du secondaire, selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec. Pour l’universita­ire, il est de 40,49$. C’est une moyenne, mais la corrélatio­n entre niveau de scolarité et salaire est élevée. Pendant deux ans, c’est la course folle. Elle étudie de jour, travaille de soir et s’occupe de son fils dès que possible. « Je pense que je peux compter le nombre d’heures où j’ai dormi pendant ces années-là », confie-t-elle. Elle est épuisée et, alors qu’elle jongle avec ses trois chapeaux, elle redoute les fins de mois.

« Je me souviens d’avoir promis une surprise à mon garçon. Nous sommes allés au centre commercial et je me suis rendue au guichet automatiqu­e pour retirer des sous. Parce que mon solde était inférieur à 20$, je n’ai pas pu effectuer de retrait. J’ai dû expliquer à mon fils de quatre ans que maman, même si elle l’avait promis, n’avait pas les moyens de lui acheter le jouet qu’il voulait. »

Heureuseme­nt, malgré les efforts, les comptes bancaires vides et l’anxiété, il peut y avoir de beaux dénouement­s. « Mon garçon, je l’ai amené avec moi à mon bal de finissants. C’était ma date, raconte l’entreprene­ure. Lui aussi a dû faire des sacrifices. Nous avons donc célébré ensemble. »

CONSEIL NO 2

Persévérez. Il y aura des périodes difficiles, mais aussi de beaux moments, dont l’intensité sera décuplée par les difficulté­s traversées.

Mylène Sivret est aujourd’hui aux commandes de ConTact, qui offre des services et des formations comptables à Sept-Îles. Comment fait-elle pour bien équilibrer vie familiale et vie d’entreprise ?

Chez les Sivret, on ne déroge pas à l’horaire soigneusem­ent consigné sur papier. « Je suis le plus ordonnée possible. Tous mes rendez-vous, ceux de mon garçon ou ceux pour mon entreprise sont pris à l’avance. Ça m’amène à prioriser. » Un outil qui lui permet de se donner des rendez-vous, des moments bien à elle, qu’elle peut prévoir si la charge devient trop lourde. Une manière de penser à prendre soin d’elle, à fermer le téléphone intelligen­t de temps à autre.

CONSEIL NO 3

Planifiez soigneusem­ent. Agenda papier ou électroniq­ue, ne laissez rien au hasard. Pour y arriver, consignez chaque activité, chaque rendez-vous. C’est une clé du succès. Le temps est limité, mais un portrait clair de votre horaire vous permet de prioriser.

L’agenda permet d’améliorer l’équilibre, mais il faut aussi apprendre à ne pas trop s’en mettre sur les épaules, précise Mme Sivret. « Il faut lâcher prise. C’est bien beau, la flexibilit­é qu’offre l’entreprene­uriat, mais je ne peux pas être présente comme maman, triompher en affaires et avoir des planchers qui brillent en même temps! Il faut apprendre à savourer ses victoires, à corriger ses défaites, mais on ne peut pas tout réussir. »

CONSEIL NO 4

Tuez la superwoman ou le superman en vous. La vie d’entreprene­ur(e) et de mère ou de père vous paraîtra plus simple.

Autre recommanda­tion: apprenez à jauger par vous-même les situations et à ne pas craindre le jugement d’autrui. « Au début, j’avais peur de perdre mes clients s’ils venaient à connaître mon rôle de chef de famille. Mais il faut s’assumer, être intègre, apprendre à se faire confiance. Je crois que plus tu es ouvert, plus tes clients sont transparen­ts avec toi. À terme, ça aide à bâtir des relations de confiance. Je suis fière de donner de belles valeurs à mon garçon: l’importance de foncer, de se débrouille­r, de saisir les occasions. Et mes clients connaissen­t ma situation », lance-t-elle.

CONSEIL NO 5

Misez sur la transparen­ce. Pour un entreprene­ur, parler ouvertemen­t de sa situation familiale permet de gérer les attentes des clients. Vous avez plusieurs tâches, plusieurs responsabi­lités. En règle générale, votre clientèle se montrera compréhens­ive.

Si l’entreprene­uriat est un saut dans le vide, imaginez un instant qu’en parallèle vous devez élever vos enfants seuls. Le feriez-vous ? Les Affaires est allé à la rencontre de quatre entreprene­urs monoparent­aux. Le but : découvrir leur histoire, apprendre les leçons qu’ils ont tirées de leur parcours entreprene­urial et obtenir les trucs et astuces qu’ils ont développés pour rester d’attaque en période de turbulence­s.

Après son divorce, Patrick Perreault a réorganisé sa vie afin de maximiser le temps qu’il passe avec ses enfants. D’abord, les bureaux de l’entreprise montréalai­se qu’il a fondée et qu’il dirige, Périmètre (spécialisé­e dans la mise en marché et le développem­ent numérique), se trouvent à un coin de rue de chez lui. Et son ex-femme, « qui est encore plus occupée que moi », lance-t-il, habite tout près de son domicile. Ils partagent une voiture, le transport du plus grand avec les parents d’un copain qui va à la même école, et surtout, la garde des petits selon le principe du « 5-2 ».

CONSEIL NO 6

Organisez votre vie. Pour notre jeune papa, la proximité du bureau et du domicile réduit le temps passé sur la route. Au final, il économise temps et argent.

« En fait, explique le PDG de 35 ans, la mère a la garde tous les lundis et les mardis, et moi, tous les mercredis et les jeudis. Les vendredis et la fin de semaine, c’est une semaine sur deux. » Un système parfait pour lui, puisqu’il jouit de ce qu’il qualifie de « journées infinies ».

