Transat : de voyagiste à hôtelier
Le voyagiste Transat A.T. (Tor., TRZ, 9,33 $) offre toujours autant de turbulences aux investisseurs, mais son expansion hôtelière intrigue.
La société de Montréal n’a jamais été de tout repos en Bourse parce qu’elle maîtrise bien peu son environnement d’affaires.
Les fluctuations du huard par rapport au dollar américain et du prix du carburant, l’humeur dépensière des consommateurs, les ouragans et l’ajout de vols par ses rivales sont autant d’éléments sur lesquels la société n’a aucune emprise.
Après un troisième trimestre record, les orientations fournies pour le quatrième trimestre reflètent cette dynamique encore une fois.
Transat devrait dégager un bénéfice d’exploitation à l’équilibre cet hiver si le dollar canadien est fort, si le pétrole reste à 49 $ US le baril et si les prix des sièges se maintiennent, a indiqué le chef des finances, Denis Pétrin, lors de l’appel-conférence trimestriel.
L’appréciation du huard est devenue un avantage pour la première fois en quatre ans.
En hiver, la réservation de chambres d’hôtel dans les forfaits vers le Sud s’effectue en dollars américains, a rappelé M. Pétrin.
Lorsqu’un analyste a posé la question, Transat ne s’est pas engagée à redevenir rentable à son premier semestre (elle ne l’a pas été au cours de ce semestre depuis 2009) malgré de multiples rationalisations et l’instauration de nouveaux processus internes ces dernières années.
« Vous savez, dans notre domaine, le rendement sur les derniers sièges vendus peut faire toute la différence », a glissé M. Pétrin, en prédisant un bénéfice d’exploitation similaire à celui de 70,8 millions de dollars (M$) de 2015, au quatrième trimestre.
Il faudra surveiller les prochains trimestres puisque l’embauche d’une ex-cadre d’Air France-KLM, experte dans la gestion des revenus, pourrait donner un sérieux coup de barre à cette fonction si critique du transporteur aérien. Michèle Barre, vice-présidente, gestion du revenu, tarification et programmation aérienne, est entrée en poste le 11 septembre. Hôtellerie : un potentiel à démontrer Ce qui retient le plus l’attention est la volonté de Transat de devenir propriétaire de 5 000 chambres d’hôtel d’ici 2024 dans ses destinations soleil les plus courues : Mexique, République dominicaine, Cuba, Jamaïque, etc.
La société caresse ce projet depuis la fin des années 1980, lorsque François Legault, le chef actuel de la Coalition avenir Québec, était encore aux commandes des finances de Transat.
Transat s’est familiarisée depuis 10 ans avec l’industrie hôtelière grâce au partenaire espagnol H10 Hotels, dans la coentreprise Ocean Hotels. Le voyagiste aurait aimé racheter le tout, mais l’envergure de la transaction (540 M$ si l’on se fie au prix payé par H10 pour le rachat) aurait déséquilibré son bilan, au moment où elle loue 10 nouveaux Airbus321neo, explique Neil Forster, analyste chez Franklin Bissett Investment Management. Transat vend sa participation de 35 % à H10 pour 190 M$ Le plan B consiste donc à bâtir son propre réseau de chaînes ou d’hôtels indépendants en acquérant des hôtels et en bâtissant ses propres établissements, au coût de 500 à 600 M$ US.
Les récents ouragans dévastateurs ne refroidissent pas pour l’instant la stratégie d’intégration verticale de l’entreprise.
« C’est comme à l’occasion des attentats terroristes. Ça paralyse les voyageurs pendant quelques jours puis, rapidement, la vie reprend son cours », a évoqué le grand patron de Transat, Jean-Marc Eustache, lors de la conférence du troisième trimestre.
Il faudra attendre le dévoilement du plan stratégique de 2018-2020 à l’assemblée annuelle de mars prochain pour en savoir plus, mais la société a déjà indiqué qu’elle empruntera localement, sous forme d’hypothèques, à chaque transaction pour combler l’autre moitié des investissements totaux estimés à 1,2 milliard de dollars américains.
Étalés sur sept ans, des déboursés annuels de 170 M$ US sont tout à fait réalisables, croit David Ocampo, de Valeurs mobilières Cormark.
« Quand nous avons envisagé la possibilité de racheter la part majoritaire de notre partenaire espagnol, nous avons parlé à des banquiers locaux. L’argent est donc là », a dit M. Eustache.
La nouvelle division hôtelière, qui n’a pas encore recruté son président, vise des hôtels tout inclus modernes, de catégories 4,5 à 5 étoiles. « Les hôtels dégagent des marges supérieures à celles de la vente de forfaits voyages. Cette division pourrait donc graduellement donner de la valeur à Transat », a indiqué M. Forster.
La vente d’Ocean Hotels, prévue le 2 novembre, se réalise à un multiple de 11 fois son bénéfice d’exploitation, alors que l’action de Transat se négocie à un multiple de 4 fois le sien, a-t-il renchéri. Le prix obtenu est de 50 % plus élevé que la valeur comptable de ce placement il y a 10 ans.
