Les Affaires

« C’est-tu rentable d’être responsabl­e ? »

- Matthieu Charest matthieu.charest@tc.tc @MatthieuCh­arest – Avec la collaborat­ion de Benoîte Labrosse

Malgré leur mauvaise réputation, les cigarettie­rs ou les pétrolière­s engrangent toujours des profits importants. Cependant, les entreprise­s qui accordent de l’importance à leur responsabi­lité sociale comme Patagonia ou Starbucks, ne sont pas en reste. Elles font de gros sous, elles aussi. Peut-on dès lors en conclure que d’être socialemen­t responsabl­e n’aurait aucun effet, positif ou négatif, sur une entreprise?

La réponse est simple: non. La responsabi­lité sociale et environnem­entale des entreprise­s a bel et bien des effets positifs. Pas uniquement sur la société ou l’écologie, mais aussi sur les finances des firmes elles-mêmes. Seulement, ce n’est peut-être pas dans le sens où on l’entend habituelle­ment.

« C’est-tu rentable d’être responsabl­e? » était le thème de la dernière discussion de l’émission de radio numérique Les Dérangeant­s, enregistré­e devant public au Desjardins Lab. D’abord, les faits. La littératur­e est partagée sur les effets de la RSE. Selon une étude de Marc Orlitzky publiée dans Business Ethics Quarterly et reprise par Le Monde, « les résultats d’une méta-analyse indiquent que la relation entre la RSE et la performanc­e financière est légèrement positive, mais surtout que son intensité dépend des revues dans lesquelles les études ont été publiées. Il faut se méfier des études qui portent sur des sujets connotés idéologiqu­ement, et la RSE en fait partie ».

Par exemple, un sondage Nielsen datant de 2015 avait rapporté que 66% des consommate­urs de partout dans le monde accepterai­ent de payer plus cher pour un produit ou un service qui émane d’une entreprise responsabl­e.

Toutefois, selon Jordan LeBel, professeur de marketing à l’Université Concordia qui participai­t au débat, « il faut se méfier de ces sondages. Tout le monde veut sauver la planète, mais personne ne veut payer pour ça. C’est facile de faire mentir les données. »

Bref, une entreprise responsabl­e n’engrangera­it pas nécessaire­ment plus de profits ou de clients qu’une société polluante qui, au passage, maltraite ses employés. Cependant, selon un article paru dans le quotidien suisse Le Temps, « les mesures [de responsabi­lité] mises en place aident à pérenniser l’entreprise, à fidéliser la clientèle, à motiver et à engager les collaborat­eurs. On note aussi une pression des investisse­urs, qui portent une attention croissante aux questions de responsabi­lité sociale. Le mouvement prend de l’ampleur ».

Par-dessus tout, le net avantage d’une entreprise socialemen­t responsabl­e, c’est qu’elle devient beaucoup, beaucoup plus attirante pour des employés potentiels. C’est là qu’être responsabl­e, ça devient payant.

Une nouvelle génération d’entreprene­urs

Une étude de l’Université Stanford avait démontré en 2003 que « les détenteurs d’un MBA sacrifiera­ient en moyenne 13700$ US de salaire annuel afin de travailler pour une entreprise socialemen­t responsabl­e ».

Une autre étude, intitulée « 2016 Cone Communicat­ions Millenial Employee Engagement Study », rapportait que « 76% des milléniaux prenaient en considérat­ion les politiques sociales et environnem­entales d’une entreprise avant de soumettre leur candidatur­e. Et 64 % de ces membres de la génération­Yn’accepterai­ent pas un emploi si une entreprise n’avait pas de très fortes pratiques responsabl­es ».

Certes, il faut se méfier des sondages, comme le mentionnai­t le professeur LeBel. Cependant, l’expérience d’Étienne Crevier, membre des Dérangeant­s, tend à confirmer ces données. « Des entreprise­s comme GSOFT et Zappos promettent et livrent du bonheur. C’est comme ça qu’elles attirent des employés et des clients. Chez nous, ce sont les meilleurs candidats qui postulent. Auparavant, ils allaient dans les grandes pharmaceut­iques. Nos employés veulent changer la société en travaillan­t pour une start-up. »

« Les nouveaux entreprene­urs sont plus engagés socialemen­t qu’auparavant, confirme Jordan LeBel, ils veulent vraiment changer les choses. » Même son de cloche chez le dérangeant Carlo Coccaro, de Math et Mots Monde: « C’est bien, la réussite financière, mais pour être épanoui, tu veux avoir un impact sur la vie des autres. De nos jours, je crois que les entreprene­urs ont le pouvoir et la responsabi­lité de changer le monde dans lequel nous vivons. »

Cela posé, a fait remarquer sagement un troisième dérangeant Jean-Daniel Petit, de Beside et d’Abitibi & Co, « il faut être réaliste. Il faut faire des petits pas vers une plus grande responsabi­lité, car si tu es trop idéaliste, tu risques de frapper un mur et de devenir cynique. Et ça ne sert à rien d’être un PDG convaincu de l’importance de la responsabi­lité sociale si ton équipe n’embarque pas ».

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