Les Affaires

CINQ EXPATRIÉS QUI SE SONT LANCÉS EN AFFAIRES AU QUÉBEC

- Matthieu Charest matthieu.charest@tc.tc @MatthieuCh­arest

Selon l’indice entreprene­urial 2016 du Réseau M, 17,5 % des immigrants ont déjà entamé des démarches entreprene­uriales, contre 9,8 % de la population en générale. Pourquoi les immigrants se lancent-il en affaires ? Quelles sont les différence­s qu’ils ont remarquées entre leur terre d’accueil et leur terre natale ? Nous avons pris le pouls de cinq expatriés de partout dans le monde, devenus entreprene­urs au Québec.

Marie-Gabrielle Ayoub

Pays d’origine : France Née à : Sucy-en-Brie (près de Paris) Âge : 40 ans

Née en région parisienne, Marie-Gabrielle Ayoub effectue un échange scolaire à Bristol, au Royaume-Uni, afin d’apprendre l’anglais. Plus tard, elle part travailler à Los Angeles et dans la Silicon Valley avec son conjoint, avant de retourner en France. Sitôt rentrés, ils ne cessent de penser à repartir à l’aventure. Elle obtient un PVT (permis vacances-travail) et se prépare à partir pour le Québec. Elle débarque en octobre 2004, et c’est le coup de foudre. « C’est extraordin­aire à quel point les gens savent accueillir. Ici, j’ai découvert ce qu’était la bienveilla­nce. Les gens me semblent plus heureux, plus avenants, plus souriants. » Cela posé, elle reconnaît qu’il est plus difficile de se faire des amis québécois, car il est très complexe de tisser des liens serrés. Pour s’intégrer, pas de recette miracle. « Il faut sortir, joindre des groupes, s’adonner à des activités. Au Québec, l’importance de bâtir et d’entretenir ton réseau, c’est capital. » Sur le plan profession­nel, cependant, elle trouve que la hiérarchie est beaucoup moins présente qu’en France. « Les gens veulent t’aider. Ça te donne envie de te dépasser. » Elle travaille près de 10 ans en communicat­ions à l’Institut Douglas, avant de se lancer en affaires. Avec son frère Antoine, elle importe d’Europe le concept du Wagon, une école de formation intensive de programmat­ion informatiq­ue. « C’est le Québec qui m’a donné l’envie et l’impulsion d’entreprend­re. Ici, si tu échoues, ce n’est pas la fin du monde. Tu te relèves et tu réessayes. » Le concept de conciliati­on travail-famille, qu’elle trouve très avancé ici, rend possible le fait d’entreprend­re, croit-elle. Je travaille beaucoup, oui, mais j’ai le temps de m’occuper de mes deux enfants, car je peux quitter le travail à 17h sans me faire juger. »

neure. Quand je me suis sentie bien intégrée, notamment grâce à un programme de francisati­on à l’UQAM, j’ai fait le saut. » Loin de son pays, de sa famille, de sa culture, sa présence ici doit en valoir la peine, pense-t-elle. Elle quitte Ingrid Agbato quitte son Bénin natal à 26 ans pour poursuivre ses études scientifiq­ues au Québec, pendant deux ans, tout au plus, pense-t-elle alors. À l’Université de Montréal, elle étudie à la maîtrise, puis au doctorat, en sciences biomédical­es. Cependant, son directeur de recherche perd les fonds octroyés à son laboratoir­e et n’a plus le temps ni les ressources pour corriger sa thèse. S’ensuit une période de vide dans son parcours. « J’avais soudaineme­nt beaucoup de temps. Je me sentais désoeuvrée. Alors, je me suis dit que je ne pouvais pas rester là, dans l’attente. Je devais essayer autre chose. » Petit à petit, elle se met à concevoir des vêtements et des articles de mode, pour passer le temps et habiller sa fille. Autour d’elle, cependant, la demande pour ses produits grandit. Elle se met donc à bâtir son entreprise, Coo-Mon, qui conçoit et distribue des articles de mode inspirés de tous les continents. « Je n’avais rien à perdre, dit-elle. Si je reculais, je fonçais dans un mur. J’ai donc suivi une formation de démarrage d’entreprise au SAJE et j’ai foncé. » Ces cours et ces formations lui ont aussi permis d’interagir, d’échanger avec d’autres et d’enri- chir ses idées. « Au Bénin, les gens gardent leurs attentes et leurs projets pour eux. Ici, il faut parler de ses buts au plus grand nombre possible, tu ne sais jamais qui pourra t’aider. » Au Québec, elle déplore que trop souvent, l’aide aux entreprene­urs soit souvent destinée aux jeunes seulement. « Pourtant, plusieurs personnes veulent se lancer en affaires pour la suite de leur carrière. » Le Québec est aussi trop frileux quant au goût du risque, qu’elle trouve plus développé dans le reste de l’Amérique du Nord, ou même en Afrique, bien que ce soit souvent par nécessité. Le rapport à l’argent est aussi « très tabou ici », s’étonne-telle. Au final, toutefois, « j’ai appris à cesser de comparer les cultures du Bénin et du Québec. Ce sont deux codes différents et c’est bien comme ça. Comme immigrante, tu dois faire un effort pour aller à la rencontre de l’autre, le saluer. C’est trop facile de s’isoler». Fan « fini » de la musique québécoise, notamment des Cowboys Fringants et des Colocs, Renaud Margairaz participe à un échange étudiant à HEC Montréal en 2008. « Je ne savais pas du tout dans quoi je m’embarquais! » Très vite, il est frappé par les différence­s culturelle­s. « D’abord, j’étais très surpris que mon prof se mette à me tutoyer, et puis la culture entreprene­uriale m’a épaté. J’ai l’impression qu’ici, c’est valorisé de prendre des risques. Au pire, ça ne fonctionne pas; le monde ne s’arrêtera pas de tourner. Et puis, en Suisse, pourquoi prendrais-tu des risques alors que si tu as fait les bonnes écoles, tu peux devenir cadre chez Nestlé pour un salaire dans les six chiffres? » Il quitte le Québec après son échange universita­ire, termine sa scolarité et part travailler en Asie et au Mexique. Il retient cependant du Québec l’idée d’une terre où tout est possible. Son réseau y est déjà développé, et il sent qu’il pourra y atteindre son plein potentiel : il choisit d’y revenir en 2014 après avoir obtenu un visa de travail. En quelques semaines, il obtient un emploi dans une boîte spécialisé­e dans les stratégies de marque. Au sein de cette entreprise, il développe sa propre offre, une firme de stratégie de marque personnell­e. Au fil du temps, il crée sa propre entreprise, Panache, qui se spécialise dans le développem­ent de l’image de marque des personnes, et non des objets ou de grandes marques. « Le branding personnel, ça intéresse beaucoup les NordAméric­ains, alors qu’en Suisse, on n’aime pas trop les têtes qui dépassent. Et puis, c’est très simple de démarrer une entreprise ici. J’ai communiqué avec un petit cabinet d’avocats, et quelques heures et quelques centaines de dollars plus tard, j’avais mon entreprise. En Suisse, ça prend des milliers de francs simplement pour ouvrir un compte bancaire. » Autre « choc culturel », les relations interperso­nnelles. « Les gens sont très faciles d’accès ici, dit-il, ils t’accueillen­t les bras ouverts, mais ça prend dix ans avant qu’ils ne les referment. C’est très difficile de te faire de vrais amis. Aussi, les gens évitent de te confronter, ils ne veulent pas te dire “non” même si ça ne les intéresse pas. Ça fait en sorte que c’est très complexe de jauger ton offre et la valeur de ton entreprise. »

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