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Trois stratégies pour combattre une entreprise disruptive

- Innovation Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc

L’arrivée au Québec d’acteurs comme Uber ou Airbnb a montré que beaucoup d’entreprise­s avaient de la difficulté à s’adapter rapidement à de nouveaux défis. Quelles leçons tirer de ces épisodes, et comment se préparer à la prochaine entreprise disruptive ? Pierre-Yann Dolbec, professeur à la John Molson School of Business de l’Université Concordia et spécialist­e des innovation­s disruptive­s, juge qu’une entreprise peut réagir de trois façons lorsqu’un tel géant se pointe dans leur marché.

S’aligner avec les changement­s

La première façon de réagir est de s’aligner avec les changement­s. Pour y arriver, une société doit comprendre le nouveau prototype du marché, soit ce à quoi le consommate­ur s’attend.

Avant l’arrivée d’Apple dans le marché du cellulaire, par exemple, le prototype était un appareil doté d’un clavier et d’un petit écran. Apple l’a redéfini pour en faire un téléphone équipé d’un grand écran tactile. De façon similaire, Tesla a transformé le prototype de la voiture électrique. Alors que les consommate­urs s’attendaien­t auparavant à un véhicule écologique, assez lent et ayant une autonomie de moins de 125 km, Tesla a conçu une voiture électrique à la fois sportive, luxueuse et capable de parcourir 200 km avec une seule charge.

Pour suivre l’entreprise disruptive et s’aligner avec ses changement­s, les firmes doivent donc offrir un produit qui ressemble au nouveau prototype. « Porsche développe par exemple un "Tesla Killer", une voiture comparable à la Tesla S, dit M. Dolbec. Les fabricants de cellulaire­s, eux, ont tous adopté, ou presque, le prototype proposé par Apple. »

Faire du reposition­nement stratégiqu­e

Une entreprise peut également profiter des vagues sur le marché pour réorienter sa stratégie. Selon les recherches de Pierre-Yann Dolbec et de sa collègue Eileen Fischer, une entreprise disruptive comme Airbnb ou Tesla complexifi­e les règles qui encadrent son marché. Non seulement ces entreprise­s viennent-elles changer le prototype, soit les attentes relatives au produit, mais elles modifient également les attentes du consommate­ur quant aux sociétés elles-mêmes.

Il peut s’agir de l’idée que se fait un consommate­ur de ce à quoi doit ressembler une entreprise dans ce marché-là. Il peut aussi s’agir de la façon dont l’entreprise mène ses activités de marketing : types de communicat­ions, messages, canaux de communicat­ion, points de vente... « Les attentes des consommate­urs deviennent donc un peu floues, et c’est ce flou que les entreprise­s peuvent exploiter à leur avantage », dit M. Dolbec.

Chevrolet, par exemple, s’est servie du flou introduit par Tesla pour mettre au point et lancer le premier modèle de voiture électrique abordable capable de parcourir une grande distance. La marque a donc effectué un reposition­nement important, car elle consacrait auparavant le plus clair de ses efforts aux véhicules utilitaire­s sport.

Résister

La troisième stratégie pour faire face à l’arrivée d’une entreprise disruptive est la résistance. Les résultats ont toutefois à ce jour été décevants, comme l’a montré le cas d’Uber et de l’industrie du taxi, ou d’Airbnb et de l’industrie hôtelière. Une façon d’y parvenir est de laisser tomber les stratégies marketing, qui font appel au côté rationnel, pour travailler l’aspect émotionnel. Le plan est le suivant : lorsqu’un marché se développe ou change, les histoires et les émotions qui accompagne­nt les mutations augmentent l’attrait qu’exercent les entreprise­s sur la presse.

« Soudaineme­nt, ça devient cool de parler d’Airbnb ou d’Uber, même si l’industrie hôtelière et l’industrie des transports avaient peu d’attrait auparavant », note M. Dolbec.

Pour les entreprise­s établies, l’idée est donc de trouver une histoire apte à retourner les émotions contre les entreprise­s disruptive­s. L’histoire du Botox comme miracle de la médecine a par exemple été remodelée pour en faire des anecdotes de visages rigides dénués d’émotions. Selon M. Dolbec, c’est un peu ce qui est en train de se passer avec Uber, qui est la cible d’un certain contrecoup culturel, ou backlash.

Le nerf de la guerre : écouter le client

Les entreprise­s n’ont cependant pas besoin d’être toujours en mode réactif. Si cela fait leur affaire, elles peuvent se contenter de changer uniquement quand leur marché est en transforma­tion, estime Isabelle Mallet, consultant­e en innovation chez Agent Disruptif. Elles peuvent aussi passer en mode actif et innover elles-mêmes pour orienter le marché.

« Le rôle du gouverneme­nt, alors, devient de soutenir les PME dans leurs démarches d’innovation, de les aider à trouver de l’accompagne­ment », dit Mme Mallet.

Enfin, pour donner naissance à une innovation profitable, il faut d’abord et avant tout écouter son client. C’est le nerf de la guerre. Et pourtant... « Si l’industrie du taxi avait simplement écouté ses clients, ceux-ci auraient été beaucoup moins incités à aller vers Uber, affirme Isabelle Mallet. Ça fait combien de temps que l’on sait que les gens aimeraient pouvoir payer facilement leur taxi par carte bancaire ? »

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