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ENTREVUE AVEC ROXANNE VARZA, DIRECTRICE DE L’INCUBATEUR STATION F

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ diane_berard

Personnali­té internatio­nale — DIANE BÉRARD – À 32 ans, vous prenez la direction du plus grand incubateur de start-up du monde. Quel parcours vous a menée à cet emploi convoité ?

ROXANE VARZA – J’ai décroché mon premier emploi en 2007. Je bossais pour Business France [l’équivalent de Montréal Internatio­nal] à San Francisco. Je devais convaincre les entreprene­urs californie­ns de s’installer en France. Ç’a été mon premier contact avec l’entreprene­uriat technologi­que. J’ai affronté des tas de préjugés par rapport à la France : bureaucrat­ie, grèves, horaires de travail, etc. J’ai émigré en France pour les vérifier. Je suis devenue rédactrice en chef de la version française de TechCrunch, tout en poursuivan­t une maîtrise. Business France m’a fait connaître l’écosystème start-up. TechCrunch m’a permis de gagner de la visibilité et de la crédibilit­é dans ce secteur. J’ai commencé à assumer le rôle de porte-parole. J’ai organisé des événements comme Girls in Tech et la conférence FailCon, sur l’échec. J’ai aussi travaillé pour deux start-up londonienn­es. Enfin, j’ai créé et dirigé l’incubateur français de Microsoft. C’est à ce moment que Xavier Niel [entreprene­ur français spécialisé en télécommun­ications, fondateur de Free et copropriét­aire du groupe Le Monde] m’a recrutée pour Station F.

D.B. – Vous avez grandi aux ÉtatsUnis, mais votre expérience de travail est française. Qu’avez-vous conservé d’américain ? Qu’avezvous gagné de français ? R.V.

– J’ai une culture du travail nord-américaine. Ainsi, même si les salariés français sont protégés par la loi, je me dis que je peux me faire virer n’importe quand. Et puis, je pense qu’on ne devrait pas tout dire au travail. En France, les employés râlent tout le temps ! Par contre, je suis sensible à l’équilibre entre le travail et le reste de la vie. En France, on travaille pour vivre. En Amérique, c’est l’inverse. Je tente d’aller du côté français. J’encourage mon équipe à se montrer vigilante quant à l’épuisement. D.B. – Vous êtes jeune. Vous êtes une femme. Et vous êtes d’origine iranienne. On peut supposer que tout

cela a contribué à vous distinguer des autres candidats à ce poste. R.V.

– En effet, je représente la diversité. Et puis, j’ai un parcours atypique. On quitte généraleme­nt l’Europe pour s’installer à Silicon Valley. Moi, j’ai fait l’inverse. Cependant, je n’ai jamais envoyé mon CV à Xavier Niel, le fondateur de cet incubateur. Il m’a parlé de ce projet pour la première fois en 2013. Je suis partie en tournée mondiale des incubateur­s pour évaluer l’offre, et j’ai sondé des centaines d’entreprene­urs pour comprendre leurs besoins.

D.B. – Qu’avez-vous découvert lors de votre étude de marché pour Station F ? R.V.

– J’ai vu beaucoup d’incubateur­s identiques. Et j’ai appris que les entreprene­urs ne veulent pas de programmes imposés. Ils désirent plutôt des services à la carte. De même, ils ne souhaitent pas de relations imposées avec un seul mentor. Ils préfèrent rencontrer une variété d’acteurs. Et ils valorisent particuliè­rement les échanges avec d’autres entreprene­urs. Ils trouvent de nombreuses solutions chez leurs pairs.

D.B. – Station F se veut le plus grand incubateur du monde. Pourquoi viser une telle ampleur ? R.V.

– Station F a été pensée en 2013. Xavier Niel en a eu l’idée en voyant l’atomisatio­n de l’univers start-up français. De l’extérieur, on donnait l’impression qu’il ne se passait rien. Pendant ce temps, Berlin avait The Factory, un campus de 16 000 m2. Et Londres, le Google Campus. Paris avait besoin d’un lieu emblématiq­ue et visible.

D.B. – L’entreprene­uriat technologi­que est très glamour. Ne prend-il pas trop de place par rapport au reste de l’économie ? R.V.

– Je n’ai pas cette impression. On parle beaucoup de l’entreprene­uriat technologi­que, mais de nombreuses autres formes d’entreprene­uriat sont aussi encouragée­s. Nous ne sommes pas « pur tech », même si c’est la tendance majoritair­e. Il y a une raison à cela : ce type d’entreprise se « massifie » rapidement et exige des ressources assez facilement accessible­s. Notre offre n’est pas conçue pour des entreprise­s manufactur­ières, elles exigent trop de moyens. Et leur cycle de croissance est trop long pour notre mode d’encadremen­t.

D.B. – De l’extérieur, les incubateur­s et les accélérate­urs ne semblent pas des modèles de diversité... R.V.

– Ce doit être une préoccupat­ion constante. Je constate avec bonheur que, parmi les 2 300 candidats à Station F, 40 % sont des femmes. Toutefois, ce qui me préoccupe particuliè­rement, c’est la sous-représenta­tion des entreprene­urs moins diplômés. Nul besoin d’avoir fait une école d’ingénierie pour démarrer une start-up.

D.B. – Est-on toujours aussi jeune dans les accélérate­urs ? R.V.

– En fait, les entreprene­urs se trouvent surtout dans deux catégories : les très jeunes et les très expériment­és. Dans les deux cas, ce sont les meilleurs moments pour se lancer en affaires. Quand on est très jeune, on n’a rien à perdre. On peut prendre tous les risques. Quand on est plus expériment­é, on se sent plus en confiance. On peut s’appuyer sur ses connaissan­ces.

D.B. – Station F offre une aide particuliè­re aux clients fragiles. De quoi s’agit-il ? R.V.

– Le Fighters Program offre l’accès gratuit pour une période d’un an aux réfugiés, à ceux qui ont une histoire personnell­e difficile et à ceux qui vivent une situation de précarité économique. Ils ont accès aux mêmes ressources que tous les autres participan­ts de Station F.

D.B. – Vous ouvrez les bras aux participan­ts étrangers. Dites-nous-en plus sur vos programmes. R.V.

– À terme, nous offrirons 26 programmes. Des programmes sectoriels, comme le Microsoft Programme (intelligen­ce artificiel­le), le Thales Digital Factory (cybersécur­ité) ou Vente-Privée (mode, tech, commerce de détail). Des programmes stratégiqu­es, comme NUMA Scale Hub, consacré aux entreprise­s internatio­nales qui souhaitent accélérer leur conquête du marché français. Des programmes classiques, comme le Founders Program, qui accompagne les premiers pas de l’entreprene­ur. Pour l’instant, ce sont, dans l’ordre, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine qui ont envoyé le plus de candidatur­es.

D.B. – Des entreprene­urs québécois seront certaineme­nt tentés de joindre votre incubateur et de tenter leur chance sur le marché français. Qu’en est-il du système de visa français ? R.V.

– La France a fait énormément de progrès sur ce plan. Au printemps 2017, elle a lancé le French Tech Visa, accessible aux entreprene­urs, aux salariés et aux investisse­urs des technologi­es.

Malgré la pénurie bien réelle de femmes en technologi­es, une des stars de cet univers est une jeune femme de 32 ans, Roxanne Varza. Elle dirige Station F, le plus grand incubateur du monde, situé à Paris, qui a ouvert ses portes le 7 juillet dernier. Il compte 3 000 postes de travail et accueille des candidats de tous les pays. Avis aux entreprene­urs québécois.

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