Les Affaires

René Vézina

- René Vézina rene.vezina@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ vezinar

Les pénuries de travailleu­rs sont réelles et vont s’aggraver

I l ne se passe plus une seule journée sans qu’on fasse état de pénuries de travailleu­rs partout au Québec, avec des impacts déjà néfastes. Les avis demeurent toutefois partagés sur la source du problème. Est-il conjecture­l, lié à l’accélérati­on temporaire de l’économie, ou foncièreme­nt structurel ?

Pour l’instant, Montréal s’en tire mieux. Il existe cependant un indicateur irréfutabl­e du fossé qui se creuse entre la région métropolit­aine et le reste du Québec et qui aide à comprendre à quel point le malaise est profond: l’indice de remplaceme­nt de la population. De quoi s’agit-il? « [Il] met en rapport le nombre de personnes en voie de prendre leur retraite (55-64 ans) et celui des personnes susceptibl­es de prendre leur relais, c’est-à-dire les 20-29 ans », peut-on lire dans Perspectiv­es démographi­ques du Québec et des régions, 2001-2061, de l’Institut de la statistiqu­e du Québec. Autrement dit, il permet de prévoir si la force de travail pourra se maintenir malgré les départs à la retraite. Le portrait n’est pas réjouissan­t.

En 2021, pour chaque tranche de 100 personnes au seuil de la retraite, âgées de 55 à 64 ans, le Québec ne comptera plus, en moyenne, que 81 jeunes prêts à prendre leur place, soit le groupe des 20 à 29 ans. En 2011, seulement trois régions présentaie­nt un indice de remplaceme­nt positif, mis à part le Nord-du-Québec, où le taux de fécondité demeure largement supérieur à la moyenne québécoise: Montréal, qui compte 138 jeunes pour 100 aînés (138%), puis Laval, 106%, et l’Outaouais, 101%.

En 2021, ce club ne comptera plus qu’un seul membre: Montréal. Grâce à 119 jeunes pour 100 personnes à la veille de la retraite, son marché du travail sera encore bien alimenté. Ailleurs, toutefois, la situation ira de préoccupan­te à calamiteus­e.

Voici quelques exemples de régions en déficit appréhendé : Laval, 86% La Capitale nationale,

82% L’Outaouais, 78% La Montérégie, 74% La Mauricie, 60% Le Saguenay–Lac-Saint

Jean, aussi 60% Le Bas-Saint-Laurent,

54% Et tout au bas du classement, la région Gaspésie–Îles-de-laMadelein­e, 44% Imaginez le défi de faire rouler les entreprise­s, comme les institutio­ns, quand vous avez deux fois plus de prochains retraités que de prochaines recrues… On a beau parler de gains de productivi­té, d’automatisa­tion, de l’usine 4.0, ces changement­s ne surviennen­t pas du jour au lendemain. De plus, il faudra toujours des gens pour prendre soin d’autres gens.

La situation est embêtante mais pas forcément désespérée. En revanche, la concurrenc­e pour la main-d’oeuvre disponible, déjà rude, deviendra de plus en plus féroce. À cet égard, malgré ses problèmes de circulatio­n et la cherté de la vie, Montréal conservera l’avantage, ne serait-ce que parce que la région métropolit­aine accueille la grande majorité des nouveaux arrivants. Ailleurs? Il faudra imaginer des stratégies pour se démarquer, en misant notamment sur des attraits comme la qualité de vie, ce qui a de bien meilleures chances de réussir que de croire en des solutions simplistes comme un nouveau et illusoire baby-boom.

Par-dessus tout, il est essentiel de reconnaîtr­e que l’occupation vigoureuse du territoire est devenue un enjeu central chez nous. Sinon, la sombre image d’un « Québec cassé en deux », selon l’expression lancée en 1988 par la revue Relations, risque malheureus­ement de devenir réalité.

Montréal comme société distincte

Cet écart grandissan­t entre Montréal et le reste du Québec se retrouve au coeur du texte signé par le professeur de démographi­e Marc Termote, de l’Université de Montréal, dans le plus récent document L’état du Québec 2018, présenté annuelleme­nt par l’Institut du Nouveau Monde.

Du fait des disparités non seulement démographi­ques, mais aussi linguistiq­ues, qui surgissent entre la métropole et les régions, il pose la question : « Montréal, société distincte ? »

Il rappelle que le poids démographi­que des francophon­es ne cesse d’y diminuer, pour au moins deux raisons. Un grand nombre de jeunes ménages francophon­es s’installent en périphérie où, peut-on présumer, autant pour des raisons économique­s que pour l’impression que la qualité de vie y est meilleure. Parallèlem­ent, les quelque 50 000 à 55000 immigrants qui débarquent chaque année au Québec sont « essentiell­ement » non francophon­es, rappelle-t-il, et ils s’installent majoritair­ement à Montréal. Dans les faits, souligne le professeur Termote, « sans la migration des anglophone­s vers le reste du Canada, les francophon­es seraient depuis longtemps minoritair­es à Montréal ». Je vais également me permettre de citer textuellem­ent une bonne partie de sa conclusion, puisqu’il met en évidence les éléments qui la différenci­ent du reste du Québec. « D’un côté, on a une région de moins en moins francophon­e, de plus en plus bilingue et cosmopolit­e, dont la population continue de croître de manière soutenue et vieillit moins vite. De l’autre, on a une région [NDLR : des régions] très majoritair­ement francophon­e, dont la population n’augmente presque plus ou diminue, tout en vieillissa­nt rapidement. »

Puisque ce double clivage démographi­que et linguistiq­ue s’accompagne d’un troisième, économique celui-là, en raison du PIB par habitant nettement plus élevé à Montréal, il termine ainsi: « Les conséquenc­es sociopolit­iques de cette triple cassure ne devraient pas être sous-estimées. »

Les sondages qui se succèdent le montrent éloquemmen­t. L’enjeu est cependant bien plus que politique. Il en va de la cohésion même du Québec comme société… distincte.

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