LE MEILLEUR INVESTISSEMENT : VOUS-MÊME
Espressonomie
Avantageux, pour une entreprise, de mettre en commun ses données avec celles de compétiteurs potentiels? L’expérience montre qu’un tel plan n’est pas si fou et qu’il s’agit d’une excellente façon de mieux connaître son marché tout en favorisant des partenariats gagnants pour tous.
Après avoir passé quatre mois à mettre en commun leurs données transactionnelles (il y en avait huit millions), 21 organismes culturels de Montréal se sont réunis en mars dernier pour essayer de donner un sens à tous ces chiffres. Avec l’aide du Partenariat du Quartier des spectacles, d’Aimia et de l’Institut de valorisation des données, 120 analystes ont fouillé les chiffres pendant 48 heures pour finalement livrer leurs résultats.
Les constats? Les gens qui achètent des billets de concert le font plutôt le midi, alors que ceux qui achètent des billets d’opéra le font plutôt vers 18h. Les gens des banlieues qui ont une salle de spectacle de qualité, comme Longueuil avec son Théâtre de la Ville, ont moins tendance à participer à des activités culturelles au centre-ville de Montréal que les gens des banlieues moins gâtées, comme Vaudreuil. Et 30% de la clientèle représente 70% du chiffre d’affaires.
« Il faut prendre ces résultats avec une pincée de sel parce que ces analyses, c’est juste un début. Toutefois, ces données nous permettent déjà de mieux comprendre la clientèle et le marché », dit Éric Lefebvre, directeur du développement du Partenariat du Quartier des spectacles. Il sera conférencier le 3 octobre à l’événement Données et intelligence marketing, organisé par le Groupe Les Affaires.
Risqué ou pas?
Renaud Legoux, professeur spécialisé en marketing des arts et de la culture à HEC Montréal, estime lui aussi fort intéressantes les conclusions qui sont ressorties de cette journée d’analyse. Toutefois, ce qui l’enthousiasme encore davantage est de voir qu’il a été possible de convaincre ces 21 organismes, qui peuvent se percevoir comme des concurrents, de partager leurs données pour dégager une intelligence d’affaires.
Quels étaient ces organismes? La liste inclut notamment Les Grands Ballets, l’Orchestre Métropolitain, l’Orchestre Symphonique de Montréal, Le Club Soda, le TNM, la Place des Arts et La Maison Théâtre.
Renaud Legoux juge qu’il aurait été impossible, il y a deux ans, de convaincre ces organismes de mutualiser leurs données. Aujourd’hui, cependant, ils savent qu’ils doivent se battre contre les Netflix de ce monde pour attirer les gens vers les arts vivants.
« Le plus gros danger pour ces organismes, ce sont les gens qui ne consomment plus de culture ou qui en consomment sur d’autres canaux que les leurs, comme la télé ou le Web », dit M. Legoux.
Les organismes pourraient se servir des données pour lancer des outils de fidélisation plus adaptés aux habitudes des consommateurs, afin d’agrandir la part de tarte du marché des arts vivants. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un abonnement qui permettrait d’assister à cinq spectacles dans différents théâtres ou domaines artistiques.
Données anonymes
Une autre raison pour les organismes de ne pas se faire de souci lorsque leurs données sont mises en commun est que celles-ci sont anonymisées. Un théâtre n’a donc pas accès aux informations concurrentielles de son compétiteur, comme les courriels ou les noms de ses clients. Par contre, il peut utiliser ses propres données pour établir le profil de sa clientèle en matière d’âge et de revenu, par exemple, pour mieux comprendre dans quelle niche il se situe par rapport à l’ensemble du marché des théâtres et de la culture.
« Si les analyses montrent que la clientèle des opéras ressemble à celle des comédies musicales plutôt qu’à celle de la musique classique, les organismes auront une meilleure idée des acteurs avec lesquels ils devraient établir des partenariats », dit Éric Lefebvre.
Éventuellement, l’exercice pourrait être répété avec les restaurants et les hôteliers pour offrir des services plus pertinents. Les données pourraient même aider à gérer les transports. « Il serait possible de dire à la Ville qu’il y aura 12 spectacles en même temps le 11 octobre et que les organismes culturels attendent ensemble 50000personnes », déclare M. Lefebvre. La Ville pourrait alors adapter les cycles des feux routiers et demander au service de police de gérer la circulation. Le Réseau de transport métropolitain aurait l’occasion d’offrir un train de plus.
La plupart des sociétés sont toutefois encore loin de mettre en oeuvre un projet ambitieux comme celui réalisé par ces 21 organismes. Selon Placide Poba-Nzaou, professeur spécialisé en analytique et en données massives à l’ESG UQAM, seules 48% des entreprises ont à ce jour investi dans les mégadonnées. De ce nombre, seulement 15% des projets ont été mis en service.
