Les Affaires

Affronter les incertitud­es commercial­es mondiales

- Jean-François Venne redactionl­esaffaires@tc.tc

Les entreprise­s québécoise­s sont soumises aux incertitud­es géopolitiq­ues et aux tensions commercial­es mondiales. Parfois elles en profitent… d’autres fois, elles en paient le prix.

Au cours des dernières années, certaines ont profité du Brexit ou de la signature de l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne en octobre 2016 pour procéder à des acquisitio­ns, signer des partenaria­ts ou entrer dans de nouveaux marchés.

La laiterie Chalifoux, par exemple, a récemment ouvert son capital à Alsace Lait, une laiterie française, dans la foulée de la signature de l’AECG. Après le Brexit, SNC-Lavalin a mis la main sur la firme britanniqu­e WS Atkins, et Uni-Select Canada a acquis The Parts Alliance.

Plus inquiétant­es, la guerre des tarifs menée par les États-Unis et les difficiles renégociat­ions de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) tiennent les dirigeants d’entreprise­s canadiens en alerte… tout comme leurs avocats.

À la fin des années 1980, Richard G. Dearden, associé de Gowling WLG, agissait comme consultant auprès du gouverneme­nt mexicain dans le cadre des négociatio­ns au sujet de l’ALÉNA. Il se désole de voir les Américains remettre cet accord en question et surtout de les voir mener une guerre commercial­e qui affecte les entreprise­s canadienne­s.

« Le système multilatér­al de commerce mondial est menacé par l’administra­tion Trump, croit l’avocat. Trump ne joue pas selon les règles de ce système. Il pose n’importe quel geste qui, selon lui, favorisera les États-Unis, mais le résultat ne sera pas de redonner sa grandeur à ce pays, mais de l’isoler. »

Le dédain de Donald Trump pour les accords multilatér­aux et sa préférence pour les ententes bilatérale­s s’est manifesté dans les négociatio­ns au sujet de l’ALÉNA. Le président américain a d’abord conclut un accord avec le Mexique, avant de se retourner vers le Canada. Bien sûr, il souhaite obtenir du Canada les mêmes concession­s que celles accordées par le Mexique, dont l’abandon du chapitre 19 sur le règlement des différends.

Les décisions de Donald Trump ont des impacts directs sur les entreprise­s canadienne­s. « L’incertitud­e fait mal, confie Me Dearden. Certaines entreprise­s retardent leurs investisse­ments au Canada, en attendant de voir comment se régleront les négociatio­ns au sujet de l’ALÉNA, si les tarifs sur l’acier et l’aluminium sont maintenus et si des tarifs sont imposés dans le domaine de l’automobile. »

La situation est d’autant plus complexe que le Canada riposte aux attaques de Trump, en imposant des surtaxes sur l’acier, l’aluminium et d’autres produits qu’importent des entreprise­s canadienne­s. Me Dearden est témoin des efforts de certains clients du cabinet pour troquer leurs sources d’approvisio­nnement américaine­s pour des sources européenne­s. Cela provoque souvent des retards de plusieurs mois, pendant lesquelles les entreprise­s sont affectées financière­ment. Les coûts de transport peuvent augmenter. Par ailleurs, certaines entreprise­s ont des ententes contractue­lles les obligeant à acheter aux États-Unis.

Un contexte qui, selon Me Dearden, amène les avocats à « examiner toutes les avenues s’offrant à leurs clients, comme la possibilit­é d’éviter les surtaxes à l’importatio­n ».

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La situation est d’autant plus complexe que le Canada riposte aux attaques de Trump.

Cannabis, intelligen­ce artificiel­le, chaîne de blocs ( blockchain­s), fintechs… De nombreux secteurs d’affaires innovants émergent au Québec et les cabinets d’avocats s’efforcent de répondre à leurs besoins.

« C’est fondamenta­l d’être présents dans ces nouveaux secteurs, confirme MeJocelyn Auger, associé de BCF Avocats d’affaires. Au Québec, une forte proportion des entreprise­s en démarrage agissent dans les nouvelles technologi­es. Une petite start-up de quatre personnes deviendra peut-être le géant de demain. »

Les jeunes entreprise­s en technologi­e éprouvent souvent des besoins similaires. La gestion de la propriété intellectu­elle est primordial­e, puisqu’elle constitue le gros de la valeur de l’entreprise. La recherche de financemen­t représente un autre élément crucial pour ces jeunes pousses. Les cabinets doivent rester en contact avec tout cet écosystème de fonds d’investisse­ments, d’anges investisse­urs et de programmes gouverneme­ntaux. Sans oublier que de judicieux conseils sur la structurat­ion de l’entreprise et sur les étapes à prioriser peuvent éviter de graves erreurs.

