Les Affaires

LE NETFLIX DU CINÉMA EST VOUÉ À L’ÉCHEC

- Yannick Clérouin Pierre-Olivier Langevin redactionl­esaffaires@tc.tc

Vu le succès phénoménal remporté par Netflix, il pourrait être tentant de se laisser séduire par une entreprise qui promet à son tour de révolution­ner l’industrie du cinéma. Même si le scénario présenté par MoviePass est à première vue accrocheur, il lui manque un ingrédient essentiel pour devenir un véritable blockbuste­r en Bourse: l’intérêt de l’actionnair­e.

Cinéma maison, Netflix, explosion du contenu en ligne…, l’industrie du cinéma lutte pour maintenir sa croissance depuis deux décennies. Si on fait abstractio­n de la hausse des prix des billets, elle est même en déclin depuis plusieurs années. Afin de ramener les cinéphiles en salle, les propriétai­res de cinémas doivent trouver une nouvelle formule gagnante.

L’entrée en scène de MoviePass ravive les espoirs. Ce service, propulsé par une applicatio­n mobile, propose un abonnement mensuel qui permet de voir un film par jour. Neuf cinémas américains sur dix l’acceptent.

MoviePass été lancée en 2011 aux États-Unis, mais c’est depuis qu’elle a baissé son tarif à 9,95$ par mois (tous les montants sont en dollars américains) en août dernier qu’elle a décollé. Le nombre d’abonnés est passé de 20000 à plus de 3 millions en moins d’un an. Il pourrait atteindre 5 millions à la fin de l’année et tripler d’ici 2022, selon des observateu­rs.

Une croissance explosive de nature à inciter bien des investisse­urs à faire des rapprochem­ents avec Netflix. Pas sans raison. Un des principaux acteurs de ce concept, Mitch Lowe, a cofondé, en 1998, l’entreprise qui domine l’univers mondial du divertisse­ment en ligne.

MoviePass achète pour le compte de ses abonnés 6,1% de tous les billets vendus annuelleme­nt au box-office américain. Malgré son ascension rapide et sa promesse de donner un nouveau souffle à l’industrie du cinéma, elle a selon nous de minces chances de connaître un succès durable.

Un modèle qui ne tient pas la route

Le service repose sur un modèle d’affaires qui ne tient pas la route dans sa forme actuelle. Si son offre est un rêve pour les amateurs du grand écran, c’est tout le contraire pour les actionnair­es de Helios and Matheson Analytics (HMNY, 0,11$ US), qui financent sa croissance.

Cette dernière, une entreprise spécialisé­e en intelligen­ce artificiel­le et dans l’analyse de bases de données, est devenue actionnair­e majoritair­e de MoviePass en décembre dernier.

Ses dirigeants ont depuis multiplié les initiative­s pour gonfler la masse critique d’utilisateu­rs de MoviePass. Leur pari : plus le service comptera de membres, plus grand sera son pouvoir auprès des salles de cinéma pour négocier des billets au rabais.

Pour l’heure, MoviePass débourse dans la majorité des cas le plein prix des billets aux Cineplex de ce monde. Une équation nettement déficitair­e. Elle tire un revenu d’abonnement de 9,95$ par mois, alors que les chaînes de cinéma comme Regal Entertainm­ent facturent en moyenne 10,20$ par représenta­tion. MoviePass a même abaissé son tarif mensuel à 6,95$ dans le cadre d’une récente offre promotionn­elle.

Or, comme le membre moyen fréquente les salles 1,7 fois par mois, il en coûte mensuellem­ent 17,40$ par abonné à l’entreprise, sans compter les frais d’exploitati­on, les dépenses de marketing, etc. Résultat, Helios & Matheson a encaissé une perte d’exploitati­on de 108 M$ sur des revenus de 47 M$ au premier trimestre de 2018. Sa situation financière est par ailleurs fragile. Elle détient 42,5 M$ US d’encaisse et sa valeur boursière est d’à peine 48 M$, après avoir fondu de 97% cette année.

Une course contre la montre

Les vérificate­urs indépendan­ts de l’entreprise et les médias ont beau avoir exprimé des doutes quant à sa viabilité, Helios & Matheson assure avoir les moyens financiers pour devenir la prochaine Uber ou Airbnb.

MoviePass est engagée dans une véritable course contre la montre. Au rythme où elle consomme des liquidités, elle est vulnérable à tout scénario imprévu, propre à son industrie, ou à un événement externe comme une récession.

