Les Affaires

POURQUOI LA CAISSE A DES ACTIFS DANS LES PARADIS FISCAUX

- François Normand francois.normand@tc.tc @francoisno­rmand Services financiers

La Caisse de dépôt et placement du Québec a une nouvelle politique pour baliser sa présence dans les paradis fiscaux. Elle ne peut pas s’en retirer rapidement, mais elle utilisera son influence pour réduire le recours à ces juridictio­ns, de concert avec l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s. Cette dernière supervise le projet sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Il rassemble plus de 100 pays et juridictio­ns, dont le Canada, pour lutter contre les paradis fiscaux et créer une fiscalité mondiale plus équitable.

La Caisse de dépôt a publié en août sa politique Fiscalité

internatio­nale sur son site web, soit bien avant la publicatio­n des Paradise

Papers. Ce document de la Caisse est une réponse à ceux et celles qui critiquent sa présence dans les paradis fiscaux. La valeur de ses investisse­ments enregistré­s dans ces juridictio­ns avoisine les 26 milliards de dollars canadiens, soit moins de 10% de ses actifs totaux, selon la Caisse. Celle-ci se retrouve aujourd’hui dans les paradis fiscaux, car elle investit de plus en plus à l’étranger.

La Caisse ne se fixe toutefois pas d’échéancier pour réduire cette proportion, même si elle dit être consciente, dans sa politique, « que les différents régimes fiscaux en vigueur dans le monde permettent encore à certains contribuab­les et à certaines multinatio­nales de réduire indûment les impôts qu’ils devraient payer ».

Récemment, la Commission des finances publiques a recommandé que le gouverneme­nt demande à la Caisse de « réduire progressiv­ement ses investisse­ments dans les entreprise­s qui font de l’évitement fiscal abusif ou de l’évasion fiscale ».

En entretien à Les Affaires, la première vice-présidente et chef de direction financière de la Caisse, Maarika Paul, affirme qu’il est irréaliste d’espérer que l’institutio­n se retire rapidement des paradis fiscaux, car elle pourrait se priver d’occasions d’investisse­ment et affaiblir aussi sa stratégie de diversific­ation et de gestion des risques.

« On ne peut pas être tout seul un leader. Nous devons aussi regarder tout cela à long terme, parce que nous sommes un investisse­ur à long terme », dit-elle, tout en précisant que la Caisse n’a aucun intérêt fiscal à être dans les paradis fiscaux puisqu’elle ne paie pas d’impôt au Canada.

La taille des actifs sous gestion de la Caisse est aussi un enjeu. Le navire amiral de la finance québécoise est un gros navire qui ne peut pas changer de cap rapidement. Au 31 décembre 2016, les actifs totalisaie­nt 270,7 G$, dont 179 étaient exposés aux marchés mondiaux.

Malgré tout, l’institutio­n veut contribuer à changer la donne. « Notre politique est alignée avec la réalité, précise-t-elle. Elle tient compte de cette volonté de changer les façons de faire. On exerce de l’influence à l’interne, mais aussi auprès de nos partenaire­s. Graduellem­ent, je pense que les choses vont changer. »

Signe de cette influence, la Caisse a par exemple convaincu trois de ses partenaire­s enregistré­s dans des paradis fiscaux de s’enregistre­r au Canada et aux États-Unis. Ils étaient auparavant situés au Luxembourg et aux îles Caïmans.

Les spécialist­es demeurent sur leur faim

Joint par Les Affaires, trois spécialist­es en fiscalité internatio­nale ont salué la politique de la Caisse, en affirmant qu’elle faisait preuve de leadership et de transparen­ce. Cela serait d’ailleurs une première au Canada. En revanche, ils croient que l’institutio­n aurait pu en faire davantage.

Marc Y. Tassé, de l’Université d’Ottawa, affirme que la Caisse fait souvent référence à l’évasion fiscale, « mais aucunement à l’évitement fiscal qui, malheureus­ement, est très présent dans les paradis fiscaux ».

Lyne Latulippe, de l’Université de Sherbrooke, estime que la Caisse est « très timide » en ce qui a trait à ses investisse­ments dans des entreprise­s enregistré­es dans les paradis fiscaux. Selon elle, l’institutio­n ne devrait plus investir dans ces sociétés.

Ivan Tchotouria­n, de l’Université Laval, croit que la Caisse doit dépasser la stricte conformité aux lois – elle le souligne dans sa politique – et raisonner davantage en fonction de « l’esprit » de la loi.

Les Paradise Papers - une fuite de millions de documents confidenti­els - a permis de révéler que l’opinion publique est de plus en plus intolérant­e à l’égard de ces paradis fiscaux, même ceux dont les pratiques respectent la loi, mais qui néanmoins soulèvent des questions morales.

Mme Paul est consciente du consensus moral qui se dessine, mais se dit convaincue que la Caisse est en phase avec celui-ci. « Je pense que notre énoncé est bien aligné avec tout ce qui se passe ces jours-ci, indique-t-elle, justement pour dire qu’on avance, qu’on influence, qu’on change la façon de faire. »

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« On exerce de l’influence à l’interne, mais aussi auprès de nos partenaire­s. Graduellem­ent, je pense que les choses vont changer. » – Maarika Paul, première vice-présidente et chef de direction financière de la Caisse de dépôt et placement du Québec

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La politique Fiscalité internatio­nale, publié par la CDPQ en août, est une réponse à ceux et celles qui critiquent sa présence dans les paradis fiscaux.
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