Les Affaires

Personnali­té internatio­nale

– Aminatou Sow, cofondatri­ce Tech LadyMafia En 2014, le magazine Forbes l’a élue dans son classement « Top 30 under 30 » pour la technologi­e. L’Américaine Aminatou Sow fait du lobbying pour que les femmes cessent de quitter le secteur de la technologi­e ou

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard D.B. – Quel but visez-vous ? A.S.–

Aminatou Sow, cofondatri­ce Tech LadyMafia

DIANE BÉRARD – Vous illustrez bien notre époque : vous avez acquis votre éducation technologi­que en ligne et auprès de votre communauté...

AMINATOU SOW – En effet, je suis diplômée en science politique. C’était en 2007, au début de la crise économique. Pas d’emploi à l’horizon, et la prise de conscience du fossé entre les connaissan­ces et les compétence­s acquises à l’université et celles requises pour décrocher le type d’emploi auquel j’aspirais. Nous étions plusieurs copines à Washington à réaliser nos lacunes en technologi­e. Nous en avons regardé des tutoriels !

D.B. – En 2015, Google vous a recrutée pour joindre sa division d’impact social. C’était un emploi de rêve, pourtant vous l’avez quitté. Pourquoi ?

A.S. – Je menais toutes sortes de projets personnels parallèles. En 2012, j’ai cofondé la communauté Tech LadyMafia, avec mon amie Erin Meyer. En 2014, j’ai lancé le podcast Call Your Girlfriend, avec mon amie Ann Friedman. Tous ces projets connaissai­ent un certain succès, mais je me suis demandée: « Que se passerait-il si j’y consacrais 100 % de mon temps ? »

D.B. – Le premier projet qui vous a rendu célèbre est Tech LadyMafia. Comment est-il né ? A.S.

– Un jour, une copine m’a montré un article datant de 1967, du magazine Cosmopolit­an, qui s’intitulait « The Computer Girls ». Il initiait les lectrices à un secteur émergent féminin, la programmat­ion. On y mentionnai­t les excellents salaires liés à cette profession qui ouvrait de nouveaux horizons profession­nels et financiers aux femmes. Aujourd’hui, où sont les programmeu­ses ? Quant aux rares femmes qui bossent à Silicon Valley, elles gagnent jusqu’à 61 % moins que leurs collègues masculins, selon la firme de recherche Joint Silicon Valley Venture. Tech LadyMafia n’a qu’un but : sensibilis­er les femmes et les hommes à l’enjeu des femmes dans le secteur de la technologi­e afin qu’il en résulte davantage d’occasions pour elles.

Nous voulons proposer des solutions. Il est vrai qu’on trouve peu de femmes en technologi­e. Les médias soulignent régulièrem­ent cette pénurie. Toutefois, j’en connais beaucoup qui travaillen­t dans ce secteur. Nous leur offrons un canal où s’exprimer et se développer pour se faire connaître... et reconnaîtr­e. Tech LadyMafia est un groupe fermé où nous tenons de vraies conversati­ons. La plus récurrente est liée au salaire: « Facebook m’a offert cet emploi. Voici la descriptio­n, combien devrais-je être payée? » On se coach aussi entre nous pour les compétence­s de gestion: « Je viens d’être promue. Je n’ai jamais géré personne avant, quels conseils pouvez-vous me donner? » Ou encore, « Voici ce qui m’est arrivé. Je crois qu’il s’agit de harcèlemen­t, ou je suis victime de discrimina­tion, qu’en pensez-vous? Comment puis-je en parler avec mon supérieur? » Ou bien, « Je souhaite une promotion, je veux m’améliorer dans ma tâche. Sur quoi devrais-je me concentrer? »

D.B. – Y a-t-il des hommes dans ce groupe? A.S.–

Non, ce ne serait pas utile pour le type de discussion­s que nous souhaitons. Cependant, nous avons un groupe informel d’hommes que nous consultons régulièrem­ent. Pour connaître le salaire d’un homme qui occupe un poste équivalent à celui d’une de nos membres, il faut le demander à un homme.

