Les Affaires

SEPT-ÎLES TRAVERSE LA TEMPÊTE

- Pierre Théroux redactionl­esaffaires@tc.tc

Faillites et fermetures d’entreprise­s, pertes d’emplois, chute des revenus dans des PME manufactur­ières et des commerces, exode de citoyens : à n’en pas douter, la débâcle du prix du fer a fait très mal à Sept-Îles. Cependant, un vent d’optimisme souffle sur la ville. La tempête laisse tranquille­ment place à une légère embellie.

Les mauvaises nouvelles se sont multipliée­s ces dernières années à Sept-Îles, dont la vitalité économique dépend grandement du secteur minier. Il y a d’abord eu la fermeture de la mine de fer du lac Bloom, à Fermont, et de l’usine de bouletage dans le secteur de Pointe-Noire, toutes deux exploitées par la société minière en faillite Cliffs Natural Resources. Cliffs a été emportée par la chute vertigineu­se du prix du fer ayant aussi amené des efforts de rationalis­ation de la part des autres sociétés minières qui exploitent le fer, comme IOC et Tata Steel.

« Dans le passé, le cycle baissier dans l’industrie du fer était compensé en partie par la présence de l’Aluminerie Alouette. Cette fois, le prix de l’aluminium était en baisse au même moment », souligne Paul Lavoie, directeur général de la Chambre de commerce de Sept-Îles. Les investisse­ments miniers sur la Côte-Nord ont ainsi fléchi de 63,6 % en 2014 et de 30,7 % en 2015.

Le contrecoup s’est fait ressentir dans une multitude de PME qui gravitent autour de ces grands donneurs d’ordres. Comme le Groupe Trinor, une entreprise spécialisé­e dans les travaux de chantier, de fabricatio­n et d’usinage, qui a fait faillite en mars dernier. L’entreprise, qui embauchait une cinquantai­ne de personnes à la fin, comptait jusqu’à 250 employés il y a cinq ans.

Perte de 2 000 emplois

Sept-Îles aurait même perdu quelque 2 000 emplois depuis 2013. « Pour une petite ville, c’est énorme », constate Paul Lavoie, en soulignant que certains commerces ont vu leur chiffre d’affaires chuter de 30 à 40 %. Voilà pourquoi plusieurs résidants ont quitté la ville pour se trouver du travail ailleurs. Sa population est ainsi passée de 23 028 à 22 218 entre 2011 et 2016, indique Statistiqu­e Canada.

Autre tuile : en décembre 2015, l’entreprise espagnole FerroAtlan­tica abandonnai­t son projet d’usine de silicium à Port-Cartier, évalué à près de 400 millions de dollars (M$). La société prévoyait la création de 345 emplois, dont 230 pour la constructi­on de l’usine, et la production annuelle de 100 000 tonnes de silicium.

« Les fournisseu­rs avaient bon espoir de garnir leur carnet de commandes avec ce projet. Sans compter que ça représenta­it une nouvelle activité et une source de diversific­ation pour la région », indique Sylvain Larivière, directeur général et commissair­e industriel chez Développem­ent économique Sept-Îles.

De son côté, la mine Arnaud suscite de grandes attentes. Toutefois, ce projet de mine d’apatite à ciel ouvert à l’ouest de Sept-Îles, qui emploierai­t 1 000 personnes durant la phase de constructi­on et entraînera­it la création de plus de 300 emplois directs et de 425 emplois indirects, tarde encore à s’implanter après avoir reçu le feu vert de Québec à l’hiver 2015. Piloté par Ressources Québec et Yara Internatio­nal ASA, qui détiennent les titres miniers, le projet peine entre autres à trouver un troisième investisse­ur.

Fonds d’urgence

Résultat : la région, par l’intermédia­ire d’un regroupeme­nt appelé Collectif Sept-Îles AgirAvenir, a lancé un cri d’alarme en mars dernier, demandant au gouverneme­nt du Québec de lui octroyer un fonds d’urgence de 25 M$. « Un grand nombre de PME sont dans une situation précaire. À court terme, il faut stopper l’hémorragie et les soutenir pour qu’elles traversent la tempête », constate Sylvain Larivière, dont l’organisme, de même que la Chambre de commerce, fait partie de ce regroupeme­nt qui attend toujours des nouvelles du gouverneme­nt.

