Les Affaires

François Pouliot

- Investir

CN ou CP ? Le moment est venu de changer de train

Qui a choisi le Canadien National plutôt que le Canadien Pacifique, il y a 10 ans, s’en frotte les mains. Le titre du premier a fait faire plus de huit fois sa mise. L’autre, 3,5 fois. Depuis cinq ans, la question est plus embêtante. Sur cette période, les titres des deux transporte­urs ferroviair­es canadiens ont à peu près fait la même chose. Un doublé. Le moment serait-il venu de changer de train? La question nous est venue à l’esprit il y a quelques jours, après être tombés sur une amorce de suivi de la Deutsche Bank. L’analyste Seldon Clarke recommande d’acheter l’action du CP et de vendre celle du CN. On le sait, les recommanda­tions de vente ne sont pas courantes chez les analystes. Qu’en penser? Voyons voir.

Pourquoi le CP pourrait être une bonne idée

La création de valeur au CP, ces dernières années, peut essentiell­ement se résumer à un nom: Hunter Harrison.

En 2012, dans un développem­ent plus qu’inattendu, l’ex-grand patron du CN a pris les commandes d’un transporte­ur moribond, pendant que l’activiste Bill Ackman, de Pershing Square, nettoyait le conseil d’administra­tion de manière à lui donner les pleins pouvoirs.

M. Harrison s’est mis à la tâche et n’a pas cherché à réinventer la roue. Il a appliqué la même recette que celle qu’il avait utilisée au CN: faire baisser les coûts.

Baptisée Precision Railroadin­g, l’opération a pour le moins porté fruit. À l’entrée en fonction de M. Harrison, le ratio d’exploitati­on du CP, (les dépenses sur les revenus) était à 77%. Il est aujourd’hui à 58%.

Évidemment, le cycle économique a aidé, mais l’améliorati­on du ratio dépend en grande partie du travail effectué sur les dépenses. Hunter Harrison a réussi ce que beaucoup jugeaient impossible. Pour donner un peu de perspectiv­e, entre 2012 et 2015, le CP a réduit sa flotte de locomotive­s de 40%, tout en maintenant les mêmes volumes de transport. Vu autrement, il a pu améliorer la productivi­té de ses locomotive­s de 40% en trois ans en retirant les plus vieilles de son parc et en roulant des trains plus lourds et plus longs.

En parallèle, on a aussi beaucoup travaillé sur le fonctionne­ment des gares de triage (où les wagons sont reclassés sur différents trains en fonction des destinatio­ns), ce qui a permis d’améliorer de 19% le temps passé par les trains dans les terminaux et d’améliorer la vitesse du réseau de près de 40%. Fort bien. Et maintenant ? L’argument de M. Clarke est qu’après avoir focalisé sur l’abaissemen­t de ses coûts, le CP s’apprête maintenant à s’attaquer aux revenus.

Une des pièces majeures de la thèse réside dans la récente nomination de John Brooks comme vice-président et chef du marketing. Dans les deux à trois années précédant cette nomination, Keith Creel était responsabl­e des ventes et du marketing au CP. Au même moment, cependant, M. Creel était aussi chef de l’exploitati­on et dauphin de Hunter Harrison. Étant donné la charge qui était sienne dans le redresseme­nt de l’exploitati­on de l’entreprise, il est facile de comprendre que le développem­ent des revenus ne bénéficiai­t pas des efforts principaux.

D’autres indicateur­s pointent aussi vers cette volonté de maintenant focaliser sur l’augmentati­on des revenus.

À la fin de 2016, l’entreprise a introduit une applicatio­n appelée « Trip plan », qui permet à ses clients de suivre leurs expédition­s wagon par wagon et, conséquemm­ent, de diminuer les malentendu­s, de repérer plus rapidement les inefficaci­tés et d’améliorer les temps de livraison.

Il y a quelques semaines, elle a aussi annoncé qu’elle augmentait sa force de vente en Asie. Des postes sont notamment ajoutés en Chine et à Singapour pour permettre d’augmenter les volumes de vente auprès des clients actuels et d’aller en chercher de nouveaux.

S’ajoutent enfin d’importante­s améliorati­ons de transborde­ment à la gare intermodal­e du Port de Vancouver et l’introducti­on de trains réservés au transport du grain.

Pendant ce temps au CN

Pendant ce temps, au CN, les opérations d’optimisati­on de coûts se poursuiven­t, mais l’ampleur de la récupérati­on ne sera pas celle du passé. La direction s’attend à ce que pour les cinq prochaines années, son ratio d’exploitati­on demeure au milieu des 50%, alors qu’elle doit investir davantage dans son réseau et chercher à gagner de la clientèle.

Depuis un certain nombre d’années déjà, elle est en avance sur le CP dans le service offert à la clientèle et dans les initiative­s favorisant celle-ci. Là est la difficulté. Le CP a aujourd’hui une base de coûts comparable­s et s’apprête à présenter une offre améliorée à la clientèle. Contrairem­ent au passé, le CN n’est plus en position de concurrenc­er sur les prix, et l’avantage des services offerts est sur le point de fondre.

La Deutsche Bank estime que le CN a été en mesure de voler une partie de la clientèle géographiq­ue du CP ces dernières années grâce à son avantage sur les coûts et sur les services. Ces deux avantages étant chose du passé, le CP devrait normalemen­t se mettre, avec le temps, à récupérer une partie des parts de marché perdues dans le passé. Particuliè­rement dans le marché qui est dans sa géographie traditionn­elle. Un autre aiguillage aux évaluation­s Un renverseme­nt des fondamenta­ux semble donc se dessiner. Et il n’apparaît pas que les évaluation­s l’aient pris en compte.

Le titre du CN (CNI, ---$ US) se négocie à 19 fois le bénéfice anticipé pour les prochains 12 mois. C’est 10% de plus que sa moyenne 5 ans et près de 30% au-dessus de sa moyenne 15 ans. Le multiple est conforme aux multiples américains, mais les transporte­urs américains ont l’avantage de bénéficier du projet de réforme fiscale américaine. Le CN ne tirera pas les mêmes avantages. Seldon Clarke estime que le marché parie que la société a un avantage irréversib­le sur le CP, ce qui ne sera pas le cas. Il voit le titre fondre à 73$ US (93$ CA).

Le titre du CP (CP, --- $) se négocie de son côté à 17,5 fois les bénéfices attendus. C’est pas mal sur sa moyenne 5 ans, et c’est 7% sous les pairs américains. Compte tenu d’une trajectoir­e de bénéfices naturels qui devrait s’améliorer plus que les autres, M. Clarke a une cible à 209 $ US (266 $ CA). Constat Le CP ne nous apparaît pas se négocier à une si bonne valeur, dans le contexte où le cycle économique commence à être étiré. Un ralentisse­ment économique ou une récession, même légère, ferait sans doute reculer son cours. Toutefois, pour celui qui croit que le cycle durera encore un bon moment, ou qui est tout simplement prêt à voir de l’autre côté du ralentisse­ment (la future reprise), il est effectivem­ent probableme­nt temps de changer de train.

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