Après un rebond de 68 % de l’action depuis le début de l’année, en partie parce que des analystes alimentaient la spéculation d’une vente éventuelle de Transat, le voyagiste a fort à faire pour rester en altitude.
« L’investissement dans les hôtels réduira le capital accessible pour les rachats d’actions. Transat perdra aussi la contribution d’Ocean Hotels, et sa rentabilité reposera entièrement sur la vente de forfaits et de vols au cours des 12 à 24 prochains mois », prévient Turan Quettawala, de Banque Scotia.
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Votre véhicule automobile, qui commence à prendre de l’âge, vient (encore) de vous lâcher. Durant un détour chez le garagiste, on vous explique que vous devez remplacer une pièce dont vous ignoriez l’existence il y a quelques minutes encore. Ce que vous savez fort bien, cependant, c’est que changer cette pièce vous coûtera cher. La facture monte à 950 $ parce que, dit-on, il s’agit d’une composante que seul le fabricant de votre véhicule distribue et que les stocks se font rares.
Cette situation vous est familière ? Elle l’est aussi aux dirigeants de l’entreprise Dorman Products (DORM, 67,82 $ US), une société que nous avons récemment évaluée. Dorman, dont le siège social est situé en Pennsylvanie, se spécialise dans la conception et la distribution de pièces d’auto pour le marché de la réparation. Grâce à des relations serrées avec les garagistes et les détaillants, elle arrive à déterminer les pièces qui se brisent le plus fréquemment et qui ne sont offertes qu’à fort prix par les fabricants de voitures neuves.
En plus d’offrir des économies à ses clients, l’entreprise fabrique des pièces qui sont souvent reconnues comme plus fiables que celles conçues initialement par les constructeurs automobiles. Par exemple, si un mécanisme vient à s’user trop rapidement, les ingénieurs de Dorman Products referont la pièce avec des matériaux plus solides, ce qui en allongera la durée de vie. En d’autres occasions, la société offrira la composante avec un kit d’installation spécialisé, ce qui facilitera la vie au garagiste. Dans tous les cas, Dorman ne s’intéresse qu’à certaines pièces moins bien conçues, pour lesquelles elle arrive à offrir une valeur ajoutée à ses clients.
Un coup d’oeil rapide aux états financiers de l’entreprise montre qu’elle est très profitable. Son rendement sur l’avoir des actionnaires est d’environ 20 % année après année. Et ce qui est encore plus surprenant, c’est que cette rentabilité soutenue dans le temps a été atteinte sans la moindre dette au bilan. Impressionnant, n’est-ce pas ? Trop…
En épluchant les états financiers, on se rend compte que les dirigeants de Dorman ont pour pratique de faire financer leurs comptes clients par un tiers parti, en échange de liquidités immédiates. Les entreprises qui adoptent une telle pratique doivent payer non seulement des intérêts, mais également certains frais, dont parfois une prime d’assurance au bénéfice de l’institution financière qui leur offre le financement. Le bilan financier n’affiche aucune dette, et les normes comptables n’exigent pas que Dorman inscrive cette forme d’endettement à son passif.
Si Dorman doit faire financer près de 60 % de ses comptes clients, c’est que ses clients lui imposent des délais de paiement de plus en plus courts. En 2016, 60 % de ses revenus provenaient de quatre clients : Advance Auto Parts, AutoZone, NAPA et O’Reilly Automotive. Ces distributeurs de pièces d’auto doivent à leur tour fournir aux garagistes des pièces dans un délai de quelques dizaines de minutes. D’où la nécessité de conserver des stocks importants et de mettre sous pression un fournisseur comme Dorman pour assurer un service décent à bon coût.
Pour la même raison, chaque fois que Dorman ajoute de nouvelles pièces à son catalogue, elle doit immobiliser de plus en plus de capitaux dans son inventaire. Autrement dit, malgré des bénéfices comptables élevés, les liquidités que l’entreprise génère ne sont pas si impressionnantes. En effectuant les ajustements comptables requis, on remarque que le rendement sur le capital et le rendement sur l’avoir des actionnaires sont respectivement inférieurs à 10 % et à 15 % sur le long terme. Si ces taux sont acceptables, ils ne dressent certainement pas le même tableau que celui que nous avions remarqué au départ.
Charlie Munger, l’illustre partenaire de Warren Buffett, disait : « Il y a deux types d’entreprises. Le premier génère 12 %, et vous pouvez retirer ce capital à la fin de l’année. Le deuxième génère aussi 12 %, mais toutes les liquidités excédentaires doivent être réinvesties et, au final, il n’y a jamais de liquidités disponibles. Ça me rappelle le propriétaire d’entreprise qui regarde tous ses équipements et dit : “Il est là, mon profit !” Nous détestons ce genre d’entreprise. »
La situation de Dorman Products n’est pas mauvaise à ce point. L’entreprise arrive à générer des liquidités excédentaires, mais nous estimons qu’elles sont considérablement moins élevées que le profit qu’elle présente dans ses états financiers. Pour cette raison, nous croyons que les investisseurs surestiment de façon importante la valeur intrinsèque de la société. Pour le savoir, il faut cependant lire minutieusement les notes afférentes aux états financiers et bien comprendre l’impact du modèle d’entreprise sur le fonds de roulement.
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