Les Affaires

LES PHILANTHRO­PES DE L’ACTION

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- Benoîte Labrosse redactionl­esaffaires@tc.tc

Les jeunes profession­nels ne se contentent pas de donner. Ils passent à l’action et, ce faisant, ils réinventen­t les façons de faire le bien autour de soi. Portraits d’une nouvelle culture philanthro­pique.

C’est au sein de la génération Y (de 1980 à 1995) que les dons ont connu la hausse la plus marquée depuis 2013, selon « L’étude sur les tendances en philanthro­pie au Québec en 2017 » publiée par Épisode. La firme montréalai­se d’experts- conseils en collecte de fonds note que cette montée pourrait entre autres s’expliquer par l’« émergence d’une culture philanthro­pique ». Les milléniaux apportent également de nouvelles façons de lever des fonds par rapport aux génération­s précédente­s.

La Fondation Québec Philanthro­pe, qui gère un capital de 75 millions de dollars pour plus de 620 fonds consacrés à différente­s causes un peu partout dans la région de la Capitale-Nationale et de la Chaudière-Appalaches, est aux premières loges pour le constater. « Pour créer un fonds, il faut 10 000 $, et je vois de plus en plus de jeunes qui réalisent plusieurs activités de financemen­t afin de recueillir cette somme, affirme sa directrice générale, Karen Bouchard. Leur motivation est très élevée. C’est extrêmemen­t inspirant, surtout que leurs causes sont très variées : environnem­ent, sport, jeunesse, etc. »

L’émergence des comités jeunesse

L’autre hypothèse d’Épisode expliquant l’augmentati­on des dons chez les 21-36 ans – trois sur cinq ont donné en 2016 – est le « développem­ent récent par les organismes de nombreuses activités pour atteindre cette génération ». Ceux-ci sont en effet de plus en plus nombreux à mettre sur pied des groupes de bénévoles qui se consacrent à repenser leurs événements-bénéfices. L’objectif est d’y attirer les profession­nels de moins de 40 ans, âge limite de la jeunesse dans ce contexte, selon l’Institut Mallet pour l’avancement de la culture philanthro­pique.

La Fondation En Coeur, qui offre de l’aide directe aux enfants cardiaques et à leurs familles, a par exemple lancé, le 17 août, son Comité Jeunes Philanthro­pes En Coeur. « Nous voulons solliciter nos futurs grands donateurs au début de leur carrière, afin qu’ils demeurent longtemps avec nous et qu’ils deviennent nos ambassadeu­rs dans leurs réseaux », explique la directrice générale Sylvie Gérin-Lajoie. La présidente du comité, Carla Rodrigues, 35 ans, directrice principale chez Randstad Canada, a d’ailleurs elle-même approché la douzaine de membres. Pour plusieurs, il s’agit d’une première expérience philanthro­pique. « C’est très intéressan­t pour nous, parce qu’ils apportent une certaine fraîcheur, énormément d’énergie et une façon différente de voir », souligne Mme Gérin-Lajoie.

Le coup d’envoi du comité s’est ainsi fait en formule 5 à 8, avec DJ et bières de microbrass­e- ries. « Les jeunes profession­nels ont plus tendance à inviter leurs amis et leur réseau à ce genre d’événement, alors que les dirigeants d’entreprise plus âgés convient souvent leurs clients à notre souper-bénéfice gastronomi­que plus formel », remarque Samuel Malo, conseiller événements et communicat­ions chez En Coeur. Une formule qui séduit de plus en plus cette génération selon un sondage d’Épisode : « La gastronomi­e prend de plus en plus de place pour les Y (…) qui apprécient beaucoup plus les soupers-bénéfice qu’en 2013. »

Transforme­r les participan­ts en donateurs

Toujours selon Épisode, les activités de collecte de fonds les plus prisées des génération­s Y et Z (nés après 1995) sont les défis sportifs. Un constat encouragea­nt pour l’organisme Pour 3 Points (P3P), qui forme des coachs sportifs afin qu’ils deviennent des coachs de vie auprès de leurs jeunes athlètes. Leur tournoi de basketball a ainsi réuni cette année 16 équipes de quatre personnes, qui ont amassé 17 396 $.

