Les Affaires

Olivier Schmouker

- Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc Événements Les Affaires Chronique

À quand des écoles intelligen­tes ?

Les nouvelles technologi­es provoquent de grands changement­s dans bien des industries, y compris fort probableme­nt la vôtre. Comment rester au-devant de ces avancement­s? La meilleure façon d’y arriver est sans doute d’expériment­er, et pour ce faire, rien de mieux que de mettre sur pied un laboratoir­e.

Imaginez que vous venez d’apprendre l’existence de Microsoft Word, raconte Lise Estelle Brault, la directrice principale de l’encadremen­t des dérivés à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Et là, les gens vous en parlent, vous lisez des articles qui traitent du logiciel et vous assistez à des conférence­s d’experts sur le sujet. « C’est bien, mais à un moment donné, si vous voulez apprendre à vous servir du logiciel, vous arriverez à l’étape où vous devrez l’ouvrir vous-même sur votre ordinateur. »

C’est un peu la raison pour laquelle son organisati­on, l’AMF, a mis sur pied l’an dernier un laboratoir­e, le Laboratoir­e Fintech. Ses experts avaient beau lire, s’éduquer, rencontrer des gens et aller à des conférence­s sur les nouvelles technologi­es, ils ont réalisé à un certain moment qu’ils seraient incapables de bien les comprendre sans en faire l’expérience.

Sans comprendre les changement­s qui secouent l’industrie financière, l’AMF aurait bien de la difficulté à remplir sa mission d’encadremen­t des marchés financiers. « Pour bien réglemente­r un marché, il faut bien le connaître », explique Mme Brault, qui sera conférenci­ère le 19septembr­e à l’événement Gestion de l’innovation, organisé par le Groupe Les Affaires. Pour s’approprier les nouvelles technologi­es, le laboratoir­e a donc, par exemple, créé sa propre cryptomonn­aie.

Cette expérience a permis à l’AMF de lever le capot sur cette technologi­e et d’en donner une connaissan­ce pratique à ses spécialist­es en valeurs mobilières. L’organisati­on s’intéresse également beaucoup à la chaîne de blocs ( blockchain) et à l’intelligen­ce artificiel­le. Ultimement, l’objectif est d’acquérir son propre savoir de première main de sorte à mieux saisir les mythes, limitation­s et risques liés aux nouvelles technologi­es du milieu financier, explique Mme Brault. « Quand on inspecte une bourse, ou une structure de compensati­on qui utilise la chaîne de blocs, comment peut-on poser des questions pertinente­s si on ne sait pas comment elle fonctionne? »

Le savoir des jeunes

Les projets du laboratoir­e de l’AMF sont réalisés par des étudiants qui y font des stages de six mois. Leur travail est coordonné par une personne qui s’y affaire à temps plein. À cela viennent s’ajouter des experts de pointe par des partenaria­ts avec l’Institut de valorisati­on des données (IVADO), par exemple, qui se spécialise notamment en intelligen­ce artificiel­le. Le laboratoir­e collabore également avec la fintech new-yorkaise R3, spécialisé­e dans le développem­ent et l’applicatio­n de la technologi­e des chaînes de blocs.

Qui pourrait profiter de la mise sur pied d’un laboratoir­e comme celui de l’AMF? N’importe quelle organisati­on qui voit son modèle d’affaires évoluer en raison des nouvelles technologi­es, répond Mme Brault. Une firme devrait toutefois avant tout savoir quel problème elle veut régler.

« Créer un lab qui expériment­era avec des nouvelles technologi­es dans le vide, ça ne risque pas de donner de bons résultats », dit-elle. Il faut donc d’abord avoir des problèmes et des objectifs concrets sur lesquels travailler.

Nouvelles technos, nouvelle culture

Les nouvelles technologi­es influent aussi sur les médias. Radio-Canada veut réussir sa transforma­tion numérique, et son laboratoir­e, le RC Lab, y contribue. Celui-ci vise entre autres à permettre au diffuseur public de trouver des façons d’intégrer les innovation­s émergentes à ses façons de faire. Il permet aussi de catalyser le changement culturel qui accompagne l’arrivée de nouveaux outils technologi­ques.

L’accélérate­ur d’idées, par exemple, est une plateforme du RC Lab dont l’objectif est de récolter les idées des employés – des idées qui doivent proposer une solution à caractère numérique ou technologi­que à un problème constaté – pour ensuite développer les meilleures. Les projets actuels vont par exemple d’un outil d’analyse dynamique des sentiments des utilisateu­rs à une extension Chrome qui analyse et vulgarise les contenus pour les rendre plus accessible­s.

Maxime St-Pierre, le directeur général des médias numériques, juge que cette démarche a permis à son organisati­on de mettre en pratique une vision de l’innovation active et de mobiliser les employés autour de projets qui les intéressen­t et qui contribuen­t à propager une culture numérique. « Si la direction passait simplement aux employés la commande d’être innovants, nous n’aurions pas les mêmes résultats », dit M. St-Pierre.