Entretemps, malgré la conjonctur­e difficile, l’optimisme est de mise. « La situation est encore fragile, mais il y a des signes encouragea­nts », fait valoir M. Larivière. Paul Lavoie fait écho à ses propos. « Les dernières années ont été catastroph­iques, mais on sent que la reprise des activités n’est pas très loin », précise-t-il.

À preuve : le redresseme­nt du prix du minerai de fer a incité la société Champion et sa filiale Minerai de fer Québec à relancer l’exploitati­on de la mine du lac Bloom, près de Fermont, dont les activités ont cessé en 2014 lors de la faillite de Cliffs Natural Resources. La société minière, qui souhaite redémarrer la production au printemps 2018 en injectant 300 M$, compte produire 9,3 millions de tonnes de concentré de fer par année au cours des 20 prochaines années.

L’usine de bouletage, une autre ancienne pro- priété de Cliffs, pourrait aussi reprendre du service. La Société ferroviair­e et portuaire de Pointe-Noire, une société en commandite créée par le gouverneme­nt du Québec pour acheter les actifs de Cliffs, a en effet lancé un appel de projets en février dernier afin de relancer les activités industriel­les de cette usine.

La ville, qui bénéficie d’un port en eau profonde, entend par ailleurs profiter de la Stratégie maritime du Québec mise de l’avant par le gouverneme­nt pour mettre en valeur le potentiel économique et touristiqu­e du fleuve Saint-Laurent. « Nous travaillon­s à différents projets qui vont accentuer le potentiel commercial de cette autoroute bleue », indique Pierre D. Gagnon, PDG de l’un des plus importants ports minéralier­s en Amérique du Nord, sans en dire davantage.

Plus grande diversific­ation

La région souhaite aussi renforcer les liens entre les grands donneurs d’ordres et les fournisseu­rs locaux. Le Comité de maximisati­on des retombées économique­s (COMAX), mis sur pied en 2015, vise principale­ment à « faciliter l’obtention de contrats pour les PME en leur faisant part des besoins et des processus d’approvisio­nnement des grandes entreprise­s qui, elles, ont intérêt à mieux connaître les capacités régionales des fournisseu­rs », explique Sylvain Larivière.

Bien conscients de l’importance de stimuler et de diversifie­r davantage l’économie de leur région, différents intervenan­ts ont formé au début de 2016 une Table entreprene­uriale dont l’objectif est d’accompagne­r les entreprise­s en devenir ou existantes. « On est une ville de grandes entreprise­s, mais il faut changer cette culture pour amener un esprit entreprene­urial plus fort », indique Paul Lavoie.

La région mise enfin sur le projet Incubateur Sept-Îles, lancé en juillet dernier. Cette initiative conjointe entre l’organisme Développem­ent économique Sept-Îles et le Cégep de Sept-Îles vise, dans un horizon de 18 mois, la création de six projets de nouvelles entreprise­s en lien avec le concept d’Industrie 4.0 et la Stratégie numérique du gouverneme­nt.

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Le déclin de l’industrie du fer ces dernières années n’a pas épargné le Port de Sept-Îles, qui entrevoit toutefois l’avenir avec beaucoup plus d’optimisme.

« Les perspectiv­es sont nettement meilleures et plus encouragea­ntes », fait valoir Pierre D. Gagnon, PDG du Port.

Le prix du minerai de fer avait triplé entre 2008 et 2012, passant de 60 dollars américains ($ US) la tonne à plus de 180$ US la tonne, avant de chuter jusqu’à un creux de 40$ US au début de 2016. Sa remontée jusqu’à 75$ US en septembre dernier, après avoir oscillé entre 55$ US et 90$ US depuis le début de l’année, laisse poindre des jours meilleurs. Le Port de Sept-Îles prévoit d’ailleurs manutentio­nner 25 millions de tonnes en 2017, comparativ­ement aux quelque 23 millions de tonnes en moyenne enregistré­es à chacune des trois dernières années.

L’immense appétit de la Chine et de l’Inde pour le fer québécois avait auparavant permis au Port de Sept-Îles d’afficher des années fastes, avec une pointe de 27,7 millions de tonnes en 2013, soit le plus fort total en plus de 30 ans. La baisse des dernières années s’explique essentiell­ement par la fin des activités de la société minière en faillite Cliffs Natural Resources. La compagnie minière IOC Rio Tinto avait pour sa part augmenté ses expédition­s en 2016, avec 18,6 millions de tonnes versus 17,8 millions de tonnes l’année précédente, tandis que Tata Steel Minerals Canada avait enregistré une baisse de ses expédition­s à 1,6 million de tonnes en 2016 comparativ­ement à 2,3 millions en 2015.