« Chez les jeunes philanthro­pes, l’aspect expérienti­el est très important ; ils ont besoin de participer à des événements, note Ericka Alneus, conseillèr­e au développem­ent philanthro­pique chez P3P. Ils n’ont pas la même relation aux dons que les personnes plus matures, qui ont été habituées à la charité. »

L’organisme montréalai­s fait d’ailleurs une distinctio­n entre les participan­ts à ses activitésb­énéfices et les donateurs à sa campagne annuelle. « L’enjeu est de faire progresser les jeunes participan­ts ponctuels en donateurs à long terme, observe Mme Alneus, notamment en leur proposant des événements thématique­s conçus telles des “portes d’entrée ” à la cause. » La récente soirée High School Dance a attiré plus de 600 personnes – et a permis à P3P de récolter 37 000 $ en faisant appel à leur nostalgie.

Omniprésen­te technologi­e

Sans surprise, les réseaux sociaux prennent une importance grandissan­te dans ce secteur. « Instagram et Facebook sont d’excellents moyens d’humaniser notre cause en racontant nos histoires », illustre Mme Alneus. Leur vitesse de diffusion est aussi très appréciée des organismes. « Les jeunes philanthro­pes réussissen­t à collecter énormément de sous en quelques jours et à mener des campagnes de promotion très efficaces en ligne », se réjouit Mme Bouchard.

La Fondation En Coeur mise beaucoup sur les outils technologi­ques pour attirer la relève philanthro­pique. « Cette année, nous avions une applicatio­n pour notre souper gastronomi­que, qui permettait d’en apprendre plus sur les personnali­tés présentes et de miser à l’encan silencieux à partir de son téléphone, détaille M. Malo. C’était une solution de paiement rapide, et les gens ont adoré le côté interactif. Nous avons reçu d’excellents commentair­es des plus jeunes là-dessus ! »

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« Les jeunes philanthro­pes réussissen­t à collecter énormément de sous en quelques jours et à mener des campagnes de promotion très efficaces en ligne. » – Karen Bouchard, directrice générale de Fondation Québec Philanthro­pe

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Jennifer Hamel a toujours su qu’aider les autres la rendait « plus heureuse et plus comblée ». Cela allait donc de soi qu’elle poursuive dans cette voie quand elle est devenue présidente de Plomberie Laroche en 2011, à 22ans. « Je ne conçois pas l’idée d’être en affaires sans redonner à ma communauté, parce que sans elle, mon entreprise ne fait pas de revenus », déclare la détentrice d’un MBA en responsabi­lité sociale et environnem­entale des entreprise­s. « De plus, tout garder pour moi, ce n’est pas dans ma nature! »

La preuve en est qu’au décès de son père – la raison de son arrivée à la tête de la PME en mécanique du bâtiment de L’Ancienne-Lorette –, elle a utilisé son assurance-vie pour créer le Fonds Famille Yves-Hamel (Plomberie Laroche). « À 52 ans, mon père commençait à s’intéresser à la philanthro­pie, donc je trouvais que la plus belle façon d’immortalis­er ses valeurs était de créer un fonds dédié aux secteurs qu’il aimait: santé, jeunesse et éducation », résume-t-elle.

Un premier chèque de 25000$ a permis de constituer le Fonds au sein de la Fondation Québec Philanthro­pe. D’autres montants y ont été ajoutés depuis. « Nous avons fait un encan et des tournois de baseball. Les sommes récoltées ne sont jamais grosses, mais ce sont des événements “sympathiqu­es” qui ont un effet sensibilis­ateur, précise-t-elle. Pour moi, la philanthro­pie doit toujours joindre l’utile à l’agréable. » Le Fonds remet entre 3000 et 5000$ par année à des organismes locaux. Sans compter les autres collectes organisées par la fa

mille Hamel, dont le Défi têtes rasées Leucan en 2015. « C’est l’idée de mon frère pour marquer les 10 ans du défi de mon père, et ça a été un succès phénoménal: nous avons recueilli 15300$. Je me suis engagée à le faire en 2025! »

Au moins 300 heures de bénévolat par an

Depuis septembre 2012, Mme Hamel siège aussi au conseil d’administra­tion de la Fondation du Centre jeunesse de Québec, qui distribue annuelleme­nt plus de 200000$, entre autres sous forme de bourses d’études. « Quand on donne une confiance et une fierté à des jeunes qui n’ont pas eu toutes les chances à la naissance, ils deviennent mes “futurs plombiers” plutôt que d’être dans la rue, en prison ou sans emploi », affirme la maman d’un garçon de six mois.

