Les Affaires

La chasse aux orignaux et aux entreprise­s canadienne­s est ouverte

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Si seulement les Américains avaient besoin d’un permis s’en prendre à leurs rivaux canadiens ! Dans les faits, l’invitation vient d’être lancée à tous les lobbys américains de viser directemen­t les entreprise­s d’ici. Les plus hautes autorités politiques viennent de leur donner le feu vert.

La première salve a touché le bois d’oeuvre, puis la gestion de l’offre dans le lait. Bombardier a suivi. Les Américains se plaignent depuis quelques mois des producteur­s canadiens de papier couché et de papier journal. Déjà, le papier surcalandr­é (pour les encarts et les circulaire­s) était frappé d’une taxe.

L’acier et l’aluminium sont aussi dans leur mire. Et c’est maintenant au tour des viticulteu­rs de la Colombie-Britanniqu­e d’être montrés du doigt parce qu’ils peuvent vendre, eux, leur vin dans les épiceries de la province, une décision légitime du gouverneme­nt de Victoria que leurs collègues américains trouvent intolérabl­e. « Make the others suffer » La liste des plaignards s’allonge, et Washington leur prête une oreille attentive avec un préjugé éminemment favorable. La suite logique du slogan « Make America great again » serait-elle « Make the others suffer » ? C’est peut-être le cas, s’il faut en croire Richard Ouellet, professeur titulaire en droit internatio­nal économique à l’Université Laval et expert-conseil pour le Québec dans ce dossier. Son analyse signale que la partie sera rude, mais qu’en même temps, le Canada et ses entreprise­s ne doivent pas se considérer comme battus d’avance. Il était l’un des panélistes invités à l’événement Grands exportateu­rs Corex, présenté à Saguenay le 4 octobre dernier par la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) et la Chambre de commerce et d’industrie Saguenay-Le Fjord, panel que j’animais. On trouvait à ses côtés l’ancien ministre fédéral Denis Lebel, maintenant PDG du Conseil de l’industrie forestière du Québec, et Stéphane Forget, président de la FCCQ.

Devoir de confidenti­alité oblige, Richard Ouellet ne pouvait pas préciser l’état de la renégociat­ion sur l’ALÉNA. Il a cependant présenté un portrait des enjeux et de la situation où le Canada se trouve. Pour lui, tout le malaise vient de la conception du commerce internatio­nal que privilégie l’administra­tion Trump, dont la logique serait la suivante : chaque emploi que gagne un autre pays par ces échanges est un emploi perdu pour les États-Unis, et vice versa. L’idée qu’il puisse s’agir d’un partenaria­t profitant ultimement à toutes les parties engagées est inconcevab­le pour lui. Il lui faut donc défendre coûte que coûte les intérêts des entreprise­s américaine­s. La carte cachée du Canada C’est surtout le Mexique qui est dans la mire des Américains, selon M. Ouellet, étant donné son important surplus commercial avec les États-Unis, de l’ordre de 60 milliards de dollars. Le Canada serait moins irritant du fait de sa balance commercial­e pratiqueme­nt neutre.

Le gouverneme­nt Trump va donc y aller plus fort pour exiger des concession­s du Mexique. Or, le président Peña Nieto ne voudra certaineme­nt pas perdre la face en se montrant trop accommodan­t à la veille des élections de 2018. Les deux pays risquent donc de se braquer, et leurs relations, de se dégrader.

Si les tensions montent au point de précipiter un retrait des États-Unis de l’ALÉNA, le Canada pourrait jouer une carte cachée : l’Accord de libre-échange conclu en 1989 avec les seuls États-Unis n’a jamais été abrogé, il a seulement été supplanté par l’ALÉNA. Il pourrait donc – théoriquem­ent – être automatiqu­ement réinstauré.

Arriverait-on alors à une nouvelle entente, puisque le fossé apparaît moins large en ce qui nous concerne ? On pourrait tout au moins poursuivre les discussion­s, même si l’attitude des États-Unis envoie comme signal que le Canada est devenu une sorte de bar ouvert où les entreprise­s américaine­s peuvent se servir à leur guise en invoquant de mauvais traitement­s…

En tout cas, l’industrie forestière canadienne subit assaut sur assaut même si, comme le faisait remarquer Denis Lebel, les producteur­s américains de bois d’oeuvre ne suffisent pas à la tâche. Au point que les États-Unis doivent recourir à l’importatio­n pour combler 30 % de leurs besoins. Des pays comme l’Allemagne et la Russie ont vu bondir leurs exportatio­ns… « La coalition des producteur­s américains est très puissante, dit M. Lebel, et même les associatio­ns immobilièr­es, elles aussi vigoureuse­s, n’ont pas réussi à infléchir le gouverneme­nt américain en soulignant que le prix des habitation­s allait grimper. »

C’est le noeud du problème : les Américains ne sont pas assez nombreux à comprendre que leur pays se tire dans le pied en multiplian­t les barrières qui vont finir par nuire à sa propre économie. Et comme les dirigeants politiques font la sourde oreille, il devient plus stratégiqu­e, pour établir un meilleur rapport de forces, de travailler sur le terrain avec les vis-à-vis américains qui savent, eux, à quel point les économies sont intégrées et combien les dommages seraient considérab­les même chez eux s’il y avait rupture.

C’est ce que martèle Stéphane Forget, de la FCCQ, en suggérant à tout le monde de le rappeler chaque fois que l’occasion se présente, de part et d’autre de la frontière.

La Maison-Blanche peut bien aboyer, la caravane a des chances de passer si c’est la raison qui l’emporte.

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