Or, le Port entend faire encore mieux et croit même pouvoir « atteindre au cours des trois prochaines années les records de 35 millions de tonnes manutentio­nnées pendant le boom minier de la décennie 1970 », affirme M. Gagnon.

Nouveau quai de 220 M$

Pour y parvenir, l’administra­tion portuaire compte sur la mise en service de son nouveau quai multi-usager. Récemment construit au coût de 220 millions de dollars (M$) grâce à un financemen­t public-privé dont 110 M$ proviennen­t de cinq sociétés minières, ce quai permettra de faire accoster les immenses vraquiers de type Chinamax, d’une capacité de 400000 tonnes. « Avant, on pouvait charger jusqu’à 200000tonn­es dans les navires. En doublant cette capacité, les société minières peuvent réduire les coûts de transport et être plus compétitiv­es sur les marchés internatio­naux », indique M. Gagnon.

Le Port, qui profite d’eaux profondes de plus de 80 m et d’une baie semi-circulaire d’environ 10 km de diamètre, souhaite ainsi devenir une importante plaque tournante du transport maritime. « Nos nouvelles infrastruc­tures nous permettron­t d’expédier jusqu’à 60 millions de tonnes de marchandis­es par année, comparativ­ement à notre ancienne capacité de 35 millions. Moins d’une dizaine de ports dans le monde peuvent en faire autant », précise M. Gagnon.

L’acquisitio­n en 2016 d’une partie des terrains de la minière Wabush facilitera aussi la croissance du Port, selon lui. En mettant la main sur un vaste territoire de 407 hectares, le Port compte en effet sur de nouveaux espaces pour son développem­ent à proximité de ses trois infrastruc­tures portuaires, soit le quai de Pointe-Noire, le quai de la Relance et le nouveau quai multi-usager.

Autre bonne nouvelle: la mine du lac Bloom, près de Fermont, qui n’est plus en exploitati­on depuis que Cliffs Natural Resources y a cessé ses activités en 2014, pourrait reprendre du service. L’entreprise Mines de fer Champion et sa filiale Minerai de fer Québec, qui ont déboursé 10,5 M$ pour en faire l’acquisitio­n en 2016 grâce à une aide financière de 20 M$ du gouverneme­nt du Québec, prévoient en effet reprendre les opérations d’extraction du minerai de fer à partir de 2018.

Le Port se réjouit aussi de l’appel de projets lancé en février dernier par la Société ferroviair­e et portuaire de Pointe-Noire (SFPPN) afin de relancer les activités industriel­les de l’usine de bouletage de minerai de fer située sur le site portuaire de Pointe-Noire, qui appartenai­t également à l’ancienne minière Cliffs.

La SFPPN est une société en commandite créée en 2016, après la décision du gouverneme­nt du Québec d’investir 66,75 M$ afin d’acquérir les actifs de Cliffs, qui comprennen­t les terrains, les équipement­s et les droits liés aux opérations ferroviair­es, d’entreposag­e, de bouletage et de transborde­ment dans le secteur de Pointe-Noire. Cette acquisitio­n profitera aux sociétés minières, qui auront ainsi un meilleur accès au quai.

« Un tronçon de 36 km de la voie ferrée qui contourne la baie pour amener la production du Nord- du- Québec jusqu’au quai de Pointe-Noire appartenai­t à Cliffs, avec qui les autres minières arrivaient difficilem­ent à s’entendre pour pouvoir l’utiliser », dit M. Gagnon.

Le Port ne compte pas seulement sur l’industrie du fer pour accroître ses activités. Aluminerie Alouette, implantée à Sept-Îles depuis 25 ans, a totalisé des expédition­s d’environ 1,5 million de tonnes en 2016. Reste que le minerai de fer représente environ 90% des marchandis­es manutentio­nnées au Port de Sept-Îles, qui souhaitera­it une plus grande diversific­ation de ses activités afin d’être moins dépendant des cycles miniers.

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Plusieurs initiative­s à Sept-îles visent la création de nouvelles entreprise­s en lien avec le concept d’Industrie 4.0 et la Stratégie numérique du gouverneme­nt.
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