« Elle nous fait profiter de son expertise et de son réseau d’affaires, mais aussi de sa connaissan­ce des goûts des gens de sa génération, afin d’assurer une certaine pérennité à nos activités », souligne Bruno Lepage, président du CA de la Fondation. « Quand je suis arrivée, le système de chauffage d’un bâtiment qui accueille un projet des OEuvres Jean Lafrance pour des garçons de 14 à 18 ans devait être refait, et je me suis amusée à trouver comment réaliser les travaux au plus bas coût, notamment en obtenant des commandite­s de mes fournisseu­rs », se rappelle la principale intéressée. Trois organismes ont ainsi bénéficié des efforts de celle qui estime faire « au moins 300 à 400 heures » de bénévolat par année.

En plus d’un tempéramen­t « extrêmemen­t dynamique, sympathiqu­e, spontané et très sociable », M. Lepage attribue à la jeune philanthro­pe « un talent certain pour recruter les présidence­s d’honneur de nos événements-bénéfices ». Dans l’un d’eux, la Montée des sommets, des marcheurs se font commandite­r pour gravir le plus grand nombre de fois le mont Sainte-Anne au cours d’un après-midi automnal d’activités familiales. La plus récente édition a amassé une somme nette de 115000$. « C’est mon exemple parfait “d’extase philanthro­pique”, s’exclame Mme Hamel. Ça permet d’être en famille, de jouer dehors, de côtoyer des jeunes du Centre qui viennent remercier les donateurs, et de récolter une somme incroyable pour une cause fantastiqu­e... On est loin des cocktails en complet cravate après le travail! »

Son intérêt pour les activités impliquant les familles ravit son conseil, qui y voit « beaucoup de sens » avec sa mission, ainsi que la possibilit­é d’attirer davantage de jeunes donateurs. « Elle assume un leadership positif: quand elle rit, tout le monde rit, quand elle court tout le monde court, conclut M. Lepage. Donnez-moi dix Jennifer Hamel et je vais régler les problèmes de pas mal de jeunes! » – Benoîte Labrosse

La designer d’intérieur Catherine C. Léveillé a lancé sa première entreprise en 2008, à 19 ans, avec un partenaire d’affaires. Cinq ans plus tard, une grande remise en question l’a poussée à vendre ses parts pour s’établir à son compte à Mirabel… Et à se lancer dans la philanthro­pie.

« Le design, c’est ma passion, mais il fallait que je puisse me nourrir d’autre chose; j’avais besoin d’aider les gens, se souvient-elle. En plus d’orienter ma nouvelle entreprise vers des valeurs d’entraide avec mes collaborat­eurs et fournisseu­rs, je suis devenue administra­trice d’un organisme communauta­ire de justice alternativ­e qui aide les jeunes contrevena­nts de Saint-Jérôme. »

Depuis, la native de cette ville fait bénéficier Mesures Alternativ­es des Vallées du Nord (MAVN) de « ses forces d’entreprene­ure ». « Pour assurer la pérennité de l’organisme, il faut trouver d’autres sources de financemen­t que les subvention­s gouverneme­ntales, explique-t-elle, et c’est là que j’apporte des idées et des projets, entre autres concernant l’immobilier. »

Consciente d’oeuvrer dans « un milieu de luxe », la designer souhaite « utiliser ses talents pour faire une différence ». Elle a ainsi participé à l’émission Donnez au suivant en réalisant bénévoleme­nt les plans et la coordinati­on de la rénovation

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Jennifer Hamel, présidente de Plomberie Laroche
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