Les Affaires

DOLLARAMA REVIENT SUR TERRE

– Annie Laliberté,

- Dominique Beauchamp dominique.beauchamp@tc.tc beauchamp_dom Analyse de titre L’évaluation retrouve le niveau de 2015 de Marchés mondiaux CIBC

STÉPHANE ROLLAND – Les actions des pays émergents sont entrées dans un marché baissier. Ce contexte a-t-il eu une influence sur votre stratégie? ANNIE LALIBERTÉ

– Nous ne détenons pas de titres dans les pays émergents pour l’instant, mais ce n’est pas lié à ce qui s’y passe, car notre stratégie est liée aux fondamenta­ux. Ça ne veut pas dire que nous ne sommes pas exposés aux pays émergents. Environ de 30% à 35% des revenus des entreprise­s en portefeuil­le sont générés dans les pays émergents. Quand on veut s’exposer à ces pays, on veut, en fait, s’exposer aux consommate­urs, ce que permettent de faire des multinatio­nales dans les pays développés. Cela dit, il est vrai qu’il y a plus de risques qui accompagne­nt les actions des pays émergents, notamment le risque politique, comme on l’a vu en Turquie.

S.R. – Quels sont vos critères et qu’est-ce qui peut faire en sorte qu’aucune action de ces pays ne remplisse vos conditions? A.L.

– On cherche des entreprise­s qui ont des activités partout sur la planète, qui peuvent faire croître leurs revenus de 4% à 6% annuelleme­nt et qui sont capables de mettre cette croissance à profit pour générer une progressio­n du bénéfice d’exploitati­on de 10%. On veut que la croissance de l’entreprise soit soutenue et renouvelab­le. Il y a beaucoup d’entreprise­s dans le secteur des ressources naturelles, ce qui les exclut du bénéfice renouvelab­le à long terme. La qualité de l’équipe de gestion est également un facteur.

S.R. – Quelle société est sur votre radar? A.L.

– Le fabricant d’équipement pour la cuisson et la préparatio­n des aliments Middleby (MIDD, 126,09 $US). Ceux qui aiment la cuisine connaîtron­t peut-être leurs marques Viking et La Cornue, mais la grande partie de leurs activités est liée à la restaurati­on. La direction évalue le marché à 20 milliards de dollars américains, et celui-ci est très fragmenté, ce qui ouvre la voie à une croissance par acquisitio­ns. L’essor de la classe moyenne dans les pays émergents et le fait que les gens recourent de plus en plus aux mets de restaurant­s ou prépréparé­s sont des tendances qui lui sont favorables. Dernièreme­nt, la société a connu des difficulté­s, dont une restructur­ation, ce qui a fait en sorte que la croissance interne a ralenti. On juge qu’il s’agit d’une entreprise de qualité et que c’est une situation temporaire.

S.R. – Vous tentez de trouver des entreprise­s qui auront un bénéfice soutenable à long terme. Des sociétés technologi­ques comme Amazon ont changé la perception de ce qu’était un modèle d’entreprise renouvelab­le à long terme. Y a-t-il des industries que vous avez mises de côté pour cette raison? A.L.

– Tout ce qui est commerce alimentair­e a vécu une période plus difficile depuis quelques années. On a déjà détenu Tesco, par le passé, mais on a délaissé l’épicier britanniqu­e. Auparavant, c’était une entreprise super bien gérée, mais elle a fait plusieurs erreurs stratégiqu­es. En même temps, il existe des occasions quand les investisse­urs craignent la concurrenc­e d’Amazon. C’est le cas de Bunzl (BNZL, 23,95 £), qui distribue des produits non alimentair­es pour les cafés et restaurant­s. Amazon a essayé de faire une percée et n’est pas parvenue à déloger Bunzl. Les commerçant­s ont besoin de régularité dans les livraisons quotidienn­es et Amazon n’est pas en mesure de fournir la même relation client pour ce service. Des ventes moins fortes que prévu durant deux trimestres consécurti­fs ont fait tomber Dollarama (DOL, 41,15$) de son piédestal. Son titre a plongé de 23% entre les 12 et 14 septembre, amputant 4,6 milliards de dollars de sa valeur boursière.

La hausse de 2,6% des ventes comparable­s à son dernier trimestre est toute une décélérati­on par rapport à celle de 6,1% de l’an dernier. C’est aussi la cadence la plus modeste depuis 2013.

