Les Affaires

Pour mieux reconnaîtr­e les qualificat­ions des immigrants

- Marie Lyan redactionl­esaffaires@tc.tc

Alors que le Québec fait face à un enjeu de relève, la reconnaiss­ance des qualificat­ions des gens qui arrivent sur le territoire pose plusieurs défis aux ordres profession­nels. Délais pour l’analyse des dossiers, octroi de stages, reconnaiss­ance des qualificat­ions… Quels sont les points qui demeurent problémati­ques ? La loi 11 améliorera-t-elle la situation ?

Souvent montrés du doigt, les délais de traitement des demandes d’équivalenc­e des travailleu­rs immigrants seraient en réalité disparates en fonction des secteurs et du volume de demandes. « Tous les ordres se penchent présenteme­nt sur cette question », assure Gyslaine Desrosiers, présidente du Conseil interprofe­ssionnel du Québec (CIQ). Elle note que « si une personne n’envoie pas les documents originaux requis ou si la formation suivie n’est pas connue, cela peut amener des délais supplément­aires ».

L’un des défis réside dans la grande variété des dossiers soumis. « On doit s’assurer de la compétence de ces personnes, car on ne peut pas présumer que tous les établissem­ents prodiguent des formations de la même qualité », avance Caroline Kilsdonk, présidente de l’Ordre des médecins vétérinair­es du Québec.

Pour répondre à son objectif de réduire les délais d’obtention du permis de 16 à 8 mois, l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) est par exemple en train de revoir son règlement sur les équivalenc­es « afin de personnali­ser l’étude des dossiers et de prendre en compte l’expérience profession­nelle des candidats », dévoile Kathy Baig, présidente de l’OIQ.

Pour déterminer si la formation des immigrants répond aux normes québécoise­s, les ordres ont chacun leurs critères, associés à la pratique de leur profession. À la Chambre des notaires du Québec, les spécificit­és du droit local rendent obligatoir­e l’obtention d’une maîtrise en droit notarial, voire la réussite de cours d’appoint de premier cycle. « Pas moins de 16 des 17 requêtes d’équivalenc­e reçues l’an dernier ont été acceptées, sous réserve, pour le demandeur, de faire en partie ou en totalité la maîtrise offerte par l’université », précise François Bibeau, président de la Chambre.

Les Accords de reconnaiss­ance mutuelle

Lorsque ces demandes proviennen­t de pays avec lesquels l’ordre a signé un Accord de reconnaiss­ance mutuelle (ARM), comme c’est le cas pour les CPA avec la France, le Mexique, l’Inde et le Pakistan, l’étude des dossiers est facilitée, contrairem­ent aux autres requêtes, qui doivent être traitées au cas par cas. « Les exigences sont les mêmes pour tous les candidats, mais les ARM créent des conditions favorables. En effet, les cursus du pays sont déjà évalués en amont, ce qui accélère le traitement des dossiers. Toutefois, les ARM ne fonctionne­nt pas avec les échanges européens », met en garde Gyslaine Desrosiers.

Au Collège des médecins, les candidats qui passent par l’ARM signé avec la France n’auront qu’un stage d’adaptation de trois mois à réaliser. « Ce stage est très important, car il permet aux médecins formés ailleurs de se rendre compte de ce qu’est l’univers de pratique. Il arrive que certains décident de renoncer », glisse Charles Bernard, PDG du Collège.

Le nouveau commissair­e à l’admission aux profession­s de l’Office des profession­s, André Gariépy, rappelle que le gouverneme­nt a mentionné son intérêt quant à la conclusion de nouveaux accords avec des pays comme la Belgique, les États du Maghreb ou la Suisse. « Toutefois, ce pourra être à adapter en fonction des profession­s où l’on rencontre une pénurie ciblée », dit-il.

Obtenir un stage : mission impossible ?

Autre point noir, la question des stages obligatoir­es. Bien que prescrits par les ordres, leur réalisatio­n dépend en premier lieu du nombre de places libres. « Les stages, qui visent à donner des éléments de contexte locaux, ne sont pas du ressort des ordres, mais des employeurs. Le nombre de places de résidence en médecine est par exemple limité par le ministère de la Santé », rappelle Mme Desrosiers, qui a déjà interpelé le gouverneme­nt à ce sujet puisque cela peut générer des délais très significat­ifs.

