DOLLARAMA REVIENT SUR TERRE
– Annie Laliberté,
STÉPHANE ROLLAND – Les actions des pays émergents sont entrées dans un marché baissier. Ce contexte a-t-il eu une influence sur votre stratégie? ANNIE LALIBERTÉ
– Nous ne détenons pas de titres dans les pays émergents pour l’instant, mais ce n’est pas lié à ce qui s’y passe, car notre stratégie est liée aux fondamentaux. Ça ne veut pas dire que nous ne sommes pas exposés aux pays émergents. Environ de 30% à 35% des revenus des entreprises en portefeuille sont générés dans les pays émergents. Quand on veut s’exposer à ces pays, on veut, en fait, s’exposer aux consommateurs, ce que permettent de faire des multinationales dans les pays développés. Cela dit, il est vrai qu’il y a plus de risques qui accompagnent les actions des pays émergents, notamment le risque politique, comme on l’a vu en Turquie.
S.R. – Quels sont vos critères et qu’est-ce qui peut faire en sorte qu’aucune action de ces pays ne remplisse vos conditions? A.L.
– On cherche des entreprises qui ont des activités partout sur la planète, qui peuvent faire croître leurs revenus de 4% à 6% annuellement et qui sont capables de mettre cette croissance à profit pour générer une progression du bénéfice d’exploitation de 10%. On veut que la croissance de l’entreprise soit soutenue et renouvelable. Il y a beaucoup d’entreprises dans le secteur des ressources naturelles, ce qui les exclut du bénéfice renouvelable à long terme. La qualité de l’équipe de gestion est également un facteur.
S.R. – Quelle société est sur votre radar? A.L.
– Le fabricant d’équipement pour la cuisson et la préparation des aliments Middleby (MIDD, 126,09 $US). Ceux qui aiment la cuisine connaîtront peut-être leurs marques Viking et La Cornue, mais la grande partie de leurs activités est liée à la restauration. La direction évalue le marché à 20 milliards de dollars américains, et celui-ci est très fragmenté, ce qui ouvre la voie à une croissance par acquisitions. L’essor de la classe moyenne dans les pays émergents et le fait que les gens recourent de plus en plus aux mets de restaurants ou prépréparés sont des tendances qui lui sont favorables. Dernièrement, la société a connu des difficultés, dont une restructuration, ce qui a fait en sorte que la croissance interne a ralenti. On juge qu’il s’agit d’une entreprise de qualité et que c’est une situation temporaire.
S.R. – Vous tentez de trouver des entreprises qui auront un bénéfice soutenable à long terme. Des sociétés technologiques comme Amazon ont changé la perception de ce qu’était un modèle d’entreprise renouvelable à long terme. Y a-t-il des industries que vous avez mises de côté pour cette raison? A.L.
– Tout ce qui est commerce alimentaire a vécu une période plus difficile depuis quelques années. On a déjà détenu Tesco, par le passé, mais on a délaissé l’épicier britannique. Auparavant, c’était une entreprise super bien gérée, mais elle a fait plusieurs erreurs stratégiques. En même temps, il existe des occasions quand les investisseurs craignent la concurrence d’Amazon. C’est le cas de Bunzl (BNZL, 23,95 £), qui distribue des produits non alimentaires pour les cafés et restaurants. Amazon a essayé de faire une percée et n’est pas parvenue à déloger Bunzl. Les commerçants ont besoin de régularité dans les livraisons quotidiennes et Amazon n’est pas en mesure de fournir la même relation client pour ce service. Des ventes moins fortes que prévu durant deux trimestres consécurtifs ont fait tomber Dollarama (DOL, 41,15$) de son piédestal. Son titre a plongé de 23% entre les 12 et 14 septembre, amputant 4,6 milliards de dollars de sa valeur boursière.
La hausse de 2,6% des ventes comparables à son dernier trimestre est toute une décélération par rapport à celle de 6,1% de l’an dernier. C’est aussi la cadence la plus modeste depuis 2013.
« Les ventes par magasins comparables sont un repère très suivi, encore plus pour un détaillant à forte croissance se négociant à fort multiple en Bourse », résume bien Patricia Baker, de la Banque Scotia.