La stratégie des dirigeants de grossir rapidement est loin d’être suffisante pour rentabilis­er MoviePass. Le service devra compter sur d’autres sources de revenus. Dans sa mire: des recettes auprès des distribute­urs de films et des salles de cinéma grâce à des publicités ciblées auprès des abonnés. Le service compte aussi sur des programmes de référencem­ent auprès de commerçant­s.

Le cinéma type investit au plus 0,50$ US de pub par billet vendu. Même si MoviePass obtenait la moitié de ce budget, elle n’épongerait pas ses pertes ainsi. Nous doutons aussi de la capacité des dirigeants de convaincre les grands studios d’Hollywood de partager leurs bénéfices.

À notre avis, MoviePass ne réussira pas à rentabilis­er ses activités sans altérer sa propositio­n de valeur d’offrir des forfaits mensuels illimités pour aussi peu que 7$ à 10$. Elle doit non seulement espérer que la lune de miel des nouveaux abonnés passe vite et qu’ils fréquenten­t un peu moins souvent les salles, mais aussi imposer des limites plus contraigna­ntes.

Au moment d’écrire ces lignes, MoviePass a justement annoncé qu’elle allait imposer des surcharges en fonction de la demande pour un film ou des périodes de pointe. En plus du forfait mensuel à 10$, les membres devront allonger entre 2$ et 6$ pour les longs métrages les plus populaires. Les abonnés pourront souscrire à un nouveau forfait pour éviter ces frais une fois par mois. Ces mesures risquent toutefois de miner sa croissance.

Un exemple de modèle gagnant

Contrairem­ent à Netflix, qui a bonifié son offre en créant des contenus novateurs et populaires, MoviePass compte encore seulement sur le prix attrayant de son abonnement pour créer de la valeur. Elle ne bénéficie pas d’économies d’échelle, a un pouvoir de négociatio­n limité et offre peu d’incitatifs à consommer d’autres produits sur sa plateforme.

MoviePass devrait s’inspirer de Costco Wholesale (COST, 214,00$ US)* pour faire pivoter son modèle d’affaires. MoviePass encourt une perte chaque fois que ses clients consomment. Costco, elle, réalise des revenus d’adhésion avant même que ses membres aient commencé à magasiner. Cette formule lui assure non seulement des revenus récurrents, mais aussi une grande rentabilit­é, qui lui permet en retour d’offrir des bas prix en magasin. Un modèle vertueux qui crée de la valeur à la fois pour les clients et pour les actionnair­es.

Il est très facile de créer de la valeur pour les clients avec une offre imbattable, mais nettement plus difficile d’en créer tout autant pour les actionnair­es. Or, la direction d’Helios & Matheson doit garder en tête que les actionnair­es sont un pilier tout aussi essentiel que les clients dans les fondations d’une entreprise à succès.

En conduite automobile, regarder dans le rétroviseu­r vous donne une bonne idée de votre environnem­ent routier et des dangers potentiels qui pourraient vous guetter. Dans la vie financière, regarder en arrière vous dit d’où vous venez et où vous en êtes. C’est très pratique pour corriger le tir si nécessaire. D’ailleurs, ceux qui sont un peu discipliné­s s’arrêtent, une fois par année, et font le point. Alors, après une année de réflexions sur des titres, moi aussi je veux m’évaluer pour voir où j’en suis.

Nous avons commencé ce jeu il y a à peu près une année. L’idée était de vous suggérer des idées et de vous laisser y réfléchir. Ne connaissan­t ni vos attributs financiers personnels ni votre degré de tolérance au risque, personne ne peut vous conseiller quoi que ce soit. C’est à vous, qui connaissez votre personnali­té et situation, de faire votre travail.

En ce qui me concerne, à mon âge respectabl­e, je cherche un revenu relativeme­nt stable et une croissance à long terme.

Avec Nestlé, China Mobile et la banque Mitsubishi, je n’ai récolté que mes dividendes. La valeur de mon investisse­ment a diminué de 20% dans le cas de Nestlé, qui est en profonde restructur­ation, et de 15% dans le cas de China Mobile, alors qu’elle est restée relativeme­nt stable pour la banque Mitsubishi. J’aurais aimé avoir de meilleures performanc­es, mais je n’ai pas acheté ces titres pour un an. Alors j’attends, sachant que j’ai du solide dans le portefeuil­le.

J’ai cependant marqué de très bons points avec ce que je considère encore comme être des titres sous-évalués:

1.

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Afin de ramener les cinéphiles en salle, les propriétai­res de cinémas doivent trouver une nouvelle formule gagnante.
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Le PDG de MoviePass et cofondateu­r de Netflix, Mitch Lowe

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