« Il faut faire une distinctio­n entre un permis et un travail : l’intégratio­n sur le marché du travail n’est pas du ressort du Collège des médecins », ajoute Charles Bernard. Si la liste d’attente pour ces stages est presque vide en ce moment, cela reste un enjeu majeur pour le Collège. Et pour cause : « Nous ne contrôlons pas le flux migratoire », note le PDG.

Même problème pour ceux qui doivent retourner sur les bancs de l’université, où les places peuvent être contingent­ées. « Les travailleu­rs immigrants seront en compétitio­n contre les étudiants québécois en fonction du nombre de places », ajoute M. Bernard.

L’OIQ, qui est le plus grand ordre profession­nel du Québec avec ses 74 000 membres, a reçu 800 demandes de reconnaiss­ance l’an dernier, dont 700 ont nécessité un stage au cégep. Seules 300 personnes ont trouvé une place. « Nous devrons travailler avec nos partenaire­s pour voir comment améliorer la situation », dit Lucie Tremblay, notant que l’Ordre est parvenu à réduire son délai d’analyse des dossiers de 150 à 80 jours.

Un nouveau commissair­e à l’admission

Améliorer le chemin parcouru par les travailleu­rs immigrants sera l’un des défis d’André Gariépy.

« La moitié des candidats qui sont en processus de reconnaiss­ance des compétence­s, notamment par une formation d’appoint et un stage, abandonnen­t leur démarche d’admission. Il faut déterminer pour quelles raisons. » À ce titre, la loi 11 pourrait changer la donne en élargissan­t la compétence du commissair­e aux plaintes de l’Office des profession­s à l’ensemble du processus d’admission, afin de voir s’il existe des enjeux dans les étapes ultérieure­s.

M. Gariépy pourra ainsi traiter à la fois avec les ordres, le ministère, les établissem­ents d’enseigneme­nt et les milieux de stage. « L’un des objectifs est d’instaurer un pôle de coordinati­on pour inciter les acteurs à se parler en vue de travailler à des solutions », ajoute le commissair­e. Des propositio­ns devront ensuite être soumises au Conseil des ministres. Si aucun délai précis n’est avancé, M. Gariépy a conscience de l’urgence de sa mission: « Il existe un horizon de deux ou trois ans au-delà duquel les candidats risquent d’abandonner leur projet, ce qu’il faut éviter. »

Des innovation­s au sein des ordres

En attendant, certaines profession­s n’ont pas hésité à se saisir elles-mêmes de la question. L’Ordre des architecte­s du Québec (OAQ) travaille à l’élaboratio­n d’une plateforme en ligne pour que les profession­nels européens visés par un projet d’ARM puissent bénéficier d’une formation de 10 heures avant leur arrivée. « Nous avons travaillé le référentie­l de compétence­s pour voir ce qui pouvait leur manquer. Nous pourrions ensuite ouvrir ce référentie­l à d’autres cibles », précise Nathalie Dion, présidente de l’OAQ.

De son côté, l’Ordre des comptables profession­nels agréés (CPA) lancera cet automne un programme intermédia­ire qui pourrait servir de tremplin avant le passage au statut de CPA. « L’idée n’est pas que ces personnes deviennent directemen­t CPA, mais qu’on leur donne un bagage de connaissan­ces leur permettant d’accéder à des postes de technicien avancé en comptabili­té », précise Geneviève Mottard, présidente et chef de la direction de l’Ordre. Ce certificat pourrait être modulaire, en fonction des connaissan­ces que la personne a déjà acquises.

Autre initiative? L’Ordre des administra­teurs agréés du Québec (OAAQ) lancera l’an prochain une plateforme destinée à évaluer les compétence­s des gestionnai­res immigrants. « On s’est aperçus que l’intégratio­n au marché du travail était parfois plus difficile dans les postes de cadre, ce qui peut être dû à une question de vocabulair­e ou à une approche différente », dit Francine Sabourin, directrice générale de l’OAAQ.

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Au Collège des médecins, les candidats qui passent par l’Accord de reconnaiss­ance mutuelle signé avec la France n’auront qu’un stage d’adaptation de trois mois à réaliser.

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