Autre surprise: le détaillant a abaissé d’une fourchette de 4 % à 5% à une autre de 2,5 % à 3,5% la croissance prévue des ventes par magasins comparables, pour l’exercice entier. Ses rivaux n’ont pas refilé aux clients toute la hausse des salaires et des frais de transport. Les objectifs initiaux misaient là-dessus.
Le verdict
La chute de l’action est telle que le nouveaucours cible moyen des analystes de 48,86 $ offre un gain potentiel de 13% d’ici 12 mois. Huit analystes recommandent encore l’achat du titre, par rapport à 14 à la mi-juin. Le nombre de financiers neutres est passé de trois à sept.
Si tous les analystes abaissent leurs cours cibles, ils se divisent toutefois en deux camps: ceux qui jugent que la chute du titre en fait une occasion parce que le modèle d’entreprise n’est pas brisé, et ceux qui craignent que son profil moins constant mène à une contraction durable de son évaluation.
« Comme le montre la hausse des marges, Dollarama n’a pas besoin que ses ventes comparables croissent de 4% à 5% pour que la croissance de son bénéfice dépasse 10% », dit Irene Nattel, de RBC Marchés des Capitaux. Ses mesures d’efficacité procurent plus d’économies que prévu, tandis que le coût des marchandises importées de Chine est moins élevé qu’anticipé.
La progression de 10% à 11% du bénéfice d’exploitation par année, le rendement de 35% du capital investi et la conversion de 69% des bénéfices en flux de trésorerie libres restent nettement supérieurs à ses semblables, ajoute Mme Nattel.
Tout de même, l’analyste abaisse son cours cible de 55 $ à 52$, soit 24,5 fois le bénéfice prévu en avril 2021, un multiple au bas de sa moyenne depuis quatre ans.
À la Banque Scotia, MmeBaker salue la stratégie proactive et délibérée de Dollarama de ne pas relever ses prix afin de préserver sa « proposition de valeur » et la loyauté des clients et ainsi protéger sa place dans le marché. « Nous sommes des acheteurs au cours actuel », dit-elle.
Pour s’adapter aux nouvelles orientations, le cours cible de Mme Baker passe de 56 $ à 50$, soit 26 fois le nouveau bénéfice de 1,94$ projeté en 2020.
Mark Petrie, de Marchés mondiaux CIBC, se rend à l’évidence: le multiple d’évaluation de 32 fois qu’il accordait était trop généreux pour un détaillant dont la croissance des bénéfices de plus de 10% est assurée, mais qui offre peu de potentiel d’accélération à court terme.
Il réduit ce ratio cours/ bénéfice à 24 fois, une évaluation plus adéquate qui équivaut encore à deux fois la progression prévue des bénéfices.
« Dollarama a encore un long parcours devant elle, mais l’entreprise devient plus prudente, ce qui modérera sa cadence et donc le prix que nous sommes prêts à payer », évoque M. Petrie.
Le marchand pourrait relever ses prix plus tard en 2020, mais d’ici là, il veut les garder bien en deçà (26%) de ceux de Wal-Mart pour protéger la « perception de valeur » si importante à son modèle, puisque le détaillant ne fait pas de marketing ni de promotion pour attirer les clients en magasin, explique l’analyste.
Son cours cible passe de 59 $ à 46$ et il ne recommande plus l’achat du titre.
Même s’il juge la chute du titre exagérée à court terme, Peter Sklar, de BMO Marchés des capitaux, fait lui aussi plonger son cours cible de 61 $ à 47$.
Keith Howlett, de Desjardins Valeurs mobilières, devient à son tour plus sévère à l’égard de Dollarama, dont le nombre de transactions a décliné lors de 5 des 10 derniers trimestres.
« C’est la première fois de mémoire que le détaillant attribue sa propre performance au comportement des concurrents », dit-il en référence au deuxième trimestre.
Il abaisse de 30 à 23 fois le multiple d’évaluation du titre, et son cours cible, de 58 $ à 45$. Il ne recommande plus l’achat du titre.
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