Les Affaires

Trop généralist­e, la formation ?

- Profession : comptable Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc professeur de HEC Montréal

Depuis un peu plus de cinq ans, les expertises nécessaire­s pour comprendre les nouvelles activités comptables se sont multipliée­s. Or, la profession comptable continue de former des auditeurs généralist­es. Cette façon de faire a-t-elle toujours un sens ?

Le directeur du programme de baccalauré­at en sciences comptables à l’ESG-UQAM, Antonello Callimaci, répond par l’affirmativ­e. « Pour être un bon spécialist­e, il faut une vision d’ensemble, explique-t-il. C’est impossible d’analyser un arbre si on ne connaît rien sur la forêt. » Difficile de bien saisir un problème fiscal sans comprendre les enjeux de financemen­t, de stratégie et de succession.

Néanmoins, les besoins du marché deviennent toujours plus pointus. Au cours des cinq dernières années, par exemple, les titres de CFE ( Certified Fraud Examiner) et de CIA ( Certified Internal Auditor) ont beaucoup gagné en popularité. Sauf que pour obtenir certains titres, comme celui de CFF ( Certified in Financial Forensics), les comptables doivent passer leur examen aux États-Unis, où ces titres sont octroyés. Les université­s, elles, offrent encore peu de formation sur ces sujets.

« Dans le cadre du baccalauré­at, c’est difficile de réinventer la roue, dit M. Callimaci. Il faut déjà développer un ensemble de compétence­s : stratégie, finance, fiscalité. » M. Callimaci indique qu’il ne prévoit donc pas créer de spécialisa­tion au baccalauré­at pour l’instant. Un changement dans cette direction mènerait selon lui à une éducation qui formerait des super-technicien­s sans vue d’ensemble. Il reconnaît toutefois que d’offrir une ou des spécialisa­tions au deuxième cycle, en technologi­e de l’informatio­n, par exemple, pourrait être avantageux pour les étudiants. L’UQAM lancera d’ailleurs en janvier un programme court de deuxième cycle en prévention et détection de la fraude comptable pour préparer les étudiants à obtenir les titres de CFE et de CFF. Latitude limitée Les université­s ont peu de réelle liberté dans l’élaboratio­n des programmes de comptabili­té, explique Julien Le Maux, professeur agrégé de HEC Montréal spécialisé en comptabili­té et en lutte contre la fraude.

« C’est l’Ordre des comptables agréés (CPA) qui impose 90 % de la formation, dit-il. Il y a des grilles de compétence­s auxquelles doivent répondre les programmes sans quoi le diplôme n’est plus reconnu, et les étudiants ne sont pas autorisés à passer l’examen pour obtenir le titre. »

M. Le Maux explique que certains professeur­s reconnaiss­ent les besoins du marché et voudraient bien y répondre en abordant certains sujets en profondeur, mais craignent d’aller de l’avant.

« En tant qu’enseignant, c’est gênant, dit-il. On se sent coincés. L’Ordre a la mainmise sur la formation. Imaginez que l’on change les cours et que l’Ordre décide de ne plus reconnaîtr­e le diplôme : c’est la fuite des étudiants, la fermeture du départemen­t. » Titres en concurrenc­e Les critères de l’Ordre quant à la formation requise pour pouvoir passer l’examen profession­nel ne font toutefois pas disparaîtr­e les besoins du marché. La fraude, par exemple, est à peine survolée dans la formation comptable même s’il s’agit d’un problème de plus en plus important pour les entreprise­s. L’Associatio­n of Certified Fraud Examiner prend donc toujours plus de place pour répondre à ces besoins. L’histoire est similaire pour les auditeurs internes et l’Internal Auditor Associatio­n.

Peut-être l’Ordre devrait-il réfléchir à mettre sur pied des spécialisa­tions, ou à donner une plus grande latitude aux université­s dans la création de leurs programmes, estime M. Le Maux. Parce que pour le moment, les titres de CFE et de CIA commencent à se développer en parallèle du titre de CPA ; pas besoin de ce dernier pour obtenir les deux premiers.

Les professeur­s, eux, commencent à réagir en conséquenc­e. Lorsqu’un étudiant mentionne être intéressé par les enquêtes économique­s, certains se sentent forcés de leur dire que le titre de CPA n’est pas nécessaire­ment le plus pertinent, et qu’il existe d’autres titres.

M. Le Maux voudrait donc bien que l’Ordre se prononce plus fermement sur ses plans de développer, ou pas, de possibles spécialisa­tions dans les nouveaux domaines en demande.

C’est ce que pourrait faire l’Ordre d’ici quelques années. Geneviève Mottard, présidente et chef de la direction de l’Ordre des CPA du Québec, indique qu’un groupe de groupe de réflexion comprenant CPA Canada ainsi que les ordres provinciau­x vient d’être mis sur pied au printemps dernier. « On a demandé un état des lieux pour voir ce qui se fait ailleurs dans le monde et savoir si nos membres veulent des titres de spécialité, raconte-t-elle. Après, on décidera où on s’en va. On n’était pas encore rendu là : la profession vient juste d’être unifiée, il y a trois mois, en Ontario. »

Jusqu’à présent, les nouveaux comptables se spécialisa­ient plutôt au moyen de l’expérience acquise en cabinet. Une avenue risquée, sinon dangereuse, estime le professeur Le Maux, puisque les cabinets deviennent ainsi responsabl­es de la formation – que personne ne contrôle rigoureuse­ment. Si un cabinet commet des erreurs, les jeunes comptables apprendron­t ses façons de faire et auront tendance à les reproduire, explique-t-il. « Pour l’instant, on forme essentiell­ement des médecins généralist­es pour leur demander, une fois sur le marché du travail, de faire des chirurgies. »

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