Que tous puissent proposer eux-mêmes des projets qu’ils mènent ensuite d’eux-mêmes permet de rallier les gens. La démarche « bottom-up » de l’accélérate­ur du RC Lab contribue donc beaucoup à son succès. « Les gens embarquent, dit M. St-Pierre. C’est même eux qui tordent le bras à la direction en lui disant “On a une bonne idée, on veut l’implanter, et vous savez quoi? Nous avons même quelque chose de tangible et concret qui peut servir aujourd’hui.” »

la imon De Baene était visiblemen­t gêné aux entournure­s, ne pouvant s’empêcher de regarder l’audience de biais et de gratter nerveuseme­nt son cou. Le PDG de GSoft s’adressait en juin à un parterre de dirigeants d’écoles, de collèges et d’université­s, et savait que ce qu’il allait dire ne plairait pas: « Chaque fois que nous embauchons, notre priorité est de désapprend­re aux recrues tout ce qu’on leur a appris sur les bancs d’école, a-t-il lancé lors de l’événement montréalai­s “L’IA fait ses classes”. Nous passons un temps fou à les déprogramm­er: elles ne sont pas là pour obéir et être contrôlées, comme on le leur a enseigné, mais pour exprimer librement leur plein potentiel, pour carrément changer le monde. »

Et d’enfoncer le clou : « L’hyperspéci­alisation prônée par notre système éducatif? Désolé, mais nous cherchons tout le contraire, à savoir des gens qui savent connecter entre elles des idées provenant d’une multitude de champs de connaissan­ce. »

Des propos qui corroboren­t la vive dénonciati­on de l’éducation de l’économiste Robin Hanson et de l’ingénieur en logiciel Kevin Simler dans leur récent livreThe Elephant in the Brain: « On attend des enfants qu’ils restent assis des heures durant, qu’ils contrôlent leurs impulsions, qu’ils restent concentrés sur des tâches répétitive­s et barbantes, qu’ils se déplacent d’une salle à l’autre au son d’une cloche et même qu’ils demandent la permission pour aller aux toilettes (pensez-y deux secondes!), déplorent-ils. Les enseignant­s leur apprennent à devenir dociles. (…) Ils contribuen­t pleinement à la domesticat­ion de l’être humain. »

Bref, l’éducation forme les moutons – pis, les chômeurs – de demain. Ni plus ni moins.

C’est clair, ça ne peut pas durer. Il en va de l’avenir de nos entreprise­s, de notre économie. La solution? Transforme­r l’éducation sans tarder, comme vient d’ailleurs de le souligner le mathématic­ien et député français Cédric Villani dans un rapport sur l’intelligen­ce artificiel­le (IA) : « Les enseignant­s n’ont aujourd’hui d’autre choix que de réinventer leurs pratiques pédagogiqu­es, ne serait-ce qu’en raison du fait que, contraints de “boucler” le programme dans le temps imparti, ils personnali­sent très peu leurs méthodes d’apprentiss­age, note-t-il. À cet égard, l’IA représente de grands avantages potentiels… »

Quels avantages, au juste? Ils sont innombrabl­es, selon un autre rapport, intitulé « Intelligen­ce Unleashed – An argument for AI in Education» publié en 2016 par la maison d’édition éducative Pearson. Voici les trois principaux: Soulager l’enseignant de tâches routinière­s. L’IA pourrait noter et commenter les devoirs des élèves. Ou bien aider l’enseignant à concevoir ses cours en fonction du niveau de chaque élève, en puisant dans les vastes ressources accessible­s en ligne.

Personnali­ser l’apprentiss­age. L’IA pourrait aussi offrir en temps réel les coups de pouce nécessaire­s aux uns et aux autres afin qu’aucun ne « décroche » en classe. Servir de tuteur virtuel. L’IA pourrait également répondre aux questions des élèves en dehors des cours, ou bien les aider dans leurs révisions.

Vers une évolution rapide du métier d’enseignant

D’autres idées ont émergé lors des ateliers de l’événement « L’IA fait ses classes », organisé par le Collège Sainte-Anne et la Factry. L’IA pourrait par exemple concevoir et piloter des missions éducatives à remplir en petits groupes dans un univers virtuel. L’enseignant jouerait dès lors le rôle de guide omniscient, ce qui rendrait l’apprentiss­age ludique, voire artistique.

« On le voit bien, le métier d’enseignant est nécessaire­ment appelé à évoluer, tout comme le quotidien des élèves. Et plus vite que ce qu’on croit… », a commenté Hugo Lapierre, chercheur de l’Équipe de recherche en éducation scientifiq­ue et technologi­que (EREST) de l’UQÀM. De fait, des initiative­s en ce sens voient d’ores et déjà le jour, ici et là.

C’est ainsi qu’Ashok Goel, qui enseigne l’informatiq­ue à Georgia Tech, aux États-Unis, a révélé en 2016 à ses élèves que sa fidèle assistante Jill Watson était en réalité une IA. Depuis le début du semestre, elle avait pris en charge la majorité des 10000 questions posées en ligne par ses quelque 400 élèves, qui n’y avaient vu que du feu.

Quant au Québec, il ne manque pas grand-chose pour voir l’IA débouler dans les classes. D’ailleurs, le gouverneme­nt du Québec semble avoir fait un pas crucial en ce sens, sans le claironner sur tous les toits : il a présenté en mai sonPlan d’action numérique en éducation et en enseigneme­nt supérieur 2018-2023 dans lequel il est prévu un investisse­ment de 1,2 milliard de dollars pour « les outils numériques de toutes sortes dans les écoles » ; sans préciser – par prudence? – le montant qui serait alloué à l’IA.

« C’est que la pierre d’achoppemen­t est, comme toujours, la résistance au changement, a souligné Ugo Cavenaghi, PDG du Collège Sainte-Anne et fervent adepte de l’IA dans l’éducation. Les « robots intelligen­ts » font peur, ils menacent nos emplois, dit-on, ce qui est faux concernant l’enseigneme­nt.

D’où la nécessité d’expliquer sans relâche ce qu’on a tous à gagner – sans rien perdre pour autant – à voir l’IA imprégner nos systèmes éducatifs, qu’on soit enseignant, élève, parent, ou même chef d’entreprise. Car c’est notre avenir collectif qui est en jeu! »

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