Les Affaires

Ce que certains ignorent d’Amazon

- Pierre-Olivier Langevin et Aaron Lanni redactionl­esaffaires@tc.tc

Pour le consommate­ur, Amazon est le concurrent moderne de Walmart. Qu’on magasine en ligne sur Amazon ou qu’on se présente dans un des magasins Walmart de sa région, les deux nous promettent de trouver à peu près tout ce que l’on cherche à bas prix. Ces géants du commerce ont cependant plus de différence­s qu’on ne le croit.

C’est connu, Walmart est un détaillant traditionn­el. Il achète la marchandis­e, l’entrepose et la vend dans ses magasins. Ce qui est moins connu, c’est qu’Amazon a plus de similitude­s avec le propriétai­re d’un centre commercial qu’avec Walmart. Plus de la moitié des produits vendus sur le site d’Amazon n’ont pas été achetés par cette dernière. Les produits sont vendus par des commerçant­s indépendan­ts qui versent une commission variant entre 8% et 15% à Amazon pour toute vente réalisée sur son site. Amazon est donc le propriétai­re d’un immense centre commercial virtuel qui facture un « loyer » mensuel aux différente­s boutiques qui veulent bien élire domicile sur sa plateforme.

Ce qui porte à confusion, c’est qu’Amazon joue sur plus d’un tableau. Si elle est propriétai­re d’un commerce virtuel et reçoit de nombreux locataires sur sa plateforme, elle se réserve également le droit de vendre elle-même les produits qu’elle juge intéressan­ts de tenir en stock. C’est ce qui lui permet d’offrir d’excellents prix. À l’instar d’un détaillant comme Costco, Amazon ne vend elle-même que les articles les plus populaires, et troque ainsi de faibles marges bénéficiai­res pour un volume de ventes supérieur. Les articles vendus en moins grande quantité sont laissés aux commerçant­s indépendan­ts, qui rivalisent pour offrir la meilleure tarificati­on. C’est l’un des aspects qui permet à Amazon de faire tourner ses stocks très rapidement et d’améliorer son rendement sur le capital, une donnée critique quand vient le temps d’estimer la qualité d’une entreprise dans laquelle investir.

Le rendement sur le capital généré par Amazon donne cependant plusieurs maux de tête aux gestionnai­res de firmes d’investisse­ment. Dit simplement : il est ardu de se faire une idée de la valeur intrinsèqu­e de la société parce que la rentabilit­é réelle d’Amazon est indétermin­able.

Pour bien comprendre, prenons le cas du détaillant Walmart. Pour croître, le détaillant traditionn­el doit construire de nouveaux magasins dans des marchés où il n’est pas déjà présent. Aux états financiers, le coût pour construire un nouveau magasin n’est pas inscrit comme une dépense, mais plutôt comme un investisse­ment qui sera déprécié sur plusieurs années. Le fait de construire un nouveau magasin lors d’une année donnée ne nuit donc pas beaucoup à la rentabilit­é courante de la société.

La réalité est différente pour Amazon. Un détaillant virtuel n’a pas à construire de magasins. En revanche, il doit constammen­t engager des frais de programmat­ion informatiq­ue. Chaque fois que la société veut intégrer un nouveau module à son site web ou offrir de nouvelles catégories de produits à sa place d’affaires virtuelle, un travail est nécessaire. La plupart du temps, ce travail est considéré comme une dépense à titre de frais de recherche et développem­ent.

La constructi­on de magasins est à Walmart ce que la programmat­ion informatiq­ue est à Amazon. La première est considérée comme un investisse­ment alors que l’autre est considérée comme une dépense. L’an dernier, ce fut, selon nos estimation­s, près de 10 milliards de dollars américains qu’Amazon a engloutis en R et D pour ses activités de ventes au détail. Cela représente environ 3,5% de ses ventes de système. C’est presque autant que la marge bénéficiai­re avant impôts de Walmart. On comprend alors mieux pourquoi, malgré la domination de l’entreprise, Amazon semble assez peu rentable sur papier.

Les nombreuses dépenses en R et D ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres qui diminuent artificiel­lement la rentabilit­é d’Amazon. Les frais liés aux projets technologi­ques comme la mise sur pied d’Alexa (le système de commande vocale), la production de contenus médiatique­s et l’expansion déficitair­e à l’internatio­nal rendent les comparaiso­ns encore plus difficiles.

D’autres éléments laissent cependant croire que certaines dépenses gonflées ne peuvent pas être traitées comme des investisse­ments. Par exemple, en proportion de ses revenus, Amazon dépense plus de trois fois ce que débourse Walmart en marketing. Ces dépenses visent-elles à croître plus rapidement, ou sont-elles plutôt nécessaire­s à acheter de la publicité en ligne pour générer du trafic sur son site web? Contrairem­ent à Walmart, Amazon ne jouit pas d’un vaste réseau de magasins physiques ayant l’effet d’attirer naturellem­ent la clientèle passante. Son coût d’acquisitio­n des clients pourrait être structurel­lement plus élevé.

Devant ces nombreux facteurs d’incertitud­e, la prudence ne peut être que de mise en ce qui concerne un investisse­ment dans Amazon. Lorsque de nombreux paramètres doivent être estimés pour juger de la valeur intrinsèqu­e d’une société, un investisse­ur doit exiger une grande marge de sécurité avant de considérer y investir.

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Un centre de distributi­on de produits vendus sur Amazon à Hemel Hempstead, près de Londres, en Angleterre.

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