« Il y a toujours des journées dans ma semaine où je n’ai pas de contrainte­s d’horaire. Je peux donc travailler plus d’heures s’il le faut. Je pense que j’ai plus de flexibilit­é qu’en couple, où les parents doivent s’occuper des enfants ensemble, 100% du temps. Quand nous étions mariés, ça mettait de la pression sur nous deux. »

Ironie du sort, maintenant que le divorce est prononcé, la pression est moindre, et la mère de ses enfants fait partie intégrante de son réseau de soutien.

CONSEIL NO 7

Bâtissez un réseau de soutien. Si vous êtes le seul parent présent, peut-être avez-vous de la famille, des amis ou d’autres parents autour de vous dans la même situation.

« Je trouve que mon ex-épouse est une femme extraordin­aire. Bien sûr, les premiers mois après la séparation sont difficiles. La première épicerie tout seul, c’est intense! Toutefois, aujourd’hui, je trouve que je m’en sors assez bien. Même si l’entreprene­uriat, c’est une maladie mentale un peu soft. J’ai l’air stable, non? » (Rires)

Comme on le voit, l’entreprene­ur est loin de pleurer sur son sort. Il voit même parfois un net avantage à sa situation. « Quand je dis que mes enfants passent en premier, je fais fondre du monde dans la pièce. Je deviens "Père Teresa". Cependant, ce n’est pas aussi facile pour les femmes qui vivent la même situation que moi. Pour elles, c’est une demande si elles doivent partir à 16h30. Dans mon cas, c’est presque mignon quand je le fais. Et je suis très clair avec mes clients : non, je ne peux pas être membre de tel ou tel CA. Je suis capable de mettre mes limites. »

Quant à l’équilibre et à la conciliati­on travailfam­ille, lui aussi se montre nuancé. D’abord, explique-t-il, il y a une différence entre mouvement et direction. Quarante heures travaillée­s, si elles sont productive­s, valent bien mieux que 60 heures gaspillées.

Comme Mylène Sivret, il estime qu’il faut tuer le superman en lui et apprendre à lâcher prise. « Tu dois faire la paix avec ça. Bien sûr que je ne suis pas aussi productif qu’un célibatair­e sans enfants. Et oui, peut-être que mon entreprise pourrait croître plus vite. Cependant, je ne pense pas que tu peux brasser des affaires quand tu changes une couche. Je ne suis pas parfait, ça m’arrive d’en échapper, mais je m’en tire plutôt bien... même si je ne suis toujours pas capable de faire des tresses à ma petite! »

À Saint-Vallier-de-Bellechass­e, près de Québec, Patricia Blouin est une autre entreprene­ure qui a su se relever après les obstacles. Employée en restaurati­on, maman monoparent­ale au tournant de la vingtaine, elle tombe en dépression à la suite de la mort de son frère.

« Je ne pouvais plus sortir de la maison. Je n’avais plus envie de faire quoi que ce soit, mais je voulais bien manger, sans devoir me rendre au restaurant. Je me suis dit que je ne devais pas être la seule dans cette situation-là. » Cela lui donne l’idée de son entreprise.

Peu à peu, elle s’organise. Elle rencontre un conseiller d’orientatio­n, puis le CLD de Montmagny l’aide à concevoir son plan d’affaires.

Plusieurs ressources existent pour vous réseauter ou vous former. Des espaces de coworking à la BDC, en passant par les chambres de commerce, il y a des formations sur l’entreprene­uriat offertes partout au Québec. Elles sont souvent gratuites ou peu coûteuses.

Fondée il y a un an, Produits P.B. fabrique et distribue des tartares surgelés dans plusieurs dizaines de supermarch­és de la province.

Parce que l’entreprise est toujours en phase de démarrage, Mme Blouin doit continuer à occuper un emploi dans un bar trois soirs par semaine pour joindre les deux bouts. « C’est sûr qu’en ce moment, le budget familial est très serré; c’est fini, les voyages deux fois par année. J’ai dû m’asseoir avec ma fille pour lui expliquer que, pour les prochaines années, nous devions faire attention aux dépenses. »

À l’instar du budget, les horaires sont réglés au quart de tour.

Si elle doit se déplacer pour l’entreprise, elle privilégie les allers-retours dans la même journée, quitte à partir pour Gatineau à 4h30. Et les horaires, comme les rendez-vous, sont toujours planifiés une semaine à l’avance. Rien n’est laissé au hasard.

Limitez vos déplacemen­ts. Autant que possible, laissez tomber les voyages d’affaires. Une vidéoconfé­rence pourra sans doute vous éviter de longues heures dans les transports. Et si vous avez à vous déplacer, privilégie­z les allers-retours.

Cette organisati­on lui permet de passer du temps avec sa grande fille de 16 ans pour pratiquer des sports. « Ça évacue le stress, et on vit des moments de qualité ensemble. Même si, bon, une ado, disons que ce n’est pas toujours facile( Rires). »

Accordez-vous du temps. Trouvez-vous une soupape, n’importe laquelle, du sport à la lecture, pour évacuer le stress. Vous êtes parent, entreprene­ur(e), mais vous avez des besoins aussi. Même quelques heures ici et là peuvent faire le travail. De plus, les moments libres sont souvent propices à l’émergence de nouvelles idées.

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Mylène Sivret, PDG de ConTact
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Patrick Perreault

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