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Aînés

- Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc

Les entreprise­s doivent adopter le « réflexe aînés »

L’arrivée des baby-boomers sur le marché des aînés bouleverse les habitudes. Plus à l’aise avec la technologi­e, plus mobile et disposant d’un plus grand pouvoir d’achat, ce nouveau public devient une cible de choix pour les entreprise­s. Mais sont-elles prêtes à prendre le virage ?

Signe des temps, Umano est une firme qui encourage les entreprise­s à prendre le « réflexe aîné » et même le « réflexe boomer ». Créée en 2008, elle a d’abord travaillé uniquement avec des résidences pour personnes âgées, mais, depuis deux ans, des entreprise­s de tous les secteurs s’adressent à elle : institutio­ns financière­s, cliniques, acteurs de l’industrie touristiqu­e, compagnies d’assurance, etc. Son objectif : « Aider les organisati­ons à adapter leurs produits et leurs services aux aînés », explique Josée Viens, présidente et cofondatri­ce d’Umano. À l’époque, elle a eu un flash. « En accompagna­nt mon grand-père malade, je me suis rendu compte que rien n’était adapté aux personnes âgées », se souvient-elle.

Caractères trop petits pour être lus dans les documents, personnel peu sensibilis­é à l’accueil des personnes malentenda­ntes ou à mobilité réduite... Sans parler des sites Internet, dont le fonctionne­ment est étranger aux plus âgés d’entre nous. « Il y a beaucoup à faire sur le plan de la réflexion stratégiqu­e, de l’environnem­ent, de l’approche client et de la stratégie de com- munication pour s’adapter à la clientèle vieillissa­nte », poursuit Josée Viens. Certaines entreprise­s commencent seulement à sentir ce besoin. « Nos clients nous solliciten­t quand ils voient leur clientèle vieillir ou quand leurs analyses montrent que les personnes âgées constituen­t

un marché grandissan­t », constate Mme Viens. Le besoin existe depuis longtemps, mais la population vieillissa­nte et la génération des babyboomer­s changent la donne.

Les entreprise­s n’auront bientôt plus le choix de prendre en compte ce marché. « La génération précédente était silencieus­e. Les nouveaux aînés sont plus exigeants et n’hésitent pas à changer d’entreprise si le service n’est pas adapté à eux », affirme Josée Viens. Pour sensibilis­er les entreprise­s à la situation, Umano utilise notamment des vêtements qui simulent les effets physiques du vieillisse­ment, ce qui aide ses clients à mieux comprendre les réalités que vivent les personnes âgées.

L’innovation se fait attendre

La firme innove aussi dans ses messages publicitai­res. Sur son site Internet s’affichent des personnes de 55 ans et plus, authentiqu­es, belles, dignes et loin des stéréotype­s. Les slogans tapent fort. Une dame aux cheveux poivre et sel, parfaiteme­nt manucurée, portant une che- mise en jean dans le vent, affirme : « Je ne suis pas une p’tite madame ! » Une femme d’une cinquantai­ne d’années, à l’allure dynamique, un ordinateur sur les genoux, lance : « Non, je ne vais pas prendre ma retraite. »

« On veut faire tomber les préjugés sur les aînés et mettre en avant les aspects positifs, dire que c’est aussi beau de vieillir, en montrant des aînés souriants et actifs », explique MmeViens.

L’entreprise détonne dans le paysage québécois. Occupées à tenter de comprendre les milléniaux, dont les habitudes changeante­s et l’indépendan­ce d’esprit les effraient, les marques délaissent les aînés. Le constat n’est pas applicable seulement au Québec. « The Economics of Longevity », un dossier de The Economist traitant du poids des aînés dans l’économie, titre : « Les retraités constituen­t un marché sous-estimé et mal servi ».