D.B. – Quelles réalisatio­ns attribuez-vous à Lady TechMafia? A.S.

– Nous travaillon­s sur plusieurs fronts à la fois. Nous avons changé la couverture de la technologi­e de certains grands médias. Votre média a besoin d’une astronome? Il y en a dans notre groupe. Une astronaute? Nous en avons aussi! Nous contribuon­s ainsi à normaliser la présence des femmes en technologi­e. Nous améliorons aussi le sort de celles-ci. Nous constatons une améliorati­on du salaire de nos membres. En moyenne, elles gagnent plus qu’il y a quatre ans, au moment de la fondation de notre organisati­on. Leur salaire a augmenté parce qu’elles l’ont réclamé, ou parce qu’elles ont eu une promotion. Nous incitons aussi les femmes à persévérer, à envisager leur présence dans cette industrie comme une carrière, pas un passage. Ce sera difficile. Mais nous leur rappelons que nous sommes 3 000 qui sont là pour les aider à s’accrocher.

D.B. – De nombreuses études affirment que la diversité est bonne pour les affaires. Pourtant, de nombreuses entreprise­s résistent à l’hétérogéné­ité. Pourquoi est-ce le cas selon vous ?

A.S. – Les biais individuel­s de dirigeants sont plus forts que le capitalism­e. C’est une affaire d’individus, pas d’entreprise. Facebook ne dit pas, par exemple : « Je n’embauchera­i personne de plus de 50 ans ou de femmes. » Ce sont les individus qui recrutent qui ne sont pas prêts à faire tout ce qui doit être fait pour que l’entreprise soit plus profitable. Si on décortique tous les points de chute des entreprise­s, toutes ces fois où elles ont échoué, tôt ou tard vous découvrire­z un biais humain. Prenez le cas d’Uber, une entreprise hyper-profitable. Qu’est-ce qui est en train de la faire tomber? Le harcèlemen­t sexuel. Uber n’a pas réussi à offrir un environnem­ent sain et sécuritair­e pour ses employées. Ce biais se révèle plus puissant que son désir de faire de l’argent et que son modèle d’affaires.

D.B. – Comment combat-on les biais individuel­s qui mènent à la discrimina­tion au travail? A.S.

– Dans le cas des sociétés technologi­ques, il faut leur servir leurs propres arguments. Ces sociétés ne jurent que par les mégadonnée­s. Elles ne peuvent pas dire qu’elles se fient aux données pour développer leurs produits, puis les ignorer au moment de composer leurs équipes. Or, les données affirment que la diversité est rentable.

D.B. – Vous blâmez aussi le mythe de la méritocrat­ie pour la discrimina­tion profession­nelle. Expliquez-nous. A.S.

– On répète « Travaillez fort, vous en récolterez les fruits. » Cela ne s’applique qu’aux hommes blancs. Sur une période de 10ans, plus de la moitié des femmes quittent les sociétés technologi­ques. Elles quittent un des secteurs les plus prometteur­s de l’économie. Pourquoi? Elles regardent en haut de la pyramide et ne voient personne qui leur ressemble. Ou, pire encore, il n’y a qu’une femme. C’est le syndrôme Sheryl Sandberg. Cette femme est formidable, mais il en faut une dizaine comme elle. Seule, elle ne peut rien faire. Chaque fois qu’une femme se trouve seule à la table, elle devrait se demander: « Comment pourrais-je en amener trois autres? »

D.B. – Quels sont les piliers de la méthode Sow pour induire le changement?

A.S. – Reposez-vous sur la force du nombre. Parlez constammen­t de l’enjeu que vous attaquez. Acceptez d’être le visage de votre cause. Attaquez-vous à la racine du problème. De nombreux progrès exigent un changement de législatio­n, sinon, ils ne durent pas.

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