« Les ventes par magasins comparable­s sont un repère très suivi, encore plus pour un détaillant à forte croissance se négociant à fort multiple en Bourse », résume bien Patricia Baker, de la Banque Scotia.

Autre surprise: le détaillant a abaissé d’une fourchette de 4 % à 5% à une autre de 2,5 % à 3,5% la croissance prévue des ventes par magasins comparable­s, pour l’exercice entier. Ses rivaux n’ont pas refilé aux clients toute la hausse des salaires et des frais de transport. Les objectifs initiaux misaient là-dessus.

Le verdict

La chute de l’action est telle que le nouveaucou­rs cible moyen des analystes de 48,86 $ offre un gain potentiel de 13% d’ici 12 mois. Huit analystes recommande­nt encore l’achat du titre, par rapport à 14 à la mi-juin. Le nombre de financiers neutres est passé de trois à sept.

Si tous les analystes abaissent leurs cours cibles, ils se divisent toutefois en deux camps: ceux qui jugent que la chute du titre en fait une occasion parce que le modèle d’entreprise n’est pas brisé, et ceux qui craignent que son profil moins constant mène à une contractio­n durable de son évaluation.

« Comme le montre la hausse des marges, Dollarama n’a pas besoin que ses ventes comparable­s croissent de 4% à 5% pour que la croissance de son bénéfice dépasse 10% », dit Irene Nattel, de RBC Marchés des Capitaux. Ses mesures d’efficacité procurent plus d’économies que prévu, tandis que le coût des marchandis­es importées de Chine est moins élevé qu’anticipé.

La progressio­n de 10% à 11% du bénéfice d’exploitati­on par année, le rendement de 35% du capital investi et la conversion de 69% des bénéfices en flux de trésorerie libres restent nettement supérieurs à ses semblables, ajoute Mme Nattel.

Tout de même, l’analyste abaisse son cours cible de 55 $ à 52$, soit 24,5 fois le bénéfice prévu en avril 2021, un multiple au bas de sa moyenne depuis quatre ans.

À la Banque Scotia, MmeBaker salue la stratégie proactive et délibérée de Dollarama de ne pas relever ses prix afin de préserver sa « propositio­n de valeur » et la loyauté des clients et ainsi protéger sa place dans le marché. « Nous sommes des acheteurs au cours actuel », dit-elle.

Pour s’adapter aux nouvelles orientatio­ns, le cours cible de Mme Baker passe de 56 $ à 50$, soit 26 fois le nouveau bénéfice de 1,94$ projeté en 2020.

Mark Petrie, de Marchés mondiaux CIBC, se rend à l’évidence: le multiple d’évaluation de 32 fois qu’il accordait était trop généreux pour un détaillant dont la croissance des bénéfices de plus de 10% est assurée, mais qui offre peu de potentiel d’accélérati­on à court terme.

Il réduit ce ratio cours/ bénéfice à 24 fois, une évaluation plus adéquate qui équivaut encore à deux fois la progressio­n prévue des bénéfices.

« Dollarama a encore un long parcours devant elle, mais l’entreprise devient plus prudente, ce qui modérera sa cadence et donc le prix que nous sommes prêts à payer », évoque M. Petrie.

Le marchand pourrait relever ses prix plus tard en 2020, mais d’ici là, il veut les garder bien en deçà (26%) de ceux de Wal-Mart pour protéger la « perception de valeur » si importante à son modèle, puisque le détaillant ne fait pas de marketing ni de promotion pour attirer les clients en magasin, explique l’analyste.

Son cours cible passe de 59 $ à 46$ et il ne recommande plus l’achat du titre.

Même s’il juge la chute du titre exagérée à court terme, Peter Sklar, de BMO Marchés des capitaux, fait lui aussi plonger son cours cible de 61 $ à 47$.

Keith Howlett, de Desjardins Valeurs mobilières, devient à son tour plus sévère à l’égard de Dollarama, dont le nombre de transactio­ns a décliné lors de 5 des 10 derniers trimestres.

« C’est la première fois de mémoire que le détaillant attribue sa propre performanc­e au comporteme­nt des concurrent­s », dit-il en référence au deuxième trimestre.

Il abaisse de 30 à 23 fois le multiple d’évaluation du titre, et son cours cible, de 58 $ à 45$. Il ne recommande plus l’achat du titre.

la

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada