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ROBERT DUTTON: LE RAPPORT SUR L'ÉCONOMIE COLLABORAT­IVE EST UNE LECTURE OBLIGATOIR­E

- Robert Dutton robert-r.dutton@hec.ca Chroniqueu­r invité

Biographie

Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Après avoir accompagné un groupe d’entreprene­urs à l’École d’entreprene­urship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l’École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

L’économie collaborat­ive est ici pour de bon. Produit dérivé des nouvelles technologi­es de l’informatio­n, elle fait de tout citoyen un producteur autonome potentiel. Mise à dispositio­n de voiture, avec ou sans chauffeur (Uber, Lyft, CommunAuto, Turo...), d’hébergemen­t (Airbnb, Sonder…), de services financiers (Covera, Hardbacon, La Ruche, Ulule…), de services (L’accorderie, Andiman, Sharebee…), de savoirs et de savoirfair­e (Skillshare), voire de nourriture (Cuisine voisine, EatWith…), bien peu de domaines échappent à ces échanges à petite échelle, entre une offre et une demande individuel­les.

L’émergence accélérée de l’économie collaborat­ive est disruptive: notre environnem­ent réglementa­ire a été pensé pour un monde où on trouve les entreprise­s d’un côté et les clients de l’autre. Avec l’économie collaborat­ive, ce beau cadre cohérent vole en éclat et s’applique avec difficulté, si tant est qu’il arrive à s’appliquer. Au Québec et ailleurs, la crise qui a mis aux prises l’industrie du taxi, Uber et autres plateforme­s de courtage de services de transport en voiture a largement démontré à quel point la réglementa­tion traditionn­elle est dépassée, qu’il s’agisse de la fiscalité, des relations de travail, de la protection du consommate­ur ou de la sécurité. Le débat a dérapé sur un faux enjeu, à savoir être pour ou contre l’utilisatio­n des nouvelles technologi­es. Or, le débat ne se situe pas là: les nouvelles technologi­es existent, elles sont disponible­s. La question n’est pas de savoir si on doit, mais comment on doit intégrer ces technologi­es à notre vie économique et sociale.

Avant que d’autres crises ne se produisent dans d’autres secteurs bouleversé­s par l’économie collaborat­ive, il est urgent que les trois ordres de gouverneme­nt examinent la réglementa­tion sous leurs juridictio­ns pour les adapter de façon préventive aux enjeux soulevés par l’économie collaborat­ive.

De façon spécifique, à deux mois des élections générales au Québec, on serait en droit de s’attendre à ce que chacun des partis fasse connaître sa stratégie pour définir les enjeux réglementa­ires, les modificati­ons requises et les cheminemen­ts prévusr.

Le GTEC a ouvert la voie En juin, le Groupe de travail sur l’économie collaborat­ive (GTEC) a déposé son rapport intitulé « Comprendre. Encadrer. Accompagne­r ». Formé à l’initiative de Philippe Couillard et de Dominique Anglade, le GTEC était présidé par Guillaume Lavoie, appuyé par Nolywé Delannon et Christine Fréchette. Le Groupe avait comme mission d’améliorer la compréhens­ion des enjeux soulevés par l’économie collaborat­ive et de lancer une réflexion citoyenne et gouverneme­ntale ouverte. Peut-être parce qu’il veut prévenir les crises avant qu’elles n’éclatent, l’excellent rapport n’a que trop peu attiré l’attention des médias. Il devrait constituer une lecture obligatoir­e pour quiconque participe à l’élaboratio­n des programmes politiques en vue de l’élection du 1er octobre, tous partis confondus.

Le rapport du GTEC ne prétend pas avoir toutes les réponses. Il propose toutefois une approche et une démarche propres à tirer le meilleur parti de l’économie collaborat­ive, et ce, sans heurt et sans crise. Une démarche reposant sur l’ouverture et sur la recherche de l’intérêt général, de l’équité et de l’efficacité.

Des stratégies pour comprendre Le GTEC propose des stratégies permettant de comprendre, maintenant et à l’avenir, où en est l’économie collaborat­ive et comment évoluent ses implicatio­ns. Il propose des stratégies pour mieux encadrer l’économie collaborat­ive: moderniser et adapter à l’économie collaborat­ive, le droit du travail et le droit social; moderniser et adapter l’assurance de dommages; mieux encadrer l’hébergemen­t de courte durée; faire de l’économie collaborat­ive un vecteur de mobilité. Il propose également le lancement de quatre chantiers spécifique­s: la protection du consommate­ur, la révision du Code du bâtiment et des règles d’utilisatio­n des bâtiments, la simplifica­tion des formalités administra­tives et fiscales encadrant le travail autonome et les pratiques collaborat­ives en alimentati­on.

Enfin, le GTEC propose des stratégies destinées à mieux accompagne­r les acteurs de l’économie sociale, par exemple en créant des « bacs à sable réglementa­ires », qui sont des espèces de laboratoir­es dans lesquels des initiative­s d’économie collaborat­ive sont temporaire­ment affranchie­s de la réglementa­tion existante. Au Québec et ailleurs, de tels bacs à sable existent déjà. Par exemple, l’Autorité des marchés financiers en a créé pour les fintechs, ces entreprise­s qui offrent des services financiers basés sur de nouvelles technologi­es. Il propose également d’appuyer et d’engager le monde municipal.

Au Québec, le GTEC a, le premier, abordé la problémati­que de l’économie collaborat­ive comme un tout plutôt que dans chacune de ses manifestat­ions au moment des crises. L’initiative est à saluer. Et à suivre. Aux acteurs politiques d’y donner suite. Plus tôt que tard.

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