« Il faut éviter de tourner en rond, dit M. Poba-Nzaou. La haute direction doit avoir une vision claire. »
la uand j’ai commencé à avoir du succès, au lieu de dépenser mon argent dans des produits de luxe qui, au fond, ont un impact relativement faible sur la qualité de vie, j’ai pris cet argent et j’ai investi en moi. » Qui parle ainsi? Georges St-Pierre (GSP), lors d’une entrevue accordée à l’animateur Justin Kingsley dans le cadre de l’événement C2Montréal qui s’est tenu en mai dernier à l’Arsenal. L’ex-champion du monde UFC d’arts martiaux mixtes (MMA), quatre années après avoir décroché alors qu’il était au sommet de la gloire, va revenir dans l’octogone le 4 novembre au Madison Square Garden de New York pour affronter Michael Bisping, le champion actuel des poids moyens.
Autrement dit, dès qu’il a commencé à gagner de l’argent, GSP ne l’a pas dilapidé, mais placé... dans lui! Il a estimé que l’investissement financier le plus payant pour lui était de miser sur sa propre personne (par exemple, en voyageant pour apprendre de maîtres à l’étranger). Un pari gagnant, puisqu’il est carrément devenu une légende vivante des MMA, mais un pari qui soulève l’interrogation suivante: ferions-nous bien, nous aussi, de miser à fond sur nous-mêmes?
Gary Becker, le prix Nobel d’économie de 1992, a concocté la théorie du capital humain en 1964. Il définit celui-ci comme « l’ensemble des capacités productives qu’un individu acquiert par accumulation de connaissances générales et spécifiques, de savoir-faire, etc. ». Ainsi, chacun de nous dispose d’un « capital » propre qu’il peut faire fructifier à condition d’investir régulièrement en lui, par exemple sous la forme d’un cours sur le branding ou d’un MBA en big data et intelligence d’affaires.
Une telle décision nécessite de faire un calcul économique par lequel nous évaluons le « rendement marginal » associé au programme de formation envisagé. Il s’agit de comparer le gain financier potentiel que peuvent procurer les nouvelles connaissances acquises aux coûts qui sont liés au programme directement (ex.: les frais d’inscription) et indirectement (ex.: le « coût d’opportunité », qui correspond ici aux longues heures passées à étudier sans être payé, souvent au détriment de la vie privée, comme peuvent en témoigner nombre de titulaires d’un MBA). Une fois toutes ces variables bien soupesées, il devient possible d’évaluer si le programme de formation considéré sera à même d’enrichir notre capital humain, ou au contraire, de lui nuire.
On le voit bien, ce calcul-là est loin d’être aisé. C’est qu’il repose sur deux postulats forts:
1. Rationalité. La personne concernée doit être capable d’effectuer un choix en s’appuyant sur une réflexion purement rationnelle. Ce qui, en vérité, n’est jamais évident, car il y a toujours une part d’irrationnalité dans nos décisions. Par exemple, l’individu qui rêve depuis des années de se lancer en quête d’un MBA aura tendance, le moment venu, à minimiser les répercussions immédiates sur sa vie privée, ce qui faussera son évaluation du coût d’opportunité.
La décision en question doit procurer un réel enrichissement du capital humain, en ce sens qu’elle doit permettre à l’individu de gagner en productivité et, par suite, en rentabilité. Ce qui, une fois de plus, n’est jamais évident, car toute nouvelle connaissance n’a pas nécessairement un tel impact direct. Par exemple, il peut arriver qu’un employé apprenne l’espagnol sans en tirer le moindre profit tangible pour l’évolution à court terme de sa carrière.
Rationalité et rentabilité, donc. Les deux piliers fondamentaux du capital humain. Le hic, c’est que la plupart des gens nous n’ont aucune conscience de leur existence, si bien qu’ils en viennent à faire des choix désastreux pour eux-mêmes, voire pour toute la société, à leur insu...
Au Québec, la moitié de la population a pour habitude de boire régulièrement des boissons gazeuses, et la proportion va en s’accroissant dans les nouvelles générations: 80% des 15-17 ans boivent régulièrement non seulement des boissons gazeuses, mais aussi d’autres boissons hyper sucrées, comme des boissons énergisantes, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Or, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise d’y mettre le holà puisque « leur consommation excessive est associée au diabète, aux maladies cardiovasculaires et à l’obésité ».
De la même manière, l’OMS considère la sédentarité comme le quatrième facteur de risque de mortalité. Pourtant, le tiers des Québécois ne s’adonne à aucune activité physique digne de ce nom. Quant aux 15-17 ans, ils sont aujourd’hui moins de trois sur cinq à pratiquer un sport, une habitude qui se perd à la vitesse grand V à mesure qu’on prend de l’âge, d’après une étude de l’ISQ.
Bref, les Québécois, et en particulier les jeunes, sont en train de griller leur capital humain en ruinant leur santé et leur avenir. Et ce, faute d’avoir saisi que leur être – individuel comme collectif – ne demande qu’à croître et à s’épanouir en déployant tout son potentiel. Ce que GSP a compris très tôt, sans même connaître la pensée de l’économiste américain.
Le meilleur investissement qui soit n’est par conséquent nullement l’achat d’une copropriété neuve ou d’un fonds prometteur, mais bel et bien le développement de votre corps et de votre esprit. « Investir en soi tout au long de sa vie, tel est le secret de la véritable richesse », disait d’ailleurs Gary Becker.
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