Les Affaires

Attention aux entreprise­s trop endettées en fin de cycle économique

- Philippe Le Blanc redactionl­esaffaires@tc.tc

L’économie américaine est entrée dans une phase d’expansion en juin 2009, après avoir traversé la Grande récession de 2008-2009. Cela veut donc dire que les États-Unis connaissen­t une expansion économique ininterrom­pue depuis maintenant 8 ans et demi, ce qui en fait une période inhabituel­lement longue selon les standards historique­s. De 1954 à 2009, l’expansion économique moyenne a duré 58 mois, soit un peu moins de 6 ans. La plus longue période d’expansion depuis 1954 a été enregistré­e entre mars 1991 et mars 2001, soit 10 ans.

Il est évidemment difficile de prévoir quand l’expansion économique que nous connaisson­s prendra fin et ce n’est certaineme­nt pas mon intention de tenter de le prédire. Je ne crois toutefois pas prendre un grand risque en déclarant que nous sommes aujourd’hui plus près de sa fin que de son commenceme­nt. En général, je ne crois pas qu’un investisse­ur devrait porter beaucoup d’attention aux données macroécono­miques. Il est toutefois important d’avoir une idée d’où on se situe dans le cycle économique.

Si nous sommes effectivem­ent vers la fin d’un cycle économique, cela signifie que l’économie pourrait éventuelle­ment ralentir sensibleme­nt. Or, je suis d’avis que de nombreuses entreprise­s ne sont pas nécessaire­ment prêtes à un tel ralentisse­ment. Selon un rapport récent préparé par Morgan Stanley, le ratio de la dette totale des sociétés américaine­s par rapport à leurs profits d’exploitati­on se situerait autour de 2,8 présenteme­nt, ce qui serait plus élevé que le ratio de près de 2,65 enregistré en 2009.

L’effet de levier que confère l’utilisatio­n de la dette opère dans deux directions. Il peut être très avantageux et magnifier la performanc­e financière d’une entreprise lorsque les conditions sont favorables et que ses profits sont en croissance. En revanche, il peut accentuer sensibleme­nt les problèmes financiers de cette même entreprise lorsque les conditions deviennent moins favorables, que ce soit en raison d’un ralentisse­ment économique ou de tout autre revers spécifique à une industrie ou à cette entreprise.

Ce constat m’est venu au cours des dernières semaines, alors que j’ai observé la chute brutale en Bourse des titres de deux sociétés américaine­s d’envergure.

La première est Newell Brands (« NWL »), une société de produits de consommati­on – elle fabrique entre autres les stylos Sharpie et les contenants Rubbermaid – d’une valeur boursière de 15 milliards de dollars. Son titre a perdu plus de 40% depuis juin dernier. Il y a près de 18 mois, Newell a finalisé l’acquisitio­n de Jarden Corp., fabricant des gants de baseball Rawlings et des machines à café Mr. Coffee, pour la somme de 15,4 G$ US. Le titre de Newell a perdu 27% de sa valeur le lendemain de la publicatio­n de ses résultats financiers pour le trimestre clos le 30 septembre 2017. La direction blâme des retards de commandes de la part de ses clients, les commerces de détail, pour les résultats inférieurs aux attentes et pour les perspectiv­es plutôt nébuleuses concernant les trimestres à venir. Je crois toutefois que la réaction des investisse­urs quant aux résultats aurait probableme­nt été plus conciliant­e si Newell n’avait pas été aussi endettée. Au 30 septembre 2017, le bilan de la société faisait état d’une dette nette de près de 10,7 G$, ce qui, selon mes calculs, représente 4,8 fois les profits d’exploitati­on (BAIIA) des 12 derniers mois. Avec un tel degré d’endettemen­t, la marge de sécurité me semble plutôt mince et la société ne peut vraisembla­blement pas se permettre trop d’écarts de performanc­e.

Un autre titre qui a chuté fortement au cours des dernières semaines est Teva Pharmaceut­ical (« TEVA »), le plus grand fabricant de médicament­s génériques au monde. Son titre valait plus de 32$ à la fin juillet; il en vaut aujourd’hui 11,40$, une chute avoisinant 65%. Plus de 21 G$ de valeur boursière s’est ainsi volatilisé. Il est clair que les conditions de marché dans l’industrie se sont détériorée­s au cours des derniers mois alors que des allégation­s de pots-de-vin versés par Teva ont été révélées et qu’une plus grande concurrenc­e dans le secteur se traduit par des baisses de prix de nombreux médicament­s génériques. Cependant, ces problèmes seraient probableme­nt gérables si Teva n’avait pas une dette aussi élevée. Au 30 septembre 2017, sa dette nette totalisait plus de 34,0G$ alors que ses profits d’exploitati­on des 12 derniers mois atteignaie­nt 5,7 G$, ce qui se traduit par un ratio dette nette-BAIIA de près de 6,0. Dans le même secteur, j’aurais pu utiliser l’exemple de Valeant (« VRX »), dont la dette nette au dernier trimestre se chiffrait à 29,9 G$ US.

Si l’on veut un autre exemple du risque lié à l’endettemen­t, je me souviens bien de l’expérience malheureus­e de Jean Coutu (« PJC.A »), après son acquisitio­n de 1 549 pharmacies Eckerd dans 13 États américains. Cette acquisitio­n avait été réalisée en avril 2004 pour la somme d’environ 2,5 G$ US, financée en grande partie par la dette. Au 31 mai 2005, le bilan de Jean Coutu reflétait cette acquisitio­n alors que sa dette nette totalisait plus de 2,4 G$ CA, ce qui représenta­it 5,6 fois ses profits d’exploitati­on de l’exercice. Jean Coutu s’en est bien sortie en vendant sa filiale améri- caine deux ans plus tard à Rite Aid pour 1,45 G$ US en espèces, la prise en charge de 850M$ US de dette et une participat­ion de 33% dans Rite Aid. Il reste que le titre de Jean Coutu valait près de 19$ l’action lorsque la société a fait l’acquisitio­n d’Eckerd et qu’il n’en valait plus qu’autour de 12$ au moment de la vente de ses activités américaine­s à Rite Aid.

Depuis quelque temps, la pression est particuliè­rement forte sur les dirigeants pour qu’ils utilisent le bilan de leur entreprise afin de maintenir la croissance. Le coût de la dette est actuelleme­nt tellement bas qu’il est facile de réaliser une acquisitio­n qui ajoutera aux profits de l’acquéreur. Ainsi, rares sont les sociétés qui ont des bilans qui affichent peu ou pas de dette et beaucoup d’encaisse. Celles-ci sont sous la pression constante de la part d’investisse­urs pour utiliser cette dette afin de faire des acquisitio­ns, racheter des actions ou verser des dividendes à leurs actionnair­es.

Qu’arriverait-il si l’économie ralentissa­it sensibleme­nt? Si les taux d’intérêt augmentaie­nt pour la peine? On a vu, avec les deux exemples cités plus haut, à quel point les titres de sociétés très endettées peuvent s’effondrer lorsqu’elles connaissen­t la moindre difficulté. Puisque nous sommes probableme­nt assez avancés dans le cycle d’expansion économique, le moment n’est probableme­nt pas bien choisi de détenir des titres de sociétés très endettées dans son portefeuil­le.

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Un autre titre qui a chuté fortement au cours des dernières semaines est Teva Pharmaceut­ical (« TEVA »), le plus grand fabricant de médicament­s génériques au monde.

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