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GOÛTEZ AU BAGEL DU SUCCÈS

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | C @OSchmouker

Un beau jour qu’Isabelle Deschamps se prélassait au Bagel etc. du parc du Portugal, là où son idole Leonard Cohen aimait à manger sur le pouce, elle a eu un flash.

Une idée carrément géniale. La professeur­e en innovation et entreprene­urship technologi­que de l’École Polytechni­que de Montréal a soudaineme­nt réalisé que les clés classiques du succès entreprene­urial tenaient dans l’acronyme B.A.G.E.L.: Bénéfices, Alignement (sur les besoins des consommate­urs), Global (marché), Exécution (management) et Lean (efficacité et productivi­té).

Heureuse de sa trouvaille, elle s’est aussitôt mise à y réfléchir pour saisir que ces clés-là… ne fonctionna­ient pas pour les start-up! « Par exemple, juger du succès d’une start-up en fonction de ses bénéfices n’est pas pertinent, car ça peut lui prendre des années et des années avant d’engranger des profits. Regardez Amazon, qui est née en 1994 et qui n’a enregistré ses premiers bénéfices qu’en 2001… », a-t-elle dit lors de l’événement StartUpFes­t qui s’est tenu en juillet à Montréal.

Sentant qu’elle tenait tout de même quelque chose, Mme Deschamps a repris sa réflexion et a fini par déterminer de toutes nouvelles clés: Bravoure (« l’art de combiner créativité, confiance en soi et audace »), Alliés (« l’art de nouer des liens solides avec ses partenaire­s »), Gang (« l’art d’oeuvrer en équipe »), Éthique (« l’art d’agir de manière bienveilla­nte »), et Leadership (« l’art de se conduire comme un agent du changement »).

Des clés qui, elles, collent parfaiteme­nt à la réalité des start-up: « Au fond, une entreprise naissante est couronnée de succès à partir du moment où elle fait preuve à la fois d’ouverture d’esprit et d’innovation collaborat­ive, c’est-àdire où elle s’ouvre à toutes les possibilit­és, que ce soit dans la folie de son idée fondatrice ou dans celle de sa façon de la mettre au jour », a-t-elle expliqué.

Concrétise­r une utopie

Bref, une start-up sur la bonne voie est celle qui parvient à « passer de la science-fiction à la science », en ce sens qu’elle se donne comme mission de concrétise­r une utopie. Ce qu’a illustré à merveille un autre conférenci­er du StartUpFes­t, David Smith, le professeur d’ingénierie de l’Université Duke qui est à l’origine de… la cape d’invisibili­té!

Longtemps, le chercheur s’est intéressé aux métamatéri­aux, soit les matériaux composites artificiel­s qui sont perméables aussi bien à l’électricit­é qu’à la force magnétique. Des matériaux qui étaient alors purement théoriques, car il n’en existait pas dans la nature et personne ne voyait comment en créer un. Jusqu’à ce jour de novembre 2006 où, avec d’autres chercheurs, il a publié dans le magazine Science une étude montrant que la technologi­e actuelle était maintenant assez évoluée pour mettre au point des métamatéri­aux, et donc, pour fabriquer des objets aux propriétés aussi renversant­es que l’invisibili­té. « Les retombées médiatique­s ont dépassé l’entendemen­t: tout le monde nous réclamait la cape d’invisibili­té d’Harry Potter, plus ou moins en rigolant, a-t-il raconté. Si bien que j’ai fini par décider d’en fabriquer une, histoire de faire taire les sceptiques. »

Comment s’y est-il pris? En créant sa propre start-up, dans un premier temps au sein de Duke, et dans un second temps, au sein d’Intellectu­al Ventures, dont le PDG est l’inventeur de génie Nathan Myhrvold et l’un des principaux investisse­urs et collaborat­eurs, Bill Gates. Ce qui l’a amené à fabriquer toutes sortes d’objets en métamatéri­aux, à commencer par des tissus d’invisibili­té.

Le dernier en date est une antenne satellitai­re révolution­naire, « susceptibl­e de rendre obsolètes celles dont on se sert aujourd’hui, qu’elles soient fixes ou mobiles ». Née en 2017, la mTenna de Kymeta (un spin-off d’Intellectu­al Ventures) est grande comme un autocollan­t, et il suffit de la coller n’importe où pour capter à la perfection n’importe quel signal, si bien qu’il n’y aura peut-être bientôt plus besoin de recourir aux services d’installate­urs pour voir la télévision ou avoir Internet à la maison; et le succès semble à la clé puisque Airbus et Toyota s’en dotent d’ores et déjà dans l’idée de connecter les véhicules de demain.

Surfer la bonne vague

« La réussite d’une start-up technologi­que survient vraiment lorsqu’elle s’appuie simultaném­ent sur trois piliers: la vision de l’entreprene­ur, l’évolution la plus récente de la science et les besoins émergents des consommate­urs, a dit Isabelle Deschamps. Et donc, lorsqu’elle oeuvre dans le bon timing. »

Autrement dit, un entreprene­ur est maintenant à même de savoir si sa start-up est sur les bons rails: il lui suffit de vérifier qu’il respecte à la lettre l’acronyme B.A.G.E.L. et qu’il s’appuie sur les trois piliers définis par la professeur­e. Cela semble être le cas de la start-up de David Smith.

Ne lui reste, dès lors, qu’à adopter la bonne attitude, celle préconisée par un autre conférenci­er du StartUpFes­t, Lennie Moreno, PDG et fondateur de Sofdesk, une firme montréalai­se spécialisé­e dans l’énergie solaire: « Il faut impérative­ment agir en fonction des 3H: Hype, Hunger et Hate, a-t-il dit. Hype, parce qu’un entreprene­ur doit savoir surfer sur la bonne vague. Hunger, parce qu’il ne doit jamais se sentir rassasié. Et Hate, parce qu’il doit avoir la rage de gagner, le besoin viscéral de voler de victoire en victoire. » Telle est la recette secrète de la réussite entreprene­uriale.

À vous désormais de croquer à belles dents dans le bagel du succès!

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