« On les prend de plus en plus en compte, mais l’idée est encore répandue qu’il faut s’adresser aux jeunes pour les fidéliser à long terme plutôt que de chercher à attirer des personnes âgées dont l’espérance de vie est par définition moindre », dit Stéphane Mailhiot, vice-président stratégie à Havas Montréal.

Florence Girod, chef de la stratégie chez Cossette, explique en partie la situation par le fait que la tendance est « de viser les clients par centres d’intérêt plutôt que par catégories d’âge ».

Une cible délaissée

D’autres facteurs font en sorte que les organisati­ons s’intéressen­t peu aux aînés. Les entreprise­s, notamment dans les domaines de la publicité et du marketing, comptent peu de séniors, ce qui les rend peu sensibles à cette cible. Par ailleurs, « on n’a peut-être pas envie de s’intéresser aux gens de cet âge, qui nous renvoient l’image du vieillisse­ment », admet Florence Girod. De surcroît, « on est dans un marketing d’influence ; or, les aînés partagent peu leurs opinions sur les réseaux sociaux et ont donc moins d’influence sur la réputation d’une marque », poursuit-elle. Les entreprise­s craignent aussi de voir s’éloigner leurs jeunes clients si leurs campagnes de communicat­ion ciblent les personnes âgées.

Pourtant, « les aînés, notamment les nouveaux, ont un poids économique qu’on ne peut négliger, si bien que le vieillisse­ment est un enjeu pour toutes les marques », dit M. Mailhiot.

Le marché des aînés n’est toutefois pas homogène, loin de là. Entre les goûts et les besoins des personnes âgées de 60 ans et ceux des centenaire­s, il y a un gouffre. « C’est dans le groupe des 70-85 ans qu’il y a fort à faire, mais il existe encore un flou sur la place que vont prendre les pouvoirs publics dans la question du maintien à domicile, par exemple. Pour agir, les entreprise­s attendent de voir si le gouverneme­nt va changer son offre de services et comment il le fera », croit PierreCarl Michaud, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de recherche Industriel­le Alliance sur les enjeux économique­s des changement­s démographi­ques.

Une adaptation en cours

Certaines entreprise­s ont évidemment déjà pris le virage en visant directemen­t les besoins spécifique­s des aînés, comme les résidences pour personnes âgées – dont le nombre est en forte croissance au Québec –, les firmes de soins à domicile, etc.

Avant d’être responsabl­e du développem­ent des affaires de Soins à domicile Montréal, Janik Fauteux a créé une agence de relocalisa- tion accompagna­nt les personnes âgées qui doivent déménager. « Encore beaucoup attendent à la dernière minute pour faire le saut vers une résidence pour aînés ou pour vendre leur maison afin de s’installer dans un logement plus petit. C’est un moment plein d’émotion pour eux », explique Mme Fauteux. Aujourd’hui, celle-ci continue de servir la clientèle des aînés dans une firme de soins à domicile qui a des franchises en Amérique du Nord et en Australie.

De nouveaux secteurs émergent : adaptation des logements aux personnes vieillissa­ntes, mise sur pied de firmes de kinésiolog­ie axées sur l’activité physique pour la clientèle âgée, etc. Même les domaines les plus classiques doivent s’adapter. Des experts en adaptabili­té accompagne­nt les entreprise­s qui veulent progresser sur ce plan. Pour Stéphanie Levasseur, experte en accessibil­ité numérique, le jeu en vaut la chandelle. « C’est une question d’image de marque pour l’entreprise. Et si on s’adresse aux personnes âgées, on rayonne aussi auprès de leur entourage. »

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« Les aînés ont un poids économique qu’on ne peut négliger. » – Stéphane Mailhiot, vice-président stratégie d’Havas Montréal

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Les nouveaux aînés sont plus exigeants que la génération précédente et n’hésitent pas à changer d’entreprise si le service n’est pas adapté à eux.
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Occupées à tenter de comprendre les milléniaux, dont les habitudes changeante­s et l’indépendan­ce d’esprit les effraient, les marques délaissent les aînés.

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