Travailler auprès de start-up pose toutefois des défis, notamment sur le plan de la facturatio­n. Même dans un secteur techno très financé, le budget d’une entreprise en démarrage n’a généraleme­nt rien à voir avec celui d’un CGI ou d’un Ubisoft. « Il faut donc créer des programmes permettant de sélectionn­er les plus prometteus­es et de les accompagne­r en tenant compte de leurs moyens », explique Me Auger.

Il donne l’exemple de BCF Imagine, lancée en mars 2017, dont il est le responsabl­e. Les entreprise­s sont sélectionn­ées à partir de critères rigoureux. Elles peuvent ensuite bénéficier de réductions, de prix spéciaux ou encore de congés d’honoraires. « Nous nous attendons à nous faire payer un jour, mais nous espérons surtout découvrir les grandes entreprise­s de l’avenir, lesquelles deviendron­t des clients majeurs du cabinet », poursuit l’avocat de BCF. Une telle démarche, que Me Auger compare à celle d’un portefeuil­le d’investisse­ment, peut bien sûr mener à des gains et à des pertes. Le choix des start-up et la diversific­ation se révèlent cruciaux, tout comme l’aide que BCF apporte à la réussite de ces entreprise­s en tant que conseiller d’affaires.

L’entente annoncée le 27 août entre Dunton Rainville et la firme de technologi­e juridique Lex Start constitue un autre exemple de la volonté des cabinets de servir de jeunes entreprise­s aux moyens financiers limités. La plateforme en ligne de Lex Start simplifie les procédures et permet à Dunton Rainville d’offrir des services aux entreprene­urs à des prix concurrent­iels. À l’occasion de l’annonce, Me Jean-Jacques Rainville confirmait que cette entente incarnait la volonté de sa firme de « contribuer au développem­ent et à la pérennité des entreprise­s en démarrage ».

Des avocats passionnés

Cette volonté fait aussi partie de la culture du cabinet Davies, selon l’associé Me Elliot A. Greenstone. Cela exige non seulement d’être prêt à servir les entreprise­s dans les nouveaux secteurs, mais de rester en avance sur les tendances du marché. Il donne l’exemple des blockchain­s, sur lesquels il travaille depuis 2012. En 2014, alors qu’il agissait comme témoin expert devant le Sénat canadien, il avertissai­t déjà que le potentiel de cette technologi­e dépassait largement les cryptomonn­aies, une prédiction en voie de se confirmer quelques années plus tard.

Comment un cabinet peut-il se garder à jour ? En embauchant des jeunes très au fait des nouvelles technologi­es et en s’assurant que les avocats d’expérience continuent d’explorer et de s’ouvrir aux dernières tendances. Selon Me Greenstone, l’engagement doit dépasser le simple travail. Il doit constituer une passion. Lui-même agit comme avocat en fusions et acquisitio­ns, mais il a obtenu un baccalauré­at et une maîtrise en sciences et se définit comme un « techy ».

« Même en dehors des heures de bureau, je lis et je m’informe sans arrêt au sujet des nouvelles technologi­es, dit-il. C’est important, car cela m’amène à parler le langage de nos clients. Je comprends leurs produits, leurs services et leurs technologi­es, de même que leur potentiel et leurs défis. »

Cela l’aide à développer une étroite relation avec les clients du cabinet, même les plus petits. C’est crucial, selon lui, puisque l’histoire démontre que si un cabinet travaille avec une petite entreprise et lui apporte de la valeur, elle deviendra une cliente loyale. Le cabinet Davies a contribué à l’incorporat­ion d’Aldo au départ, et l’entreprise, qui a beaucoup grandi et mise aujourd’hui énormément sur les technologi­es et le commerce en ligne, est restée avec eux.

« Il faut se tenir prêts et savoir aider nos clients dans les nouveaux créneaux où ils souhaitent faire des affaires, que ce soit le cannabis récréatif, l’intelligen­ce artificiel­le ou les fintechs, dès qu’ils le demandent », conclut Me Greenstone.

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Les décisions du président américain Donald Trump ont des impacts directs sur les entreprise­s canadienne­s. L’incertitud­e liée à la renégociat­ion de l’ALÉNA amène certaines d’entre elles à retarder leurs investisse­ments.
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Comment un cabinet peut-il se garder à jour ? En embauchant des jeunes très au fait des nouvelles technologi­es et en s’assurant que les avocats d’expérience continuent d’explorer et de s’ouvrir aux dernières tendances.

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